Je m'attarde - Mot-clé - Essai le temps d'un souffle<br />2024-03-29T08:45:23+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearLa Fabrique du consommateur, de Anthony Galluzzo (2020)urn:md5:962c4b60529370ddd904c2ce68574f892023-05-03T16:02:00+02:002023-05-03T15:04:00+02:00RenaudLectureAnthony GalluzzoConsommationConsumérismeEssaiPaysanPolitiqueRuralité <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/fabrique_du_consommateur/.fabrique_du_consommateur_m.jpg" alt="fabrique_du_consommateur.jpg, mars 2023" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Notes de lecture</strong></ins></span></div>
<p>Dans le prolongement du travail de <strong>Anthony Galluzzo</strong> présenté récemment dans son excellent livre <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Mythe-de-l-entrepreneur-de-Anthony-Galluzzo-2023"><ins>Le Mythe de l'entrepreneur</ins></a>, retour rapide et un peu brut sur la lecture de son précédent ouvrage, <ins>La Fabrique du consommateur</ins>, à travers ces quelques notes de lecture livrées en l'état.</p>
<hr />
<p>Un travail touffu, orné d'une solide biblio et très agréable à lire sur l'évolution du mouvement de croissance et de diversification de la consommation, du milieu du 19ème siècle jusqu'au début du 21ème siècle. Un spectre large d'un peu moins de 200 ans qui épouse l'avènement du marché mondial, à travers l'interconnexion planétaire selon une quantité sans cesse croissante d'objets et de modes, et ce en prenant pour point d'origine la subsistance autonome des paysans français qui vivaient en autarcie vers 1800.</p>
<p>La contextualisation de la problématique au début du 19ème siècle, dans la France rurale et fragmentée en parties indépendantes, est assez intéressante : une époque où les contraintes de transport (routes et moyens de locomotion essentiellement) enfermaient les habitants dans leurs villages, formant des ilots autarciques qui maîtrisaient, sous la contrainte de survie bien sûr, toute la chaîne de production. L'exemple du quotidien paysan est éloquent, de la possession d'outils actifs plutôt que d'objets passifs, du conditionnement du cochon (hier activité plurielle et familiale, aujourd'hui réduit pour beaucoup aux barquettes sous vide du supermarché).</p>
<p>Le chapitre portant sur la marque comme transfert de responsabilité et de standardisation montre comment elle agit sur les imaginaires et les représentations, comment elle constitue une sorte de palliatif à la dépersonnalisation des échanges, phagocytant la valeur d'usage. Dans un registre connexe, il est question de la translation de l'intérêt des boutiquiers vers les grands magasins : passage de peu d'articles chers où la négociation avait sa place à un stock d'articles peu chers, dans un flux continu au sein d'une spectacularisation de la marchandise (cf. la psychologie des foules chez <strong>Gustave Le Bon</strong>). Apparaît à ce moment la notion de cathédrale de la consommation, avec sédentarisation de la clientèle sur le lieu de vente, socialisation de la clientèle féminine, et étourdissement des clients devant l'infini de consommation qui s'offre à eux.</p>
<p>L'histoire de la culture matérielle bourgeoise prend le relais, avec les objets vivants (domestiques, femmes), l'économie de la valeur-signe (cf. <strong>Baudrillard </strong>et <strong>Thorstein Veblen</strong>) en plus des valeurs d'échange et d'usage en économie classique. La peur de l'homogénéisation, avec le besoin de cultiver une singularité, pousse à devenir l'entrepreneur de sa propre distinction.</p>
<p>Le passage du magasin au magazine, avec un modèle économique précis qui conditionne fortement le contenu éditorial. Le cinéma comme éducation à la consommation, avec implémentation d'un imaginaire et normalisation de la marchandise : les flappers (garçonnes en français), métaphore du changement social où l'identité passe par l'apparence. Sous les traits de la femme émancipée naît la consommatrice moderne. La femme et l'enfant vus comme catalyseurs puissants de consommation, de nouveaux marchés à conquérir, de nouveaux relais du discours publicitaire. La contre-culture, aussi, comme vecteur puissant de l'ordre capitaliste à même de trouver dans n'importe quel mouvement le support de sa croissance.</p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Fabrique-du-consommateur-de-Anthony-Galluzzo-2020#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1146Le Mythe de l'entrepreneur, de Anthony Galluzzo (2023)urn:md5:50f62d10a401b54e35843da6762579972023-03-22T15:29:00+01:002023-03-22T15:33:36+01:00RenaudLectureAnthony GalluzzoCalifornieCapitalismeEssaiEtats-UnisInformatiquePolitiqueSilicon ValleySteve JobsSteve WozniakTechnologie <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/mythe_de_l-entrepreneur/.mythe_de_l-entrepreneur_m.jpg" alt="mythe_de_l-entrepreneur.jpg, mars 2023" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Redonner sa part au hasard</strong></ins></span>
