Je m'attarde - Mot-clé - Cannibalisme le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearVorace (Ravenous), d'Antonia Bird (1999)urn:md5:34695775901a9344b2960343533d5a442024-01-28T10:00:00+00:002024-01-28T18:47:36+00:00NicolasCinémaAntonia BirdCannibalismeGuy PearceHorreurRobert CarlyleWestern <div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong><img class="media-center" src="https://www.je-mattarde.com/public/NICOLAS/Vorace/.Vorace_m.jpg" alt="" /></strong></ins></span></div><div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong><br /></strong></ins></span></div>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"I said no food. I didn't say there was nothing to eat."</strong></ins></span></div><br />
Avant que son tournage ne commence, Vorace se trouvait placé sous les meilleurs auspices : son acteur principal, l'Écossais <strong style="font-family: var(--sans-serif);">Robert Carlyle</strong><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">, était alors au sommet de sa carrière (</span><ins style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">The Full Monty</ins><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);"> lui ayant offert succès public et nomination aux Oscars) ; quant à son jeune réalisateur, le Macédonien </span><strong style="font-family: var(--sans-serif);">Milčo Mančevski</strong><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">, revenu du Festival de Venise avec le Lion d'Or, il promettait beaucoup. </span><p><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Hélas, après deux semaines d'interventions incessantes de la production, <strong>Mančevski </strong>jeta l'éponge. Pour le remplacer, le studio fit un choix pour le moins étrange en embauchant l'Américain <strong>Raja Gosnell</strong>, piètre metteur en scène spécialisé dans les comédies pour la jeunesse (on lui devra un <ins>Scoobi-Doo</ins> de sinistre mémoire). L'équipe du film, techniciens comme acteurs, virent bien vite que <strong>Gosnell </strong>ne faisait pas l'affaire et l'on frôla, dit-on, la mutinerie. <br /></span><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);"><strong>Robert Carlyle</strong> intervient alors en proposant la réalisatrice <strong>Antonia Bird</strong>, sous la direction de laquelle il avait tourné le drame <ins>Priest </ins>et le polar <ins>Face</ins>. Ainsi le film fut ressuscité et la Britannique fit ses débuts dans le cinéma américain.</span></p>
<p><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);"><ins>Vorace</ins> ressort d'un mélange des genres peu banal : du western et de l'horreur. Le premier genre, emblématique du cinéma hollywoodien, comportait parfois des éléments horrifiques, entre la pratique du scalp par certains indigènes et les massacres perpétrés par les colonisateurs mais je ne souviens pas d'un film qui mêla aussi étroitement les deux genres (même <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Bone-Tomahawk-de-S-Craig-Zahler-2015"><ins>Bone Tomahawk</ins></a>, pour citer un exemple récent, ne bascule dans l'horreur que dans son dernier tiers). <br /></span><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">L'intrigue du film s'inspire du drame de l'expédition Donner, dont certains survivants reconnurent avoir eu recours au cannibalisme, et qui reste encore auréolée d'un certain mystère, propre à générer des fictions (le roman d'</span><strong style="font-family: var(--sans-serif);">Alma Katsu</strong><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">, </span><ins style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">The Hunger</ins><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">, en serait une des dernières réussites).</span></p>
<p><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">À cette base s'ajoutent des couches, en thématiques et personnages.