Je m'attarde - Mot-clé - Expérimental le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearUn homme qui dort, de Bernard Queysanne (1978)urn:md5:bd9f0c57a5ccc124eede3062798e884b2023-10-23T17:03:00+02:002023-10-23T17:03:00+02:00RenaudCinémaDésespoirErranceExpérimentalGeorges PerecNihilismeParisSolitude <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_qui_dort/homme_qui_dort.jpg" title="homme_qui_dort.jpg, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_qui_dort/.homme_qui_dort_m.jpg" alt="homme_qui_dort.jpg, oct. 2023" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"Il n'y a pas d'issue, pas de miracle."</strong></ins></span>
</div>
<p>Quel exercice de style, ce film de <strong>Bernard Queysanne </strong>adapté du roman de <strong>Georges Perec</strong>, sans dialogue, tout en voix off assortie de bruitages et entièrement dédié à la description dépressive de la vie d'un étudiant à la fin de sa licence... À la seconde personne du singulier, la voix de <strong>Ludmila Mikaël </strong>raconte sans tarir l'état intérieur de cet homme, partagé entre anecdotes insignifiantes d'un quotidien morne et introspections profondes, sur des images en noir et blanc montrant son errance parisienne.</p>
<p>Une question revient souvent, malgré la courte durée de <ins>Un homme qui dort</ins> : avec sa voix off omniprésente très littéraire, on se demande s'il n'aurait pas mieux valu simplement écouter le film plutôt que le regarder — ce que j'ai fait dans un second temps, en écoutant la piste audio sans l'image, mais finalement les images que j'avais déjà vues sont revenues se poser sur la voix de <strong>Mikaël </strong>— voire même peut-être commencer par la lecture du livre.</p>
<p>C'est une narration qui attend 5 minutes avant de nous prendre à la gorge, avec seulement quelques moments de répit, pour se lancer dans un monologue nihiliste sur le renoncement qui a ses passages assommants. Une heure durant, dans un premier temps, le comportement du personnage (<strong>Jacques Spiesser</strong>) semble conscient, choisi, il paraît être acteur de sa mise à l'écart du monde et atteindre une forme d'équilibre qui lui convient, loin de tout.</p>
<p>Et puis soudainement, dans la dernière étape, <strong>Ludmila Mikaël </strong>change de ton et se fait plus agressive, plus noire. Elle quitte définitivement sa zone de confort monotone et devient venimeuse. Ce qui ressemblait à un mode de vie confortable laisse place à une angoisse latente, à mesure que l'inquiétude et le doute envahit l'espace. "Il n'y a pas d'issue, pas de miracle". Elle insiste brusquement sur la répétition des mêmes motifs, sur la solitude de sa condition, sur la vanité et la fausseté de ses choix. Des percussions à la limite de la dissonance, stridentes, enflent dans la bande sonore. Les vingt dernières minutes se transforment ainsi en un sommet de désespoir et d'hostilité, elles évoquent le massacre de Charonne et les monstres qui lui inspirent des insultes et du dégoût.</p>
<p>Le travail d'adaptation du livre et la transcription du style de <strong>Perec </strong>sont très probablement cruciaux, le texte est très fort mais c'est à se demander si cette captation d'une dépression et de ce néant n'est pas plus adaptée au format du roman — à confirmer. Le film de <strong>Bernard Queysanne </strong>revêt de son côté une dimension anxiogène, légèrement expérimentale, en tout état de cause bizarre avec son parti pris narratif singulier et son rythme implacable.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_qui_dort/img1.png" title="img1.png, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_qui_dort/.img1_m.png" alt="img1.png, oct. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_qui_dort/img2.png" title="img2.png, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_qui_dort/.img2_m.png" alt="img2.png, oct. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_qui_dort/img3.png" title="img3.png, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_qui_dort/.img3_m.png" alt="img3.png, oct. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_qui_dort/img4.png" title="img4.png, oct. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_qui_dort/.img4_m.png" alt="img4.png, oct. 2023" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Un-homme-qui-dort-de-Bernard-Queysanne-1978#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1260Libera Me, de Alain Cavalier (1993)urn:md5:385d6dec414a37d7a05ebd1536a8977e2023-06-12T11:14:00+02:002023-06-12T11:14:00+02:00RenaudCinémaAbstractionAlain CavalierCinéma muetDictatureExpérimentalRépressionRésistanceSymbolismeTotalitarisme <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/libera_me/libera_me.jpg" alt="libera_me.jpg, mai 2023" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Attention : expérimentation</strong></ins></span></div>
<p>Illustration parfaite de ce que le cinéma peut engendrer comme exercice de style baroque, avec ici un parti pris contraignant essentiellement la forme : un récit formulé sans la moindre trace de dialogue, mais au travers d'une succession de plans épurés, contenant des actions presque unitaires isolées dans un cadre très resserré. Dans les 5 premières minutes, grâce à la puissance symbolique des images et des motifs mis en scène, on comprend par des chemins de traverse qu'on se situe dans un pays au régime totalitaire et qu'une résistance s'organise face à une répression extrême.</p>
<p>C'est un exercice de style, ce qui signifie presque par définition que d'une part les enjeux sont limités au strict cadre fixé par le concept et que d'autre part le procédé contient un potentiel de clivage très élevé, séparant les réceptions possibles de manière très instinctive — on rentre dans la bulle du film ou on y reste hermétique sans trop pouvoir réfléchir ou anticiper. <strong>Alain Cavalier </strong>est coutumier des œuvres aux apparences très originales, et sa filmographie compte des bizarreries par dizaines. <ins>Libera Me</ins> est pour l'instant le film le plus extrême que j'ai vu de sa part, du point de vue expérimental, car on se situe dans une épuration formelle qui pourrait évoquer le Dogme95 danois de <strong>Lars von Trier </strong>et <strong>Thomas Vinterberg</strong>. L'abstraction ne se fait cependant pas au même niveau, car ici la caméra ne s'attarde pas volontairement sur l'absence de décor : elle fait preuve d'une parcimonie très productive, chargeant chaque petite séquence d'un sens très fort et très net.</p>