</div>
<p>Construction originale d’un essai qui semble d'abord chercher à définir les termes d'un sujet, explicites en apparence (tout le monde a déjà entendu parler de la notion d'entrepreneur, même si la distinction avec celle de patron n'est pas si claire a priori et nécessite des précisions) mais en apparence seulement. Les deux premiers chapitres s'attachent donc à exploiter une étude de cas avec l'histoire de <strong>Steve Jobs</strong>, un régal de décorticage de deux aspects du mythe, le côté créateur (le génie visionnaire sortant du néant, dans une conception schumpétérienne) avec en l'occurrence l'image assimilée par tout le monde des deux gamins, avec <strong>Steve Wozniak</strong>, dans leur garage et le côté héroïque du capitaine allant contre les idées reçues et contre les obstacles jetés sur son chemin pour illuminer les masses.</p>
<p>J'ai toujours été fasciné par ces talk-shows américains montrant ce genre de personnages sur une estrade qui annonce une "révolution" (dans une version parodique qu'on croirait pompée sur un sketch des Guignols), à quel point ils pouvaient avoir une influence immense sur des gens à travers le monde. C'est un peu la version tech de la messe, et le bouquin s'intéresse beaucoup à la contribution d'Apple à la réécriture de l'histoire, comme si <strong>Jobs </strong>avait inventé from scratch l'ordinateur personnel — avec une invisibilisation totale de tout ce qui permet la création et l'industrialisation de ce genre d'objets, à commencer par les développements précédents, nombreux, et la contribution de l'État, qui a largement participé à la subvention. Je n'avais pas ou peu conscience du récit autour du personnage (l'enfance, le génie, la chute, la renaissance, la mort), et <strong>Anthony Galluzzo </strong>s'est farci une quantité de biographies vomitives assez hallucinante pour en faire un tel compte-rendu, chapeau. L'aperçu donné des poncifs journalistiques est délicieux.</p>
<p>Ce que j'ai le plus apprécié je pense, c'est la suite : le travail sur la violence d'une telle industrie (avec l'exemple de Foxconn notamment, archétype parfait de la fausse innocence du capitalisme néo-libéral qui délocalise toutes les horreurs et qui nie toute connaissance du sort réservé aux travailleurs à l'autre bout du monde), l'histoire récente de la construction du mythe à deux grandes époques (en remontant à la fin du XIXe siècle avec les figures de grands industriels comme <strong>John D. Rockefeller </strong>ou <strong>Andrew Carnegie</strong>, avec notamment la grève et la fusillade marquantes de Homestead, et la différence entre entrepreneur supérieur et vil capitaliste), et la légitimation d'un ordre social (avec en particulier l'opposition entre <strong>Jobs </strong>et quelqu'un comme <strong>Bill Gates</strong>, le premier ne s'étant jamais préoccupé de travailler son image de philanthrope).</p>
<p>De <strong>Thomas Edison </strong>à <strong>Elon Musk</strong>, la vision d'ensemble donne quand même le vertige sur plus d'un siècle, à préciser comment tout cela est rendu possible et diffusé à travers le monde, d’autant que le bouquin ne laisse guère de place à l’optimisme (tout gourou est voué à être remplacé, peu importe les démonstrations concernant ses escroqueries type <strong>Elizabeth Holmes</strong>, et on se moquait déjà à l’époque de <strong>Carnegie </strong>par exemple). Tout le monde se fout complètement qu'on en vienne à tendre des filets autour des immeubles d'une usine chinoise pour limiter les suicides d'ouvriers fabriquant des composants à la source de 90% du matériel informatique mondial. Le sang des travailleurs se dilue dans l'eau des océans traversés par les porte-conteneurs, et on n'aura jamais de documentaire sur l'intérieur de ces entreprises où tout est effroyablement contrôlé. Le niveau de cynisme qui règne est inimaginable, allant chez certains de ces héros à affirmer que ce sont les plus pauvres les plus chanceux car ils auront vraiment le goût de la réussite conquise sur des conditions difficiles (des discours aussi passionnants que ceux de <strong>Reagan</strong>). Je n’avais pas du tout conscience de l’étendue de la puissance d’un tel mythe et <ins>Le Mythe de l'entrepreneur</ins> aura donc eu aussi cette vertu-là.</p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Mythe-de-l-entrepreneur-de-Anthony-Galluzzo-2023#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1145La Fabrication du consentement, de Noam Chomsky et Edward Herman (1988)urn:md5:04e7a669a636bed86fec2ba6870aa84f2020-10-01T10:38:00+02:002020-10-01T09:49:24+02:00RenaudLectureConditionnementDémocratieEssaiEtats-UnisGuatemalaGuerreGuerre du VietnamMédiasNicaraguaNoam ChomskyPolognePropagandeSalvadorVietnam <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/fabrication_du_consentement/.fabrication_du_consentement_m.jpg" alt="fabrication_du_consentement.jpg, oct. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Du filtrage de l'information au conditionnement pavlovien</strong></ins></span></div>
