Je m'attarde - Mot-clé - Autobiographie le temps d'un souffle<br />2024-03-29T08:45:23+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearUn temps pour vivre, un temps pour mourir (童年往事, Tóng nián wǎng shì), de Hou Hsiao-Hsien (1985)urn:md5:b49dac388b2cd4b7fa8f52ee7d178d772024-02-20T11:01:00+01:002024-02-20T12:56:04+01:00RenaudCinémaAdolescenceAutobiographieChineEnterrementExilFamilleHou Hsiao-HsienMortRécit d apprentissageTaïwan <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir.jpg" title="un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir.jpg, févr. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/.un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir_m.jpg" alt="un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir.jpg, févr. 2024" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Souvenirs d'une enfance taïwanaise</strong></ins></span>
</div>
<p>Le cinéma taïwanais de la fin du XXe siècle est un terreau fertile qui laisse le champ libre à de nombreuses très belles découvertes, et c'est très souvent à mettre en corrélation avec l'histoire du pays qui s'écrivait en parallèle de la vie des différents cinéastes ayant contribué à l'édifice national. À mes yeux c'est <strong>Edward Yang </strong>qui illustre le plus fortement ce courant partagé entre l'autobiographie, quelque part entre souvenirs d'enfance et mélancolie, et le récit politique d'un territoire voué aux soubresauts historiques de par la nature complexe des relations qu'il entretient avec la Chine continentale. Des films comme <ins>A Brighter Summer Day</ins> (1991) et surtout <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Yi-Yi-d-Edward-Yang-2000">Yi Yi</a></ins> (2000) en sont probablement les exemples les plus marquants et les plus émouvants. Mais je découvre avec <ins>Un temps pour vivre, un temps pour mourir</ins> une autre facette de cette histoire cinématographique, récit à caractère autobiographique de <strong>Hou Hsiao-Hsien </strong>qui a grandi dans le quartier de Fengshan à Kaohsiung, un volet d'un récit d'apprentissage s'étendant sur la trilogie complétée par <ins>Un été chez grand-père</ins> (1984) et <ins>Poussières dans le vent</ins> (1986).</p>
<p>Ce film de <strong>Hou</strong>, dont le titre original signifie plutôt "souvenirs d'enfance" littéralement (transformé en un hommage maladroit à <strong>Douglas Sirk </strong>et à son <ins>Le Temps d'aimer et le Temps de mourir</ins>), est sorti au milieu des années 80, époque charnière à Taïwan, et embrasse une période allant de 1947 à 1965. Impossible de ne pas constamment relier le sort des personnages à l'histoire taïwanaise bousculée par le repli de Tchang Kaï-chek sur l'île, à la fin des années 40, et jusqu'à sa mort en 1975. L'époque du récit autant que l'époque de la production du film sont imprégnées de ces événements, puisque l'on suit une famille quittant à regret la Chine pour s'installer dans un village taïwanais — à l'origine de manière temporaire, comme en témoigne la pauvre qualité des matériaux de construction utilisés par la père qui espérait sincèrement retourner sur le continent dès que possible. Seule la constatation du Grand Bond en avant de Mao vu de loin les conforte dans l'idée de devoir rester à Taïwan.</p>
<p>Une chronique douce centrée sur le personnage de Ah-ha (alter ego de <strong>Hou </strong>très probablement), jeune garçon malicieux évoluant au gré d'une adolescence plutôt mouvementée en un jeune adulte bagarreur et plus renfermé. Un récit qui arbore la grande sobriété que l'on connaît aux réalisateurs taïwanais du même courant, explorant l'intérieur des foyers dans un style très pudique que ne renierait pas un <strong>Ozu</strong>, et qui pourra en éreinter certains de par sa focalisation sur un quotidien familial souvent très calme, avec des dialogues épurés et une voix off tout aussi réservée. La hauteur de regard est particulièrement adaptée pour capter les épisodes douloureux de l'enfance, toujours à la bonne distance, observant les membres de la famille mourir à petit feu, le père, la mère, puis la grand-mère.</p>