<br /></span><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Le mythe du Wendigo est introduit pour pousser le cannibalisme au-delà d'un pragmatisme à des fins de survie et procurer une couleur horrifique et fantastique. Un mythe qui se rapproche de celui, occidental et donc plus connu de la plupart des spectateurs, du vampire. En effet, le scénariste, <strong>Ted Griffin</strong>, dit s'être inspiré pour le personnage principal de la nouvelle de </span><strong style="font-family: var(--sans-serif);">Dashiell Hammett</strong><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">, </span><ins style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">The Thin Man</ins><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);"> (le maître du roman noir ne dédaignait pas l'épouvante, puisqu'il publia une anthologie de nouvelles du genre : </span><ins style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Creeps by Night: Chills and Thrills</ins><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">...) et son interprète, le mince </span><strong style="font-family: var(--sans-serif);">Robert Carlyle</strong><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">, évoque aisément les créatures de la nuit des contrées d'Europe de l'est (hormis le prologue, mexicain, le film fut tourné en Slovaquie).</span></p>
<p><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Cet inconnu qui débarque en ville (bien qu'ici, il ne s'agisse que d'un camp fortifié) est une figure classique du western. Elle sera opposée à d'autres, bien moins classiques. </span></p>
<p><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Au premier rang desquels se trouve le "héros" de l'histoire, un jeune officier qui porte d'emblée une ambigüité : décoré pour avoir pris le contrôle d'un poste de commandement ennemi suite à un affrontement qui le laissa seul survivant de son unité, il nous est révélé qu'il ne doit sa survie, et la manœuvre décisive qui s'ensuivit, qu'à la peur..., celle qui le saisit sur le champ de bataille, le fit faire le mort et se retrouver sous les corps dégoulinants de sang de ses compagnons d'arme. Une épisode qui lui coupa l'appétit pour les mets carnés (ironiquement, son interprète, l'Australien </span><strong style="font-family: var(--sans-serif);">Guy Pearce</strong><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">, est végétarien – il est dit que dans certaine scène, il mâchait très professionnellement les morceaux de viande d'un ragoût avant de les recracher dès le mot "Cut !" prononcé). Sa couardise découverte, il est exilé dans un fort isolé au sein des montagnes et de l'hiver de l'Ouest.</span></p>
<p><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Il y rencontre un ensemble de personnages hétéroclites. </span><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Sous la supervision d'un colonel désabusé se trouvent : un commandant alcoolique ne décuvant guère de la journée, un jeune aumônier zélé, un soldat acharné à l'entraînement et un autre qui passe trop de temps à fumer les herbes médicinales des deux aides de camp indigènes...</span></p>
<p><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Un fois rejoint par un mystérieux individu se disant rescapé d'une expédition perdue, l'action principale peut être lancée. <br /></span><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Car si le film sait donner matière à réflexion, il est essentiellement un thriller et vise avant tout au suspense. <br /></span><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Il l'atteint régulièrement (la séquence pivot du retour sur les traces de l'expédition en étant sans doute l'apogée).<br /></span><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Et, jusqu'à la fin, se succèdent de nombreuses péripéties, dans des humeurs variées : l'angoisse sourde est ponctuée d'éclats sanglants, les considérations existentielles, contrebalancées par l'humour (noir, forcément). </span></p>
<p><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Le film n'est pas sans défaut : quelques rebondissements n'étaient peut être pas des plus nécessaires alors que le final aurait gagné à être plus développé (sur ce point, l'ingérence des producteurs, qui tinrent à changer le scénario pour un choix qu'ils jugeaient moins risqué, mais qui était surtout moins ambitieux, ainsi le manque de moyens qui affecta les derniers jours de tournage, pénalisent l'ouvrage).</span></p>
<p><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">L'ensemble, par sa générosité, se suit tout de même agréablement. </span><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">En outre, il dispose d'un atout majeur : sa musique originale. <br /></span><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Celle-ci est composée conjointement par deux artistes aux parcours bien différents.