<p>À lire en complément, pour poursuivre au-delà de la thèse principale publiée par (le célèbre) <strong>Noam Chomsky </strong>et (l'oublié) <strong>Edward Herman </strong>en 1988, augmentée en 2002 : un entretien réalisé par <strong>Daniel Mermet </strong>pour le Monde diplomatique en 2007 : <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2007/08/CHOMSKY/14992">article en accès libre</a>.</p>
<p><ins>La Fabrication du consentement</ins> est le fruit d'un travail universitaire rigoureux, soutenant une thèse touffue qui modélise les empires médiatiques des sociétés occidentales comme les tentacules d’un régime de propagande — le terme retenu n’est pas pris à la légère — complexe, et à ce titre il en ressort un défaut (ou du moins une difficulté) évident : c'est long, dense, farci de notes et de références. Il en résulte une lecture difficile, pour ne pas dire éprouvante. La thèse des auteurs, résumée de manière très succincte : les médias constituent un système globalement homogène qui communique des symboles et des messages implicites (avec effet Pavlov moral et intellectuel) à la population, et servent d'instruments à une vaste communication idéologique visant notamment à promouvoir le libéralisme économique et à légitimer la politique étrangère des États-Unis. C'est un peu la destruction d’un miroir aux alouettes, celui des illusions démocratiques quant aux prétendues neutralité et nécessité des médias.</p>
<p>Le modèle, évoqué dans les premières parties avant de le mettre à l'épreuve avec plusieurs cas de figure, se base sur une série de 5 critères, 5 filtres qui conditionnent profondément la nature de l’information produite : 1) Taille, actionnariat et orientation lucrative, 2) Régulation par la publicité, 3) Sources d'information, 4) Contre-feux et autres moyens de pression, et 5) Anticommunisme — ce dernier point s'étant transformé depuis en antiterrorisme, selon <strong>Chomsky</strong>. Il est question de la formation d'une industrie oligarchique dominée par les classes fortunées qui oriente les directions d’observation, de la sélection du contenu par des logiques consuméristes de rentabilité et de complaisance pour assurer sa survie, de la négligence de certaines sources différentes des canaux officiels, faciles d’accès et immédiatement digérable, et bien sûr du poids de l'idéologie dominante (à savoir l'anticommunisme pendant la Guerre froide, à l'époque de la première parution).</p>
<p>Armés d'une artillerie analytique conséquente, les auteurs s'attaquent au traitement de plusieurs événements extrêmement marquants de l'histoire américaine contemporaine à travers plusieurs prismes : les victimes dignes ou indignes d'intérêt, la légitimité extrêmement variable des élections selon les affinités nationales, et le cas de conflits dans lesquels les États-Unis ont été directement impliqués. Dans un premier temps, ils produisent une analyse comparée extrêmement précise et documentée du traitement de l'information montrant la différence de perspective entre des victimes en Pologne (appartenant encore au bloc soviétique) et d'autres en Amérique du Sud (clients des États-Unis) — la propagande médiatique étant presque entièrement guidée par le statut des nations en question, alliées ou ennemies. Le modèle de propagande met ensuite en lumière des différences attendues en matière de traitement de l'information au sujet d'élections dans trois pays d'Amérique centrale, le Nicaragua (avec un gouvernement sandiniste) d'un côté et le Guatemala et le Salvador (régimes soutenus par les États-Unis) de l'autre. Le modèle leur permet de dresser avec une grande minutie le schéma du processus qui sélectionne les informations, sous l'influence des pouvoirs politiques et économiques. Il souligne en outre que toutes les victimes (d'exaction, en l'occurrence) ne sont pas égales devant l'intérêt que leur porte le réseau médiatique, qui opère ici aussi un immense travail de sélection.</p>
<p>Les dernières parties sont consacrées à la tentative d'assassinat du pape Jean-Paul II en 1981et le complot de la filière bulgare liée au KGB (un immense emballement de spéculation médiatique sur la base d’un séjour du suspect en Bulgarie, alors membre du bloc communiste), puis à l'Indochine et la Guerre du Vietnam, avec les dommages collatéraux au Laos et au Cambodge. Les auteurs déconstruisent à cette occasion l'image du quatrième pouvoir dans un régime démocratique, selon les mêmes modalités, avec une solide documentation à l’appui pour mettre en évidence l’existence d’un réseau de désinformation qui sert des intérêts politiques et économiques. Le poids des sources officielles (qu’il s’agisse d’institutions ou de think tanks, de manière consciente ou par auto-censure) joue un rôle prépondérant dans la construction d’une illusion d’objectivité, au sein de laquelle même la contre-culture opposée aux opérations militaires au Vietnam se trouve prisonnière du carcan idéologique imposé a priori.</p>