<p><ins>Un temps pour vivre, un temps pour mourir</ins> illustre très finement l'étau dans lequel la cellule familiale se retrouve un peu piégée, contrainte à l'exil mais heureuse d'avoir échappé aux événements en Chine. <strong>Hou </strong>raconte, avec le recul et avec beaucoup de délicatesse, un éloignement qu'il ne comprenait pas à l'époque et une prise de conscience progressive, comme un souvenir déformé qui chercherait à se reformer. Quelques moments-souvenirs semblent avoir marqué <strong>Hou </strong>plus profondément, comme le vol du sac de billes et de l'argent (volé lui aussi) qu'il avait enterrés près d'un arbre (et qui lui valut une belle engueulade de sa mère), sa grand-mère cherchant à retourner en Chine via un pont imaginaire à la faveur d'une maladie liée au vieillissement, ou encore le regard farouche de l'employé des pompes funèbres qui était venu s'occuper du corps de la grand-mère. Tous ces éléments forment un sillon thématique et émotionnel vraiment passionnant au creux du cinéma taïwanais.</p>
<div id="centrage">
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/img1.jpg" title="img1.jpg, févr. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, févr. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/img2.jpg" title="img2.jpg, févr. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, févr. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/img3.jpg" title="img3.jpg, févr. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, févr. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/img4.jpg" title="img4.jpg, févr. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, févr. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/img5.jpg" title="img5.jpg, févr. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/.img5_m.jpg" alt="img5.jpg, févr. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/img6.jpg" title="img6.jpg, févr. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/.img6_m.jpg" alt="img6.jpg, févr. 2024" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/img7.jpg" title="img7.jpg, févr. 2024"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/2024/un_temps_pour_vivre_un_temps_pour_mourir/.img7_m.jpg" alt="img7.jpg, févr. 2024" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Un-temps-pour-vivre-un-temps-pour-mourir-de-Hou-Hsiao-Hsien-1985#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1352Black Boy, de Richard Wright (1945)urn:md5:170911e44250b7ff2fa1340f88e3f7572021-03-17T16:26:00+01:002021-03-17T16:30:17+01:00RenaudLectureAdolescenceAutobiographieEnfanceEtats-UnisSégrégation <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/black_boy/.black_boy_m.jpg" alt="black_boy.jpg, mar. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Une histoire de l'intégration forcée des codes de domination raciale (USA, années 30)<br /></strong></ins></span></div>
<p>L'histoire de <strong>Richard Wright</strong>, un jeune garçon noir dans le Sud ségrégationniste des États-Unis, dans le Mississippi, Arkansas et Tennessee des années 30 et 40. Le récit est sans fioriture dans le style, franc et direct, avec une attitude descriptive sans psychologie exubérante, respectant à ce titre le regard de l'enfant qu'il était alors — le récit couvre une période vague qui s'étale de ses 4 ans, avec l'incendie de la maison de sa grand-mère qu'il a provoqué jusqu'à ses 20 ans, avec les premiers espoirs de déménagement dans le Nord, à Chicago, symbole de liberté promise. Un roman autobiographique (au moins en partie) écrit à 35 ans qui donne une représentation du racisme brillant par sa sincérité, par sa pénétration, et par sa capacité à rendre le système d'oppression tangible.</p>
<p>Une description minutieuse de l'enfance, celle d'un enfant marquée par la bigoterie de ses grands-parents, par l'hostilité de son environnement, par la pauvreté, la faim, la débrouille. <ins>Black Boy</ins> est toutefois d'une remarquable sobriété de sentiments et évite totalement la moindre trace de misérabilisme — alors que le contenu particulièrement intense aurait pu y conduire sans trop forcer. L'expérience de la faim, notamment, est quelque chose qui structure son état d'esprit, sujet de nombreux questionnements (pourquoi ne puis-je pas manger à ma faim alors que les autres enfants le peuvent ?) et d'un conditionnement hallucinant. Le regard qu'il porte sur les manifestations des inégalités raciales est toujours à hauteur d'enfant, avec autant de simplicité que de naïveté, sans excès d'intellectualisation, reproduisant ainsi un système de pensée franchement incroyable, une immersion dans une enfance chaotique à travers laquelle il navigue comme dans une tempête.</p>