<br /></span><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Le premier, </span><strong style="font-family: var(--sans-serif);">Michael Nyman</strong><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">, est un musicien anglais de formation classique bien installé à Hollywood. On lui doit la célèbre partition de </span><ins style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">La Leçon de piano</ins><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">. <br /></span><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Le second est plus inattendu : </span><strong style="font-family: var(--sans-serif);">Damon Albarn</strong><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">, leader du groupe pop-rock anglais <strong>Blur</strong>, qui était alors dans une période de transition, entre la séparation de son groupe et la fondation du prochain (<strong>Gorillaz</strong>). </span><strong style="font-family: var(--sans-serif);">Antonia Bird</strong><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);"> lui offrit un petit rôle dans son film </span><span style="font-family: var(--sans-serif);"><ins>Face</ins></span><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);"> puis l'embarqua dans l'aventure de </span><span style="font-family: var(--sans-serif);"><ins>Vorace</ins></span><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">.</span></p>
<p>La bande qui ressortit de cet étrange attelage mérite bien son qualificatif d'"originale". <br /><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Utilisant les sonorités d'instruments traditionnels, usant de boucles et distorsions électroniques, détournant des hymnes patriotiques, les morceaux qui la composent sont tous différents mais complémentaires et le tout exprime à merveille l'étrangeté et l'ironie que porte le film. <br /></span><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);">Un quart de siècle plus tard, c'est souvent par cette bande originale, jugée parmi les meilleures de son époque, que cette plaisante série B se rappelle à notre souvenir.</span></p>
<p><span style="font-family: var(--sans-serif); font-size: var(--body-font-size);"><img class="media-center" src="https://www.je-mattarde.com/public/NICOLAS/Vorace/.Vorace__1__s.jpg" alt="" /><img class="media-center" src="https://www.je-mattarde.com/public/NICOLAS/Vorace/.Vorace__2.2__s.jpg" alt="" /><img class="media-center" src="https://www.je-mattarde.com/public/NICOLAS/Vorace/.Vorace__3__s.jpg" alt="" /><img class="media-center" src="https://www.je-mattarde.com/public/NICOLAS/Vorace/.Vorace__8__s.jpg" alt="" /><br /></span></p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Vorace-Ravenous-d-Antonia-Bird-1999#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1348L'armée de l'empereur s'avance, de Kazuo Hara (1987)urn:md5:7fa923d77a30794c65571386127675412020-12-16T23:01:00+01:002020-12-16T23:01:00+01:00RenaudCinémaCannibalismeDocumentaireGuerreJaponNouvelle-GuinéeSeconde Guerre mondiale <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/armee_de_l_empereur_s_avance/.armee_de_l_empereur_s_avance_m.jpg" alt="armee_de_l_empereur_s_avance.jpg, déc. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>The Act of Killing and Cannibalizing<br /></strong></ins></span></div>
<p>Le malaise provoqué par le visionnage d'un documentaire comme <ins>L'armée de l'empereur s'avance</ins> s'apparente à celui d'un autre film, beaucoup plus célèbre : celui réalisé par <strong>Joshua Oppenheimer </strong>en 2013, <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/The-Act-of-Killing-de-Joshua-Oppenheimer-2013">The Act of Killing</a></ins>. Plutôt que de s'intéresser à un massacre de masse qui éradiqua le Parti communiste indonésien, l'objet ici est un incident à la fin de la Seconde Guerre mondiale survenu en Nouvelle-Guinée, au sein de l'armée japonaise. Deux camarades de <strong>Kenzo Okuzaki</strong>, le personnage au centre du film (un des rares survivants), furent exécutés pour d'obscures raisons sur lesquelles il s'efforcera de faire la lumière. Y compris en utilisant la violence ("violence is my forte" dira-t-il) et en témoignant une opiniâtreté sans égale...</p>
<p>Le docu commence par un mariage un peu étrange, avec un discours hallucinant de la part d'<strong>Okuzaki </strong>: il raconte comment il a été condamné pour le meurtre d'un courtier, pour son attaque à la fronde de l'empereur Hirohito (contre lequel il nourrit une hostilité impressionnante), ainsi que la diffusion d'images pornographiques de l'empereur lui-même... Un personnage bien singulier, dont on ne cernera pas tous les aspects à l'issue du documentaire, obstiné dans sa quête pour découvrir la vérité au sujet du meurtre de ces deux soldats japonais par des hauts gradés. Le docu se structure autour de la recherche de la vérité et le dévoilement de mensonges (en soulignant des contradictions, notamment) au gré des rencontres faites par <strong>Okuzaki</strong>, souvent à l'improviste, apparemment impréparées.</p>