<p>On peut regretter, cependant, que la notion de généralisation de leur modèle ne soit pas davantage étudiée, car son universalité ne paraît absolument pas acquise (voire démontrable). Il en résulte une sensation de limitation conséquente du champ d’étude, surtout 40 ans plus tard, en quelque sorte limité à la politique américaine des années 80. En se focalisant sur cette région spatio-temporelle à l’aide d’un modèle qui ressasse sans cesse l’idée selon laquelle les médias sont des acteurs majeurs de la propagande, la démonstration s’enferme par moments dans une répétitivité laborieuse et éreintante pour le non-chercheur dans le domaine. Les 700 pages semblent insurmontables au creux de certains chapitres particulièrement velus. Vu d’aujourd’hui, pour peu que le sujet ait déjà été débroussaillé à titre personnel, la lecture de "La Fabrication du consentement" peut donner l’impression que <strong>Chomsky </strong>et <strong>Herman </strong>déballent l’artillerie lourde et des hectolitres de défoliant pour dégommer une mouche. La thématique reste cependant d’une évidente actualité, en ces temps d’hygiène mentale malmenée, d’analogies morales vertigineuses et autres raccourcis intellectuels imposés.</p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Fabrication-du-consentement-de-Noam-Chomsky-et-Edward-Herman-1988#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/838Théorie du drone, par Grégoire Chamayou (2013)urn:md5:0e5a5db65b4ff78a85827f62af3a96342015-01-31T20:25:00+01:002015-02-01T12:34:55+01:00RenaudLectureDroneEssaiEtats-UnisGuerreMilitairePhilosophieTerrorisme <p><img title="theorie_du_drone.jpg, janv. 2015" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="theorie_du_drone.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/theorie_du_drone/theorie_du_drone.jpg" /></p>
<p>À l'heure de la dernière hagiographie de <strong>Clint Eastwood</strong> à la gloire des héros militaires, <ins>American Sniper</ins>, véritable ode à l'antiaméricanisme primaire tant le discours sur la politique (ou, plus précisément, l'absence gênante de discours, de questionnement, de raisonnement) de son pays anéantit toute réflexion, se plonger dans un ouvrage des éditions La Fabrique est une des choses les plus saines qui soient. Mais attention : si le rejeton de 2015 du papi de 84 ans a de quoi surprendre certains, que ce soit par son manque de recul ou par sa nomination aux Oscars (ce qui n'est en réalité rien d'autre que la consécration logique d'une
carrière cinématographique sur le déclin, essentiellement tournée vers
l'adulation du rêve américain), l'essai de <strong>Grégoire Chamayou</strong> a lui aussi de quoi surprendre, mais fort heureusement pour de toutes autres raisons.</p>
<ins>Théorie du drone</ins> est un livre passionnant, écrit par un chercheur en philosophie soucieux de rester intelligible et accessible, sans pour autant sacrifier la rigueur que nécessite ce genre d'exercice. Tout le monde sait ce qu'est un drone, mais qui connaît précisément l'étendue de ses applications guerrières, de ses conséquences en termes de droit civil ou militaire ? Car si les ouvrages pérorant sur l'objet de loisir abondent, la littérature sur l'objet militaire est bien maigrichonne. Ne parlons même pas d'un quelconque regard critique, il est quasiment inexistant. Après tout, pourquoi s'en prendrait-on au fer de lance d'une guerre « plus propre, plus humaine, plus précise », comme le déclarent ses défenseurs ?<br /><p>Avril 2013. Un article du Monde Diplomatique attise ma curiosité : "Drone et kamikaze, jeu de miroirs", écrit par un certain... <strong>Grégoire Chamayou</strong>. Diantre ! Cet énergumène ose le parallèle entre l'implication totale que requiert un attentat suicide et la configuration opposée, en miroir, d'un meurtre opéré par une machine contrôlée à distance, à des dizaines de milliers de kilomètres du champ de bataille. C'est une position singulière, alors inédite à ma connaissance. Pire : elle fait pleinement sens. Puis vint le livre, dont avait été extrait le texte du Diplo.</p>
<p>Force est de constater que l'auteur, au-delà de ses qualités de philosophe, réalise là une synthèse bibliographique captivante. <ins>Théorie du drone</ins> est un ouvrage incroyablement documenté (les notes à la fin plutôt qu'en bas de page sont un poil agaçantes), c'est un véritable travail de journaliste et de juriste concentré dans les trois premiers chapitres. Un discours préliminaire essentiel qui permet de mieux cerner les enjeux actuels, en délimitant les contours de la légalité du drone et en précisant des notions un peu floues appartenant au champ de la philosophie du droit de tuer.</p>