<p> Sa débrouille pour trouver du travail et gagner les quelques dollars qui lui permettront de manger et survivre, en passant inlassablement d'une répression à une autre, en dehors des chemins de l'école — son parcours scolaire est on peut plus chaotique et erratique —, tisse une toile de fond qui rythme tout le récit, avec la figure du Blanc oppresseur (dans le contexte des années 30 dans le Sud des États-Unis) qui se dessine progressivement avec une diversité sans cesse supérieure. Le roman a été critiqué pour son mélange de réel et de fiction, mais au-delà de cette question il en résulte le portrait d'un enfant à l'aube de l'âge adulte pétri de blessures et de fardeaux qui auront largement contribué à sa construction. Le façonnage de son identité n'est jamais vraiment explicite mais c'est quelque chose qui se dégage très bien, en prenant du recul. Tout comme la lutte intérieure constante pour savoir quelle réaction adopter ou ne pas adopter en fonction des situations et des interlocuteurs.</p>
<p>Beaucoup de passages marquants, en plus de l'incendie initial : sa relation avec la furieuse Tante Addie, ses altercations avec Oncle Tom, le combat de boxe avec un autre enfant Noir organisé par des Blancs, les assassinats, la relation avec un Blanc qui lui permettra d'emprunter des livres à la bibliothèque, la maladie de la mère, etc. Un récit à la fois violent et nuancé, partagé entre des élans de conscience sûre et d'impuissance face à l'arbitraire, avec toujours en ligne d'horizon l'apprentissage d'une forme de soumission feinte.</p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Black-Boy-de-Richard-Wright-1945#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/930Story of a Beloved Wife, de Kaneto Shindō (1951)urn:md5:18a8f7cf0d392d37dabdf0eab384cac32020-11-26T22:04:00+01:002020-11-26T22:10:33+01:00RenaudCinémaAutobiographieJaponKaneto ShindōKenji MizoguchiMariageNobuko OtowaRomanceScénariste <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/story_of_a_beloved_wife/.story_of_a_beloved_wife_m.jpg" alt="story_of_a_beloved_wife.jpg, nov. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Shindō scénariste et mise en abyme autobiographique<br /></strong></ins></span></div>
<p>Le <strong>Kaneto Shindō </strong>des débuts, pour son tout premier film en tant que réalisateur, ne ressemble en rien à celui des années 60 (prolixe en propositions formelles incandescentes du type <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Onibaba-de-Kaneto-Shindo-1964"><ins>Onibaba</ins></a>) ni à celui des décennies suivantes. Mais résumer la carrière de <strong>Shindō </strong>à seulement quelques-unes de ses œuvres, alors qu'il est l'auteur de plus de 200 scénarios et de près de 50 mises en scène, serait un exercice bien périlleux, une vision extrêmement biaisée et partiale. Tout ce que l'on peut affirmer avec certitude au sujet de <ins>Story of a Beloved Wife</ins>, c'est que derrière cette mise en abyme du processus créatif au cinéma, mettant en avant le travail d'un scénariste débutant, se cache une part autobiographique sur le premier mariage de <strong>Shindō</strong>.</p>
<p>Loin des exercices de style formels exceptionnels qui l'ont rendu célèbre, la tonalité dominante ici est celle du mélodrame, à travers l'histoire d'un homme ayant perdu toute confiance en lui après que sa proposition de scénario a été rejeté unilatéralement par un réalisateur exigeant, mais qui retrouvera la force de poursuivre grâce au soutien sans faille de sa femme. Le cadre inauguré en introduction pose un contexte plutôt académique, avec un conflit familial explicité sans ambages opposant les deux amants au père de la fille, alors que ce dernier refuse de la voir mariée à un artiste, profession pour laquelle il a très peu de respect. L'abnégation avec laquelle la femme soutiendra son mari, envers et contre tout, en dépit de toutes ses sautes d'humeur et du peu de considération qu'il exprimera pour elle, oriente le film dans un sillon très classique. Pour interpréter le protagoniste, <strong>Jûkichi Uno </strong>se livre à une interprétation d'une sécheresse et d'un détachement assez impressionnants, qui feraient presque passer <strong>Chishū Ryū </strong>pour un joyeux fêtard.</p>