<p>On se demande souvent quel est le niveau de mise en scène d'un tel témoignage. Le protagoniste semble tellement en roue-libre, le rapport entre le réalisateur et son sujet reste assez incertain, avec quelques passages douteux qui vont très loin (que l'on peut voir comme une forme de neutralité de la caméra). La révélation au sujet des cas de cannibalisme est quand même édifiante (avec un fameux "cochons noirs contre cochons blancs"), avec des pointes d'humour noir surréalistes (ils ne mangeaient pas les indigènes car ils couraient trop vite pour les attraper). Une exploration sur le thème de la mémoire de guerre et de la culpabilité souvent inconfortable, qui se termine sur un carton indiquant qu'<strong>Okuzaki </strong>reçut une peine d'emprisonnement de 12 ans à l'issue du film, pour tentative de meurtre sur (le fils de) un officier responsable de l'exécution de ses camarades plusieurs jours après la fin de la guerre.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/armee_de_l_empereur_s_avance/.mariage_m.jpg" alt="mariage.jpg, déc. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-armee-de-l-empereur-s-avance-de-Kazuo-Hara-1987#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/877Le Ciel et la boue, de Pierre-Dominique Gaisseau (1961)urn:md5:32fde066c365332ed68ee1adebc2f35b2019-09-10T20:30:00+02:002019-09-10T21:54:08+02:00RenaudCinémaCannibalismeDocumentaireEthnologieExplorationNouvelle-GuinéePapouasie <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ciel_et_la_boue/.ciel_et_la_boue_m.jpg" alt="ciel_et_la_boue.jpg, sept. 2019" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"Ces histoires que l'on raconte et qui ne sont plus tout à fait celles que l'on a vécues."</strong></ins></span>
</div>
<p>En Septembre 1959, une équipe d'aventuriers (accessoirement cinéastes et ethnologues) menée par <strong>Pierre-Dominique Gaisseau </strong>se lançait dans une expédition à l'autre bout du monde, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. À l'époque le pays n'avait pas encore obtenu son indépendance (c'était une colonie hollandaise) mais formait déjà avec l'actuelle Nouvelle-Guinée occidentale (alors colonie australienne) la troisième plus grande île du monde après l'Australie et le Groenland. À l'époque où <strong>Jean Rouch </strong>parcourait la Côte d'Ivoire et le Mali pour établir les bases de l'ethnofiction, au début du mandat présidentiel de <strong>De Gaulle</strong>, <strong>Gaisseau </strong>partait explorer des horizons exotiques inexplorés au cours d'une mission qui allait durer plus de sept mois. Une expédition qui de par ses inconnues cartographiques rappelle étrangement, et de manière presque anachronique, celles du début du siècle restituées par <strong>Frank Hurley </strong>(<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/South-de-Frank-Hurley-1919"><ins>South</ins></a>, 1914), <strong>Herbert Ponting </strong>(<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Eternel-Silence-de-Herbert-Ponting-1924"><ins>L'Éternel Silence</ins></a>, 1924) ou encore <strong>J.B.L. Noel</strong> (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Epopee-de-l-Everest-de-J-B-L-Noel-1924"><ins>L'Epopée de l'Everest</ins></a>, 1924) : mais là où les capitaines de la couronne britannique exploraient les sommets de l'Himalaya ou les extrêmes polaires, l'équipe franco-hollandaise est partie à la découverte de la jungle de l'Asie du Sud-Est, à travers une jungle dense et inhospitalière comme a pu la décrire <strong>Werner Herzog </strong>dans ses récits — en films (comme par exemple <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Portraits-croises-Fitzcarraldo-de-Werner-Herzog-1982-et-Burden-of-Dreams-de-Les-Blank-1982"><ins>Fitzcarraldo</ins></a>) ou en carnets (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Conquete-de-l-inutile-de-Werner-Herzog-2009"><ins>Conquête de l'inutile</ins></a>).</p>