<p>J'ai rarement lu un essai s'emparant aussi habilement d'un sujet a priori éloigné de l'étude philosophique. Les nombreuses questions soulevées par <strong>Grégoire Chamayou</strong> semblent pourtant fondamentales, et amenées au terme d'un raisonnement rigoureusement balisé. Assiste-t-on à l'avènement d'une guerre perpétuelle, à l'issue rendue impossible par le paradoxe qui oppose un pouvoir intouchable à une guerre ingagnable ? Y a-t-il une redéfinition de l'héroïsme, déplaçant l'objet du sacrifice du physique au mental, restituant ainsi leur part de courage aux opérateurs de drone qui sont psychiquement victimes de devoir agir en bourreaux ? Qu'en est-il d'un point de vue sémantique, puisque la novlangue est déjà en train de renverser le paradigme en qualifiant le drone de progrès majeur dans la technologie "humanitaire" et "précise" ? Envisage-t-on un jour d'utiliser des drones pour des opérations militaires sur le sol américain, et dans le cas contraire (réponse vraisemblable), quelles en sont les raisons (évidentes) ? Quid de la "militantisation" et de la "probabilisation" techno-juridique du statut de combattant dans le cadre d'une arme qui, précisément, annule tout combat et toute possibilité de reddition ?</p>
<p>Une lecture qui donne le vertige, assurément, de par la multiplicité des problématiques et des pistes de réflexion qu'elle soulève... et qui brille par son absence dans le débat public.</p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Theorie-du-drone-par-Gregoire-Chamayou-2013#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/270Yucca Mountain, de John d'Agata (2012)urn:md5:1bdd4ce5b848d1938c557b6aec91e0992012-10-13T15:40:00+01:002012-10-13T17:20:57+01:00GillesLectureDéchets radioactifsEcologieEssaiNucléaireSuicide <blockquote><p>« What happens when an essayist starts imagining things, making things up, filling in blank spaces, or — worse yet — leaving the blanks blank? »</p>
<p>John d'Agata, <ins>The Next American Essay</ins></p>
</blockquote><a title="YuccaMountain_J_Agata.jpg" href="http://www.gophoto.it/view.php?i=http://www.je-mattarde.com/public/GILLES/LIVRES/YuccaMountain_J_Agata.jpg"><img title="YuccaMountain_J_Agata.jpg, août 2012" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="YuccaMountain_J_Agata.jpg" src="http://www.je-mattarde.com/public/GILLES/LIVRES/.YuccaMountain_J_Agata_m.jpg" /></a><p>Les réacteurs américains sont inefficaces à 97% ce qui signifie qu'entre le moment où on place une barre de combustible dans un réacteur nucléaire et celui où on le retire, il conserve 97% de sa radioactivité. Alors il a fallu imaginer un projet d'enfouissement de ces déchets radioactifs. C'était « Yucca Mountain ». À 140 km de Las Vegas. Projet prévoyant de construire 160 km de galeries à l'intérieur de la montagne et, en l'espace de quarante ans, de les remplir avec 77000 tonnes de déchets nucléaires, puis de sceller et de fermer la montagne jusqu'à leur décomposition.</p>
<p>Le livre retrace le parcours politique et scientifique du projet qui a vu ré-interpréter un problème de millions d'années dans une solution ramenée à 10.000 ans (un bel acte de foi aux générations futures), ainsi que l'histoire tragique de <strong>Lévi Presley</strong> - un garçon qui a sauté de la tour « <em>Stratosphere</em> » à Las Vegas - et la connexion de sa mort avec la propre expérience <strong>d'Agata</strong> répondant aux appels de personnes au bord du suicide sur une ligne d'écoute. Le récit avançant sur plusieurs niveaux à la fois se tient sur une ligne
tendue entre le documentaire et la fiction, un travail de journalisme
libéré de ses contraintes rigides mais qui s'attache férocement aux
faits comme en rend compte les 131 notes en fin de livre. </p>
<blockquote><p>Il est clair que si j'attire l'attention sur quelque chose qui fait sens en apparence, il est possible qu'il n'y ait là rien de vrai. Nous perdons parfois notre connaissance en cherchant l'information. Nous perdons parfois notre sagesse en cherchant la connaissance.
</p>
</blockquote>
Il fournit des rapports de médias, des avis d'experts et des reportages à la première personne. Il donne des statistiques, des calculs et des projections (ses scénarios prospectifs sont simplement fascinants), il cite des documents de politique et se plonge dans les études scientifiques et universitaires. Également mélangés parmi des références littéraires, et artistiques comme les quelques pages où il convoque <ins>Le Cri</ins> de <strong>Edvard Munch</strong> (figure qu'on retrouve en illustration de couverture sous la forme des isoclines de cette carte factice d'une montagne), il juxtapose ces éléments connexes sans jamais freiner le récit. Tout fait sens. 130 pages plus tard, on ressort du livre scotché et admiratif en songeant à la tension dramatique insufflée au récit, et à la singulière façon de cet écrivain de réexaminer non seulement où nous sommes, mais aussi où nous avons été, et où nous allons.