<p>Sauf que derrière le personnage du réalisateur pointilleux, Sakaguchi dans le film, se cache en réalité <strong>Kenji Mizoguchi</strong>, pour lequel <strong>Shindō </strong>avait travaillé en tant que scénariste — et dont on retrouve éventuellement quelques traces thématiques, dans l'exploration de la condition artistique. C'est en tous cas là que surgit la composante autobiographique de l'histoire, ainsi que dans le sort tragique de la femme du scénariste exilée de Tokyo vers Kyoto pour le suivre, contre l'avis de ses parents. Mais la mise en abyme ne s'arrête pas là : pour interpréter la femme de <strong>Shindō </strong>atteinte de tuberculose, c'est l'actrice <strong>Nobuko Otowa </strong>qui fut retenue — elle deviendra la femme et la muse de <strong>Shindō</strong>, jouant dans nombre de ses films postérieurs comme <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-ile-nue-de-Kaneto-Shindo-1960"><ins>L'Île nue</ins></a> et <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Onibaba-de-Kaneto-Shindo-1964"><ins>Onibaba</ins></a>.</p>
<p>En résumé, <ins>Story of a Beloved Wife</ins> est un film réalisé par un homme qui voulait rendre hommage au dévouement de sa défunte femme en la faisant jouer par sa future femme, alors qu'il était en couple avec une troisième femme. Ces années compliquées, tant du point de vue de la production artistique que du contexte de la Seconde Guerre mondiale (les bombes sont annoncées vers la fin du film), trouvent selon ces considérations une autre résonance.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/story_of_a_beloved_wife/.elle_m.jpg" alt="elle.jpg, nov. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/story_of_a_beloved_wife/.lui_m.jpg" alt="lui.jpg, nov. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Story-of-a-Beloved-Wife-de-Kaneto-Shindo-1951#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/864Un Instant d'innocence, de Mohssen Makhmalbaf (1997)urn:md5:16c8419b2200078184fa9d1ba35c63642019-04-18T12:15:00+02:002019-04-18T11:30:38+02:00RenaudCinémaAbbas KiarostamiAutobiographieIranSouvenirTournage <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/instant_d-innocence/.instant_d-innocence_m.jpg" alt="instant_d-innocence.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="instant_d-innocence.jpg, avr. 2019" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Réminiscences</strong></ins></span>
</div>
<p><ins>Un Instant d'innocence</ins>, de l'autre côté du miroir après <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Close-up-d-Abbas-Kiarostami-1990"><ins>Close-Up</ins></a>, comme l'autre face d'une même pièce, forme un diptyque iranien intriguant avec le film d'<strong>Abbas Kiarostami </strong>réalisé 7 ans plus tôt. Dans ce dernier, <strong>Mohsen Makhmalbaf </strong>était le réalisateur (bien qu'acteur du film) dont l'identité avait été usurpée par Sabzian, malgré lui, pris au piège de son mensonge, et dont <ins>Close-Up</ins> racontait l'histoire en se terminant par des excuses magnifiques et terriblement émouvantes. Le lien avec <ins>Un Instant d'innocence</ins> s'avère ainsi relativement direct, de par la présence d'une même personnalité, mais bien au-delà aussi : les deux films partagent la même frontière poreuse entre réalité et fiction et la même composante autobiographique.</p>
<p>Le film de <strong>Mohsen Makhmalbaf </strong>porte sur un événement survenu dans sa propre jeunesse : à la veille de la révolution iranienne, 20 ans plus tôt, il avait poignardé un policier au cours d'une manifestation contre le chah, dans une certaine confusion (qui sera entretenue durant tout le film). Il purgea une peine de 5 ans de prison et à la fin des années 90, le policier qu'il avait agressé le retrouva pour mettre les choses au clair et lui donna l'idée de faire un film à ce sujet. <ins>Un Instant d'innocence</ins>, se présentant sous la forme du tournage du film en question, constitue ainsi une mise en abyme de l'incident, et suit les deux protagonistes au cours de la réalisation, du processus de recrutement des acteurs jusqu'au tournage de la scène à proprement parler.</p>
