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DSK, Hollande, etc. est le dernier film documentaire de Pierre Carles (accompagné de Julien Brygo et Aurore Van Opstal), réalisateur corrosif dont la réputation tient essentiellement à une analyse critique et alerte des médias. Souvent ostracisé, c'est pourtant à lui qu'on doit par exemple la révélation du scandale de la fausse interview de Fidel Castro, que Patrick Poivre d'Arvor prétendit avoir réalisée en 1991. Il est l'auteur de nombreux travaux étudiant la mécanique implacable de l'univers médiatique comme Juppé, forcément (1995), Pas vu pas pris (1998), Enfin pris ? (2002) et Fin de concession (2010). Il porte par ailleurs un regard singulier sur le monde du travail dans des documentaires comme Attention danger travail (2003) ou Volem rien foutre al païs (2007). Enfin, on retiendra le film de 2001, La sociologie est un sport de combat, œuvre de sensibilisation à la sociologie au travers des travaux de Pierre Bourdieu (1).

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C'est aujourd'hui le principal paradoxe de – la majorité de – la presse : un corps opaque censé faire la transparence sur le monde qui nous entoure. Les quelques téméraires qui ont accepté de recevoir l’équipe sont confrontés, de manière plus ou moins détendue, à un regard critique sur leur métier, preuves à l’appui. Il s'agit là d'un retour critique salutaire au regard de l’amnésie ordinaire qui frappe le monde médiatique, comme l'analysent Frédéric Lordon, Gilles Balbastre, François Ruffin et d'autres belles cervelles dont les commentaires s’insèrent entre les interviews et les images d’archives. Exactement comme dans Les Nouveaux Chiens de Garde (excellent film documentaire de 2012 chroniqué ici)...

Ici, Jean-Michel Apathie, Nicolas Demorand, Laurent Joffrin et les autres journalistes-éditorialistes ne se prêtent au jeu de l’interview qu’avec une grande méfiance, alors qu'ils pratiquent l’exercice quotidiennement dans leurs médias respectifs. Si le début de l'entretien se passe relativement bien, ils sentent peu à peu le piège se refermer sur eux ; il faut dire que Julien Brygo (dont je vous conseille le site perso) excelle en matière de fausse naïveté et de vraie sournoiserie...

« Depuis plusieurs années, le Parti de la presse et de l'argent (PPA) sélectionne pour nous les candidats qu'il juge suffisamment capables de perpétuer l'ordre dominant [...] À l'approche du premier tour de l'élection présidentielle 2012, le PPA favorise délibérément le candidat de l'Union pour un mouvement populaire (dont le temps de parole est le plus important depuis le 1er janvier) et le candidat du Parti socialiste, qu'ils s'efforcent de peindre en rose, voire en rouge, pour créer l'illusion d'une opposition fondamentale entre ce qu'ils appellent "la gauche" et "la droite".
En réalité, ce match annoncé, ce duel préparé, cet affrontement mis en scène (qui devait se jouer entre Sarkozy et Strauss-Kahn, lequel fut remplacé après l'affaire du Sofitel, toutes choses égales par ailleurs, par Hollande), n'est pas un combat politique entre "droite" et "gauche" mais entre la droite dure (l'UMP, ex-RPR) et le centre-droit (le PS), les deux partis politiques français qui ont le plus œuvré pour le triomphe du libéralisme économique ces trente dernières années. »

Julien Brygo, « La fabrique de l'opinion électorale » sur son site www.julienbrygo.com.

Au vu du résultat, les journalistes interrogés auront sans doute le sentiment d’avoir été dupés (2). S'ils avaient connu les raisons de l'interview, ils n’auraient probablement pas accepté… ce qui aurait été bien dommage, tant ils nous font à la fois rire et réfléchir. Sans doute est-il juste de dire, comme le soutiennent les protagonistes, que les éditorialistes ne font pas l’opinion. Mais, de fait, ils confisquent le débat public en délimitant un espace du politiquement pensable : plus ils quadrillent l'espace médiatique, plus ils bornent celui des possibles. Ne leur en déplaise, car leur franchise a des limites, ils cèdent bien volontiers à « la tentation de faiseurs de rois » (3). Comme ne le dit pas Alain Duhamel (cf. son apparition dans Les Nouveaux Chiens de Garde), la pluralité des médias n’empêche malheureusement en rien l'unanimité idéologique.
Et pour terminer sur une note guillerette pleine d'espoir, comme disait Pierre Desproges, « L’adulte ne croit pas au père Noël. Il vote. » Aïe.

N.B. : Le film est disponible, gratuitement, sur le site de Pierre Carles (merci à Olivier pour sa vigilance en ce qui concerne les liens morts).

N.B. : Un premier montage du film a pu être diffusé avant le premier tour de l’élection présidentielle. Un second montage est disponible depuis peu (10/05/2012). Réalisé en autoproduction grâce à des amis et à une équipe de techniciens bénévoles, la version finale devrait voir le jour, en salles puis en DVD, d'ici fin 2012. Les auteurs sollicitent pour cela le soutien du public sur le site www.pierrecarles.org.

À lire : Noam Chomsky et Edward Herman, « La Fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie », Agone, 2008.

(1) Pierre Bourdieu, sociologue français de talent mort en 2002. Voir l'article du Diplo de janvier 2012 sur la fabrique des débats publics, œuvre posthume retranscrivant un cours au Collège de France (1989 - 1992) consacré à l'État. (retour)
(2) Et même plus que ça, puisque avant même que le film ne soit terminé, Laurent Joffrin, Renaud Dély et Jean-Michel Aphatie attaquent les auteurs, par le biais de leurs avocats, pour faire en sorte que ce film ne voie pas le jour. (retour)
(3) Alain Garrigou dans « Qui fait l’opinion : "DSK, Hollande, etc." », sur les blogs du Diplo : lien. (retour)