<p>Tout au long de cette lecture, on rit, souvent d'un rire jaune face à la méchante farce humaine qui œuvre autour du projet Yucca Mountain. A ce propos, voici ce que John D'Agata dit lors d'une lecture de son essai à des jeunes étudiants américains en 2010 :</p>
<blockquote><p>« Do not be afraid to laugh at the absurdities, though by no means feel I am pressuring you to laugh »</p>
</blockquote><p><span style=""><br /></span></p>
<p><span style=""><img title="yucca_mountain.jpg, oct. 2012" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="yucca_mountain.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/GILLES/LIVRES/.yucca_mountain_m.jpg" /><br /></span></p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Yucca-Mountain-John-d-Agata-2012#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/145Manuel de Communication-Guérilla, de Autonome a.f.r.i.k.a.-gruppe, Luther Blissett et Sonja Brünzels (2011)urn:md5:e4c2f5d9153906bcf879b16c06d762a12012-03-13T19:01:00+01:002012-03-26T12:12:42+02:00RenaudLectureActivismeBeat generationCritiqueEssaiMédiasSubversion <p><img title="Manuel de communication-guerilla, mar. 2012" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="manuel_de_communication_guerilla.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/manuel_de_communication_guerilla/.manuel_de_communication_guerilla_m.jpg" />
</p>
<p>Publié pour la première fois en 1997, traduit et adapté de l'allemand en 2011 par <strong>Olivier Cyran</strong> chez <em>Zones</em>, ce texte-manifeste est signé <span class="nom">« <strong>Autonome a.f.r.i.k.a.-gruppe</strong></span>, <span style="font-weight: bold;" class="prenom">Luther</span><span style="font-weight: bold;" class="nom"> Blissett</span>, <span style="font-weight: bold;" class="prenom">Sonja</span><span style="font-weight: bold;" class="nom"> Brünzels</span> ». Ces entités collectives, protéiformes et impénétrables sont les inspiratrices, entre autres, des mouvements <a title="http://www.antipub.org/" hreflang="fr" href="http://www.antipub.org/"><em>antipub</em></a>
et des canulars politiques à la
<a title="http://theyesmen.org/" hreflang="en" href="http://theyesmen.org/"><em>Yes Men</em></a>
. Maintes fois qualifiés dans la presse de « terroristes médiatiques » ou encore d' « agents de la guérilla sémiotique », cette bande de joyeux drilles et de gais lurons a toujours rejeté en bloc ces dénominations fallacieuses.</p>
<p>Dans la lignée des mouvements artistico-subversifs tels que le <em>Clandestine Insurgent Rebel Clown Army</em> (CIRCA) co-fondé par<strong> John Jordan</strong> <a name="Jordan_back" href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Manuel-de-Communication-Guerilla-2011#Jordan">(1)</a>, ce <ins>Manuel de Communication-Guérilla</ins>
est un vif concentré d'impertinence créatrice qui égayera n'importe quelle de vos journées les plus grises. Véritable petit guide théorique
et pratique d'intervention non conventionnelle, il détaille avec malice le b.a.-ba d'impostures réussies, de canulars lumineux et de
divers actes de résistance ludiques. Loin, très loin des principes de com' publicitaire et du bourrage de crâne institutionnalisé, ce livre dresse les
bases saines de l'activisme expérimental, exploite les méthodes de communication traditionnelles et propose tout un arsenal de tactiques d'agitation joyeuse et de sabotage du discours dominant.<br />
Mais l'accomplissement de ces tâches subversives – proches du devoir citoyen, vous en conviendrez – nécessite la maîtrise de concepts essentiels afin d'en optimiser et d'en diversifier l'impact. En d'autres termes, une meilleure connaissance des codes sociaux sous-jacents structurant notre société permet de mieux les détourner à notre avantage. Parmi ces notions, la « grammaire culturelle » tient une place de choix dans le présent manuel.</p>
<blockquote><p>« La notion de grammaire culturelle recouvre donc le système de règles qui structure les rapports sociaux. Elle désigne la totalité des codes esthétiques et comportementaux qui président au bon déroulement de la vie en société, ainsi que les innombrables rituels que celle-ci impose à tous les échelons. L’organisation spatiale et temporelle qui fonde le "vivre ensemble" fait partie elle aussi de la grammaire culturelle. »</p>
</blockquote>
<p>La communication-guérilla se définit ainsi comme une tentative visant à produire des effets subversifs par des interventions dans le processus de communication. Elle s'appuie principalement sur deux principes clés : la <em>distanciation</em> et la <em>suridentification</em>.<br />
Le principe de <em>distanciation </em>repose sur une représentation subtilement biaisée de la réalité habituelle, visant à mettre en lumière les aspects enfouis ou insolites d’une situation, à provoquer des lectures inhabituelles d’événements habituels ou à faire surgir des significations inattendues ou inespérées.<br />