<p>Mais le récit que <strong>Gaisseau </strong>raconte intégralement en voix off sur les images de l'expédition ne présente pas de véritable intérêt ethnographique, son but premier affiché. Les éléments factuels sur les différentes tribus rencontrées sont extrêmement restreints, limités à quelques constatations un peu sensationnalistes (et très peu étayées) autour du cannibalisme supposé de ces "chasseurs de têtes". On n'apprendra pas grand-chose sur leur mode de vie, sur leurs interactions avec les autres tribus au-delà de différends classiques : seuls quelques rites sont présentés, comme la fabrication de boucliers (les hommes ne penseraient qu'à faire la guerre) ou encore la célébration très métaphorique d'un acte de paix vu comme une nouvelle naissance. Sans parler de l'affiche internationale du film, particulièrement racoleuse : "<em>men of the space age meet men of the stone age</em>"...</p>
<p>Si ce récit est vraiment intéressant, aussi, c'est bien plus pour le témoignage qu'il renvoie indirectement sur la France du début des années 60 et sur les motivations véritables qui animent la partie occidentale du groupe : le désir d'aventures. Les tendances colonialistes se font évidemment sentir dans la façon de décrire l'organisation "préhistorique" de ces "sauvages", notamment lorsqu'il constate qu'ils ne comprennent pas l'intérêt d'une hache avec une lame en métal plutôt qu'en pierre, bien que quelques remarques très politiquement correctes émaillent la narration ("nous sommes frappés par la ressemblance entre leurs gestes, leurs regards, et les nôtres" confessera-t-il après une séance de rasage improvisé). Mais <strong>Gaisseau </strong>est bien plus occupé, dans la deuxième partie du documentaire, à raconter les exploits du groupe à travers cette jungle qui s'apparente très clairement à un enfer vert. On est loin de l'expédition isolée au fin fond du monde : l'encadrement par des militaires papous armés, les ravitaillements par avion et les contacts radio, aussi rares et providentiels soient-ils, tendent à affaiblir la puissance de l'exploit. Mais on sent tout de même avec vigueur les horreurs qu'ils se sont infligées, la chaleur insoutenable dans la plaine et le froid saisissant sur les crêtes à plus de 3600 mètres d'altitude, l'humidité pénétrante, la boue envahissante, les nombreuses maladies qui feront plusieurs morts parmi les sherpas locaux, les animaux, reptiles et insectes omniprésents (ah, les mouches et les sangsues...), l'angoisse de la faim, la peur des nouvelles rencontres et bien d'autres. Il y a aussi et surtout le bruit incessant de la jungle, relevé à de nombreuses reprises, qui semble relever de la torture.</p>
<p>Au milieu de leur périple, ils recevront des coupures de presse (larguées par avion au milieu des vivres) montrant les premiers clichés de la face cachée de la lune réalisés par la sonde soviétique issue du programme Luna. Ils sont perdus au milieu d'une jungle ne figurant à l'époque sur aucune carte, et ils reçoivent des informations cartographiques sur un satellite situé à 380 000 kilomètres de la Terre. Le ciel et la boue... Lorsqu'ils atteignent enfin la côte Nord de l'île, au terme d'un voyage qui a bien dû représenter plus de mille kilomètres, la mélancolie les envahit et <strong>Gaisseau </strong>pense déjà à la suite : "<em>un jour, il faudra repartir</em>". Et dans un moment de lucidité ou de sincérité, comme pour relativiser le contenu de son propre récit, il terminera sur ces "<em>histoires que l'on raconte et qui ne sont plus tout à fait celles que l'on a vécues</em>".</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ciel_et_la_boue/.tribu_m.jpg" alt="tribu.jpg, sept. 2019" /><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ciel_et_la_boue/.bateau_m.jpg" alt="bateau.jpg, sept. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ciel_et_la_boue/.canoes_m.jpg" alt="canoes.jpg, sept. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ciel_et_la_boue/.cranes_m.jpg" alt="cranes.jpg, sept. 2019" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Ciel-et-la-boue-de-Pierre-Dominique-Gaisseau-1961#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/706Bone Tomahawk, de S. Craig Zahler (2015)urn:md5:a81f597e138ebbb4dc762468765fd1d12018-01-21T16:42:00+01:002018-01-21T16:43:24+01:00RenaudCinémaCannibalismeHorreurKurt RusselMatthew FoxSérie BViolenceWestern <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bone_tomahawk/.bone_tomahawk_m.jpg" alt="bone_tomahawk.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="bone_tomahawk.jpg, janv. 2018" /><div id="centrage">
<span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Le festin nu et le cri du sorcier (indien)<br /></strong></ins></span>
</div>