<p>On le comprend assez vite, les deux hommes (le policier et le cinéaste) n'ont pas les mêmes souvenirs ou du moins pas la même perception de l'histoire passée. On le ressent dès la formation du casting, où des deux recherchent deux jeunes acteurs pour jouer les personnes qu'ils étaient 20 ans plus tôt : les critères de recrutement ne sont visiblement pas du tout les mêmes, et la caméra de <strong>Makhmalbaf </strong>s'en amuse beaucoup. Puis le film se focalise sur les perceptions respectives des deux protagonistes, qui n'ont rien à voir. Il y a d'un côté un policier qui voyait régulièrement une jeune fille passer près de lui, en lui demandant un renseignement : il avait pris cela comme un flirt et avait passé plusieurs jours à se demander comment l'aborder et lui offrir une fleur. De l'autre côté, il y a le futur réalisateur, qui avait engagé une jeune fille pour servir de leurre afin qu'il puisse voler le pistolet d'un policier, mais qu'il poignarda avec un couteau caché sous du pain. Bien sûr, les deux filles des deux histoires correspondent en réalité à la même personne. La confrontation de ces deux subjectivités forme le cœur du récit, à mesure que la brume des multiples confusions se dissipe : c'est l'objet du très beau plan fixe final, et c'est cela qui donne au film son titre original — certes beaucoup moins beau une fois traduit en français, "pain et fleur".</p>
<p>Cet instant capté (ou plutôt retranscrit) par <strong>Makhmalbaf </strong>n'a rien de très innocent, à commencer par l'interdiction en Iran dont fait l'objet le film depuis sa sortie. Il y a quelques passages plutôt drôles, notamment lorsque le policier et le réalisateur cherchent un acteur pour jouer leurs propres rôles : ils semblent à la recherche de leurs jeunesses perdues, à la recherche d'un double correspondant à leurs aspirations respectives. Le policier cherche avant tout quelqu'un de beau, tandis que le réalisateur cherche avant tout un adolescent en phase avec son idéalisme passé, à l'époque où il voulait sauver l'humanité, planter des fleurs en Afrique, et donner du pain aux pauvres. Et il y a cette réminiscence très proustienne des souvenirs, qui se modifient et s'enrichissent, qui se nourrissent du temps qui passe, et qui peuvent ainsi finir idéalisés ou même travestis.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/instant_d-innocence/.heure_m.jpg" alt="heure.jpg" title="heure.jpg, avr. 2019" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/instant_d-innocence/.grille_m.jpg" alt="grille.jpg" title="grille.jpg, avr. 2019" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/instant_d-innocence/.fleur_m.jpg" alt="fleur.jpg" title="fleur.jpg, avr. 2019" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Un-Instant-d-innocence-de-Mohssen-Makhmalbaf-1997#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/639Close-Up, d'Abbas Kiarostami (1990)urn:md5:b0e0b7737864191b53c121ce33155a9e2018-08-08T11:08:00+02:002019-04-18T11:06:22+02:00RenaudCinémaAbbas KiarostamiAutobiographieIranTéhéranUsurpation <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/close_up/.close_up_m.jpg" alt="close_up.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="close_up.jpg, août 2018" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Quand la fiction s'engouffre dans la réalité<br /></strong></ins></span>
</div>
<p>La beauté de la dernière séquence, pourtant mutilée dans sa bande son à cause d'un micro ne fonctionnant qu'à moitié, est renversante. Un choc émotionnel d'une rare intensité, et difficile à anticiper.</p>
<p><ins>Close-Up</ins> est un film unique dans sa manipulation du réel et de la fiction, une collision autant qu'une symbiose entre les deux univers, confectionnées par le chef d'orchestre iranien <strong>Abbas Kiarostami</strong>. La première partie est relativement déroutante car on n'en comprend pas vraiment l'objet, malgré les encarts initiaux nous informant que les acteurs du film n'en sont pas vraiment : on le comprendra plus tard, il s'agit des véritables personnes ayant vécu cette histoire que le film retranscrit autant qu'il accompagne. Et même davantage : le film aura vraisemblablement eu une influence loin d'être négligeable sur la réalité des événements.</p>