La <em>suridentification </em>consiste en revanche à exprimer ouvertement les contenus de la réalité habituelle qui, bien que largement connus, n’en demeurent pas moins tabous. Elle épouse la logique des normes, des valeurs et des schémas dominants, mais en la poussant dans ses ultimes retranchements, là où ses conséquences ne sont pas (ou ne doivent pas être) énoncées publiquement.<br />
Alors que la distanciation introduit une distance, la suridentification l’abolit en supprimant l’auto-distanciation inscrite dans la structure du discours dominant.</p>
<p>
Jouer sur la falsification et la révélation / le démenti / l'aveu qui en résulte, polluer l'image de l'ennemi à l'aide de la stratégie du ver dans le fruit, voilà le genre de leçons dont on peut se délecter ici, sur fond d'impertinence revendiquée. Les exemples historiques sont légion, tous plus jouissifs les uns que les autres ; de <strong>William S. Burroughs</strong> <a name="Burroughs_back" href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Manuel-de-Communication-Guerilla-2011#Burroughs">(2)</a> le beatnik à <strong>Noël Godin</strong> l'entarteur, les sources d'inspirations ne manquent décidément pas !</p>
<div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/manuel_de_communication_guerilla/bhl.jpg" alt="bhl.jpg" title="BHL, l'entarté, mar. 2012" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/manuel_de_communication_guerilla/godin.jpg" alt="godin.jpg" title="Noël Godin, l'entarteur, mar. 2012" /></div>
<p><em><ins>N.B.</ins> : Ce texte est disponible en intégralité sur le site des éditions Zones (<a title="http://www.editions-zones.fr/spip.php?page=lyberplayer&id_article=145" hreflang="fr" href="http://www.editions-zones.fr/spip.php?page=lyberplayer&id_article=145">c'est à dire ici</a>). En rappelant tout de même que « c’est la vente de livres qui permet de rémunérer l’auteur, l’éditeur et le libraire, et de vous proposer de nouveaux lybers et de nouveaux livres. »</em></p>
<span style="font-size: 9pt;">
<a name="Jordan">(1)</a> <strong>John Jordan</strong>, co-auteur avec <strong>Isabelle Frémeaux</strong> du génial <em>Les Sentiers de l'Utopie</em>, publié chez <em>Zones</em> et <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Sentiers-de-l-Utopie%2C-par-Isabelle-Fremeaux-et-John-Jordan-%282011%29">chroniqué ici</a>. <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Manuel-de-Communication-Guerilla-2011#Jordan_back">(retour)</a><br />
<a name="Burroughs">(2)</a> <strong>William S. Burroughs</strong>, auteur en 1959 du fameux <ins>Naked Lunch</ins>, œuvre fondatrice de la <em>beat generation</em> avec <ins>On the Road</ins> (1957) de <strong>Jack Kerouac</strong> (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Sur-la-Route-de-Jack-Kerouac">chroniqué ici</a> par <strong>Clément</strong>). À noter, en 1991, la très bonne adaptation au cinéma de <ins>Naked Lunch</ins> par <strong>David Cronenberg</strong>. <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Manuel-de-Communication-Guerilla-2011#Burroughs_back">(retour)</a></span>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Manuel-de-Communication-Guerilla-2011#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/104La Morale Anarchiste, par Pierre Kropotkine (1889)urn:md5:35075dafb0b7d832b8e9461fc9af86092011-12-07T20:09:00+01:002013-05-23T13:41:25+02:00RenaudLectureAnarchismeEgalitéEquitéEssaiMoralePierre Kropotkine <p><img title="La Morale Anarchiste : couverture, déc. 2011" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="morale_anarchiste.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/morale_anarchiste/morale_anarchiste.jpg" /></p>
<p>« <em>Pourquoi devrait-on suivre les principes d'une morale hypocrite ? Pourquoi telle ou telle morale serait-elle obligatoire ? Pourquoi serais-je moral ?</em> » Voilà la base du raisonnement d'un des théoriciens de l'anarchie, <strong>Pierre Kropotkine</strong>, dans <ins>La Morale Anarchiste</ins>, une œuvre courte mais fondamentale parue en 1889. Les premières lignes de ce texte donnent le ton, résolument révolutionnaire, dans la droite lignée de <strong>Pierre-Joseph Proudhon</strong> (<ins>Qu'est-ce que la propriété ?</ins>, 1840) et <strong>Charles Fourier </strong> (<ins>Théories des quatre mouvements et des destinées générales</ins>, 1808), et en bon contemporain de <strong>Mikhaïl Bakounine</strong> (<strong style="font-weight: normal; text-decoration: underline;">Dieu et l’État</strong>, 1882), <strong>Paul Lafargue</strong> (<ins>Le Droit à la Paresse</ins>, 1880), <strong>Friedrich Engels</strong> (<ins>L'Idéologie Allemande</ins>, 1845, et <ins>Manifeste du Parti communiste</ins>, 1848, co-écrit avec tonton Marx) et <strong>Karl Marx </strong> <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Morale-Anarchiste%2C-par-Pierre-Kropotkine-%281889%29#marx">(1)</a>, donc :</p>
<blockquote><p>« L'histoire de la pensée humaine rappelle les oscillations du pendule [...]. Après une longue période de sommeil arrive un moment de réveil. Alors, la pensée s'affranchit des chaînes dont tous les intéressés – gouvernants, hommes de loi, clergé – l'avaient soigneusement entortillée. »</p>
</blockquote>