<p>Le genre de petite surprise qui fait plaisir. On y va presque à l'aveugle, sans être victime d'une campagne de communication harassante, sans attendre autre chose que de voir les têtes d'affiche qu'on apprécie, dans un genre a priori sympathique, et on est servi (en plus d'être agréablement surpris). Une tripotée de bonnes têtes connues (<strong>Kurt Russel</strong>, <strong>Richard Jenkins</strong>, <strong>Matthew Fox </strong>et <strong>David Arquette</strong>) dans un genre moins restreint qu'escompté (c'est clairement un western, mais baignant assez agréablement dans les eaux troubles de l'horreur et de la série B), le tout rassemblé dans un premier film réalisé par un quasi-inconnu : autant d'éléments constituant une base appréciable qui aurait pu, comme souvent, mal tourner.</p>
<p>Mais force est de constater que <strong>S. Craig Zalher </strong>s'est fixé un cap et s'y tient avec rigueur et vigueur. Passée une introduction on ne peut plus typée western, passage obligé (mais bien négocié, hormis quelques scènes inutiles) nous gratifiant de la traditionnelle phase des présentations en guise d'amuse-bouche, <strong>Bone Tomahawk</strong> n'aura de cesse de jouer à la limite des genres (le trio western-horreur-série B, donc) et de jouer avec nos attentes.</p>
<p>D'une part, les personnages sont bien écrits, des tempéraments forts sans en faire trop, juste ce qui faut pour maintenir une dynamique tout au long du film. On savoure rapidement les affinités et les tensions qui émaillent l'équipée sauvage lancée à la rescousse de quelques disparus, rompant la tranquillité de la paisible Bright Hope. Quatre protagonistes, quatre personnalités bien différentes, servies par des dialogues qui font mouche, à la fois désuets et authentiques.</p>
<p>D'autre part, la représentation de ces Indiens en agresseurs invisibles et très violents, à la fois classiques car propres au genre et originaux de par leur comportement, leurs mœurs, et l'atmosphère fantastique qui enveloppe chacune de leurs apparitions. Une tribu isolée dans une grotte en haut d'une montagne (d'où leur nom, "les troglodytes"), adepte du cannibalisme et d'une vision de la procréation assez singulière. Un mode de communication assez effrayant, une sorte de hurlement singulier rendu possible par l'implantation d'os (?) directement dans la trachée : on n'est pas loin de la terreur du cri d'<strong>Alan Bates </strong>dans <ins>The Shout</ins> de <strong>Skolimowski </strong>et du délire organique et osseux propre à <strong>Cronenberg</strong>.</p>
<p>Si cette population vorace et virulente avait été un peu plus soignée, dans sa dynamique de groupe, sa psychologie et ses apparitions, on tenait là une vraie pépite. En tant que petit western horrifique de série B (pour brutal), c'est génial.</p>
<div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bone_tomahawk/.russel_m.jpg" alt="russel.jpg" title="russel.jpg, janv. 2018" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bone_tomahawk/.protagonistes_m.jpg" alt="protagonistes.jpg" title="protagonistes.jpg, janv. 2018" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bone_tomahawk/.crane_m.png" alt="crane.png" title="crane.png, janv. 2018" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/bone_tomahawk/.corps_m.jpg" alt="corps.jpg" title="corps.jpg, janv. 2018" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Bone-Tomahawk-de-S-Craig-Zahler-2015#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/478Cannibal Holocaust, de Ruggero Deodato (1980)urn:md5:fa874723b880e664e79f8e52e996d8a32011-08-04T18:05:00+02:002011-08-23T14:14:03+02:00RenaudCinémaCannibalismeCritiqueHorreurPolémique <a title="cannibal_holocaust.jpg" href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/cannibal_holocaust/cannibal_holocaust.jpg"><img title="cannibal_holocaust.jpg, août 2011" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="cannibal_holocaust.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/cannibal_holocaust/.cannibal_holocaust_m.jpg" /></a><br />
<p> Pour être tout à fait franc, on ne saurait conseiller <ins>Cannibal Holocaust</ins> à n'importe qui. Et ajouter à cela qu'on l'a apprécié, c'est prendre le risque de passer pour quelqu'un de déviant. À titre d'exemple, le dernier film de qualité m'ayant autant mis mal à l'aise fut <ins>Salò ou les 120 Journées de Sodome</ins>, de <strong>Pier Paolo Pasolini</strong>.</p>