<p>C'est, dans un premier temps l'histoire d'un escroc, <strong>Hossain Sabzian</strong>, ayant abusé d'une famille bourgeoise de Téhéran. La scène d'introduction dévoile cela de manière parcellaire, depuis l'intérieur d'une voiture où des hommes, dont l'identité met un certain temps à s'éclaircir, sont en route vers la maison en question pour arrêter celui qui ressemble à un usurpateur. La question de l'identité, incertaine, vacillante, trompeuse, sera sans doute le point névralgique du film, des personnages, et du rapport au cinéma qu'il expose. Le supposé escroc, <strong>Sabzian</strong>, se serait ainsi fait passer pour le réalisateur iranien <strong>Mohsen Makhmalbaf</strong> (l'auteur de <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Un-Instant-d-innocence-de-Mohssen-Makhmalbaf-1997"><ins>Un Instant d'innocence</ins></a>) afin de pénétrer au sein d'un foyer, avec des intentions peu claires initialement, sans cesse réactualisées, à mesure qu'elles sont interprétées par les différents personnages et le prisme de leurs subjectivités successives.</p>
<p>Peu à peu, quelques signaux parasites s'invitent dans la narration jusqu'alors classique. Est-ce vraiment <strong>Kiarostami </strong>que l'on voit ou entend demander au juge s'il a le droit de filmer le procès, et à <strong>Sabzian </strong>s'il accepte d'y figurer ? Serait-ce donc un documentaire ?</p>
<p>Un second niveau de lecture se démarque alors. La personnalité et les motivations de <strong>Sabzian </strong>se dévoilent au fil de plusieurs flashbacks, mis en scène et intercalés au sein d'une séquence montrant son véritable procès. On apprend (ou du moins on croit comprendre) qu'il s'est en quelque sorte retrouvé prisonnier de son propre mensonge, alors qu'il s'était fait passer pour l'auteur du livre qu'il avait dans les mains, à la faveur d'une discussion anodine lors d'un quelconque trajet un bus. Petit à petit, à mesure que la famille dans laquelle il s'est aventuré l'a accepté sous cette identité, il lui était de moins en moins possible de se départir de ce rôle fictionnel.</p>
<p>Et ce n'est pas fini : la famille, au hasard de quelques détails incongrus, commencera à nourrir des doutes quant à sa véritable identité, et se mettra à son tour à jouer un autre rôle, faisant semblant de le croire pour mieux le piéger et l'acculer. Dans cet imbroglio total où tous les niveaux de réalité sont emmêlés, tout le monde joue un rôle de fiction, tout le monde abandonne son identité propre. Le pouvoir de l'image est en ce sens bouleversant.</p>
<p><strong>Kiarostami </strong>dira de <strong>Sabzian </strong>"<em>il y avait des pensées à l'intérieur de ce personnage dont il n'était pas conscient, et il fallait les faire sortir et les lui faire dire. Parfois, pour atteindre la vérité, il faut en partie trahir la réalité.</em>" La question de la frontière extrêmement poreuse entre fiction et réalité est omniprésente et poursuit encore un peu plus loin la réflexion portée par des cinéaste comme <strong>Herzog</strong>, <strong>Flaherty</strong>, <strong>Rouch</strong>, <strong>Seidl </strong>ou <strong>Epstein</strong>.</p>
<p>La personnalité réelle de <strong>Sabzian </strong>ne sera d'ailleurs jamais parfaitement établie, même si on peut raisonnablement en avoir une idée fidèle à la fin, lorsqu'il tombe en pleurs dans les bras de la personne dont il a usurpé l'identité, le véritable cinéaste <strong>Mohsen Makhmalbaf</strong>. À partir de cet instant et jusqu'à la fin du film, au terme d'une balade en moto dans Téhéran pour renouer avec la famille flouée, tout s'entrechoque dans un fracas émotionnel incroyable. C'est d'ailleurs le seul moment où une musique extra-diégétique fait son apparition. Le vrai face au faux, la réalité imbriquée dans la fiction, la notion de représentation du réel, le pouvoir de l'image et donc du cinéma, l'identité à travers la création artistique. Rarement des excuses auront contenu autant de sens, d'implications, de pudeur et d'émotions.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/close_up/.moto_m.jpg" alt="moto.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="moto.jpg, août 2018" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Close-up-d-Abbas-Kiarostami-1990#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/536