<p>Le constat est simple : les actions de l'Homme, réfléchies ou simplement conscientes, vertueuses ou vicieuses, ont toujours la même origine. Elles répondent à un besoin naturel chez l'individu : la recherche du plaisir, le désir d'éviter une peine. Voilà l'essence même de la vie. Là où veut en venir <strong>Kropotkine</strong>, c'est que les questions posées en début de billet ne sont pas les bonnes.</p>
<blockquote><p>« La moralité qui se dégage de l'observation de
tout l'ensemble du règne animal [...] peut se résumer ainsi : " Fais aux
autres ce que tu voudrais qu'ils te fassent dans les mêmes
circonstances." Et elle rajoute : "Remarque bien que ce n'est qu'un conseil ; mais ce
conseil est le fruit d'une longue expérience de la vie des animaux en
société et chez l'immense masse des animaux vivant en sociétés, l'homme y
compris, agir selon ce principe a passé à l'état d'habitude". »</p>
</blockquote>
<p><img title="Pierre (Piotr) Alekseïevitch Kropotkine" style="float: left; margin: 0 1em 0.1em 0;" alt="kropotkine.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/LECTURE/morale_anarchiste/.kropotkine_s.jpg" /></p>
<p>Ainsi, le sens moral serait une faculté naturelle, au même titre que l'odorat et le toucher ; nul besoin d'institutions prosélytes pour en garantir l'application, forcément partiale. La Loi et la Religion (à qui tout bon anarchiste se doit de déclarer sa profonde aversion), grandes prêcheuses de ce principe de solidarité, l'ont simplement escamoté pour en couvrir leur marchandise, c'est-à-dire leur prescription à l'avantage du conquérant, de l'exploiteur et du prêtre. N'oublions pas que ce texte date de la fin du 19ème siècle ; gageons que des progrès ont depuis été faits, au moins en matière de Justice (pour les sceptiques : voir le billet consacré à <a href="https://www.je-mattarde.com/?post/Denis-Robert%2C-Journaliste-avec-un-grand-%C2%AB-J-%C2%BB">Denis Robert</a>).<br /> Mais se déclarer anarchiste, c'est aussi transcender l'opposition qui peut exister entre égoïsme et altruisme, étant donnée l'origine commune de ces deux affects.</p>
<blockquote><p>« En nous déclarant anarchistes, nous proclamons d'avance que nous renonçons à traiter les autres comme nous ne voudrions pas être traités par eux ; que nous ne tolérons plus l'inégalité qui permettrait à quelques-uns d'entre nous d'exercer leur force, ou leur ruse ou leur habileté, d'une façon qui nous déplairait à nous-mêmes. Mais l'égalité en tout, synonyme d'équité, c'est l'anarchie même. »</p>
</blockquote>
<p><strong>Pierre Kropotkine</strong> fait état d'un homme de convictions, hostile à toute forme de compromis. La disctinction entre sentiments égoïstes et sentiments altruistes qui semblent régir la vie de l'homme utilitariste est absurde à ses yeux. L'anarchiste ne se repaît pas dans l'oisiveté de la suffisance et des bons sentiments ; à l'inverse, l'intégrité est son maître mot, et les luttes quotidiennes jalonnent son existence.</p>
<blockquote><p>« Une fois que tu auras vu une iniquité et que tu
l'auras comprise – une iniquité dans la vie, un mensonge dans la
science, ou une souffrance imposée par un autre <span class="citation">–</span>, révolte-toi contre
l'iniquité, contre le mensonge et l'injustice. Lutte ! La lutte c'est la
vie d'autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu
auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des
années de végétation dans la pourriture du marais. » <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Morale-Anarchiste%2C-par-Pierre-Kropotkine-%281889%29#hessel">(2)</a></p>
</blockquote>
<br />
<p><ins>N.B.</ins> : À lire, dans un genre un peu plus subversif, un brûlot anarchiste allemand qui expose de long en large « <em>comment réussir à foutre complètement le boxon</em> » (dixit <strong>Noël Godin</strong>, le célèbre entarteur belge, dans le Siné Mensuel de décembre 2011). Ça s'appelle <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Manuel-de-Communication-Guerilla-2011"><ins>Manuel de communication-guérilla</ins></a>, de Autonome a.f.r.i.k.a. gruppe, Luther Blisset, Sonja Brünzels, adapté de l'allemand par Olivier Cyran, chez Zones, l'édition (géniale) des <a href="https://www.je-mattarde.com/?post/Les-Sentiers-de-l-Utopie%2C-par-Isabelle-Fremeaux-et-John-Jordan-%282011%29"><ins>Sentiers de l'Utopie</ins></a>.</p>
<span style="font-size: 9pt;">
<br /> <a name="marx">(1)</a> Si celui-ci ne vous dit rien, ce n'est peut-être pas la peine de continuer... On peut aussi citer, dans un courant socialiste « authentique » aux antipodes des partis sociaux-démocrates actuels auxquels le Parti (dit) Socialiste appartient, des personnalités comme <strong>Jean Jaurès</strong>, <strong>Jules Guesde</strong> et <strong>Léon Blum</strong>.<br /> <a name="hessel">(2)</a> Extrait qui n'est pas sans évoquer <ins>Indignez-vous !</ins>, de <strong>Stéphane Hessel</strong></span><span style="font-size: 10pt;">, au moins dans une certaine mesure.</span>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Morale-Anarchiste%2C-par-Pierre-Kropotkine-%281889%29#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/67