<p>Dés le début, le film dérange. On sait qu'il est arrivé quelque chose à ces quatre reporters partis dans la forêt amazonienne tourner un « documentaire » sur des tribus anthropophages, mais il faudra attendre la seconde moitié du film pour le découvrir plus en détail, les deux parties qui le composent étant agencées de manière non chronologique. La première partie du film est consacrée à l'équipe partie à leur recherche, secondée par le professeur Harold Monroe, un anthropologue de l'université de New York. À défaut de les retrouver en chair et en os (ceux qui ont déjà vu le film apprécieront l'humour), ils se contenteront des bobines du film - qui était censé leur rapporter un Oscar et les couvrir d'argent - que la tribu des Yanomamos avait érigées en trophée. Trophée composé de pellicules mêlées à des ossements divers afin de repousser les mauvais esprits... Et ce sont ces bobines que le professeur Monroe (et nous avec) visionne dans un deuxième temps (<ins>Le Projet Blair Witch</ins> (1999) n'a rien inventé...). Comme on s'en doutait, les quatre reporters sont morts dans des conditions assez inhabituelles...</p>
<p>Autant dire que malgré l'ancienneté du film, l'effroi vous envahira. Afin de pousser le degré de réalisme à son maximum, <strong>Ruggero Deodato</strong> mêla tortures truquées d'êtres humains et véritables mises à mort d'animaux (la scène de la tortue dépecée vivante est particulièrement insoutenable), en jonglant habilement entre ces deux registres. Tellement habilement qu'à la sortie du film, il dut donner la preuve que tous ses acteurs étaient bel et bien en vie... Quant aux épisodes animaliers (qu'il avouera regretter par la suite), il s'en justifia froidement : « Les quotas de chasse ont été respectés.»</p>
<p>La puissance de <ins>Cannibal Holocaust</ins> réside dans le transfert qui s'opère au fur et à mesure qu'on progresse dans le film. Alors que la première partie pose clairement le clan des civilisés (vous, moi, le professeur Monroe, les quatre reporters) face à celui des sauvages (les différentes tribus cannibales, chez qui les conséquences de l'adultère sont particulièrement sévères à l'égard des femmes, la première scène choc du film), la deuxième partie révèle que ces reporters ne sont pas tout à fait innocents dans leur quête du sensationnel. Il s'agit manifestement d'un euphémisme : on ne sort pas indemne de cette attirance perverse pour le macabre dont témoignent nos gentils reporters. Entre la fausse couche qualifiée de « chirurgie sociale » par le caméraman (bébé mort-né arraché manu militari du ventre de sa mère puis enterré à même la boue) et le viol d'une jeune fille Yanomano par les trois reporters mâles qui sera ensuite empalée (l'image du film la plus connue), les repères normatifs précédemment établis vont progressivement se brouiller, pour finalement voler en éclats. <br />
Le côté « horreur » du film n'est absolument pas gratuit, comme on peut s'en attrister en regardant un <ins>Saw</ins> (Saw 47 par exemple). Ici, il est mis au service de la dénonciation du manque d'éthique qui caractérise notre vie quotidienne, en nous tendant un miroir plutôt dérangeant. Tout le long du film, on est face à notre propre voyeurisme, cette faim insatiable pour le morbide. Et sans crier gare, le piège se referme sur nous. <br />
La composition musicale de <strong>Riz Ortolani</strong>, qui colle à la peau dès les premiers instants, ne fait que contribuer à ces sentiments antagoniques que sont la curiosité malsaine et le dégoût qu'elle suscite. Le thème principal, plutôt enjoué et apaisant, présent aussi bien dans des passages futiles que dans les moments les plus horribles, accompagne les premières scènes et le générique de fin, et ne vous lâchera pas d'un long moment.</p>
<p><strong>Ruggero Deodato</strong> assène un violent coup à la notion de norme que nous croyons universelle, et dont nous pensons être les vertueux garants. Il met le doigt sur un travers terrible et aveuglant qui sommeille en chacun de nous.<br />
D'autres questions sont légitimement amenées. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour nous surprendre chaque jour un peu plus ? Sommes-nous vraiment innocents dans cette recherche maladive de sensations fortes dans la plupart des médias ? La réponse est clairement non. Le film a beau dater (1980, déjà !), certains trucages sont clairement dépassés, mais le propos reste intact : il entre parfaitement en résonance avec la société d'aujourd'hui. Et ça fait froid dans le dos...</p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Cannibal-Holocaust#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/15