<p>Ainsi tout <ins>Libera Me</ins> s'articule autour d'une lutte aux contours on ne peut plus flous au départ entre un régime dictatorial et une résistance organisée, à travers une quantité extensive de minuscules détails découpant les actions dans la plus grande des sobriétés — un <strong>Bresson </strong>n'y aurait sans doute pas été insensible. Le flou s'efface progressivement pour installer une narration qui gagne en clarté et en précision à mesure que les motifs s'accumulent. Des objets dissimulés dans les coutures de vêtements, des photos déchirées qui s'assemblent pour confirmer une identité, des faux papiers confectionnés à la main... Beaucoup d'ingéniosité mise en œuvre pour préserver le secret, tandis qu'en toile de fond la violence de la répression s'intensifie. Arrestations et torture rythment ce drôle de film muet, dominé par des fragments de bruits et des morceaux de visages, qui parvient de manière très surprenante à laisser exploser les émotions dans son final, au milieu de ce terreau expérimental.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/libera_me/.img1_m.png" alt="img1.png, mai 2023" /><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/libera_me/.img2_m.png" alt="img2.png, mai 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/libera_me/.img3_m.png" alt="img3.png, mai 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/libera_me/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, mai 2023" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Libera-Me-de-Alain-Cavalier-1993#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1161Limite, de Mario Peixoto (1931)urn:md5:ce550519fc11d97a5c8d6812d0da94a32023-05-23T17:59:00+02:002023-05-23T17:59:00+02:00RenaudCinémaBrésilExpérimentalOcéanPoésieSolitude <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/limite/.limite_m.jpg" alt="limite.jpg, avr. 2023" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Un homme et deux femmes sur un bateau</strong></ins></span></div>
<p>Cette pépite méconnue du cinéma brésilien du début du XXe siècle (et de la fin du cinéma muet) et unique réalisation à 21 ans du cinéaste <strong>Mario Peixoto </strong>fera sans doute la joie d'une poignée d'amateurs, pas plus. Je n'ai moi-même pas totalement adhéré à l'exercice de style qui développe une toile narrative expérimentale extrêmement ténue et fragmentée, comme captée au travers d'un prisme déformant les perspectives, et faisant preuve d'une liberté artistique assez sauvage. Mais ne serait-ce que pour cette tentative d'expérimentation, j'ai une très grande sympathie pour le film et pour ce qui est véhiculé, pour des extraits picorés çà et là davantage que pour l'œuvre dans son ensemble qui reste un peu trop obscure et chaotique (expérimentale quoi, pour le redire encore une fois) à mon goût.</p>
<p>La théorie est très simple : deux femmes et un homme semblent piégés sur une barque au milieu de l'océan, et plusieurs flashbacks révèlent des images très parcellaires de leurs passés respectifs. On comprend très vaguement qu'une femme s'est échappée de prison, que l'autre s'est enfuie pour quitter son mari, et que l'homme a subi des péripéties sentimentales diverses (à base de tromperie et de lèpre, rien que ça). Tout cela est raconté avec une économie de mots, c'est-à-dire de cartons, assez extrême, il doit y avoir 5 lignes de sous-titres en deux heures : autant dire que la narration se fait presque exclusivement par l'image à forte résonance symbolique et par les musiques de Satie, Debussy et Stravinsky.</p>
<p>Même s'il y a beaucoup de moments de flottement sur la durée totale, on a l'impression de naviguer dans un rêve, avec des sentiments et des sensations communiquées de manière furtive et confuse. La dimension de film issu de la fin de l'ère de muet et cette façon très poétique de raconter une histoire me fait beaucoup penser à ce que j'ai ressenti lors du second visionnage de <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Atalante-de-Jean-Vigo-1934">L'Atalante</a></ins> de <strong>Vigo</strong>, sans trop parvenir à fixer ces idées. L'image du visage féminin entouré de mains menottées est très forte, elle ouvre et ferme le film pour circonscrire le cadre de ce moment à la dérive, avec pas mal de passages un poil ennuyeux, avec des répétitions pas toujours probantes à mes yeux, mais qui laissent une empreinte graphique et sensitive toute particulière.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/limite/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, avr. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/limite/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, avr. 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/limite/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, avr. 2023" />
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/limite/.img6_m.jpg" alt="img6.jpg, avr. 2023" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Limite-de-Mario-Peixoto-1931#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1153L'Adversaire, de Satyajit Ray (1970)urn:md5:fad1400b8f88a0d717c71225c8e562d52021-08-16T11:27:00+02:002021-08-16T11:27:00+02:00RenaudCinémaCalcuttaEtudiantExpérimentalIndeMortMédecineSatyajit RayTravail <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/adversaire/.adversaire_m.jpg" alt="adversaire.jpg, juil. 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Brouillard de l'indécision<br /></strong></ins></span>
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<p><strong>Satyajit Ray </strong>est sans doute un des plus grands et des plus prometteurs continents (en grande partie) inexplorés, dans l'horizon actuel de mes expérimentations cinématographiques. Malgré l'ampleur de la tâche le rythme reste très modéré, environ un par an, mais l'infusion passive a posteriori de ces films est très agréable et ils laissent s'exprimer une diversité que je n'avais pas soupçonnée.</p>
<p>Du peu que je puisse en juger <strong>Ray </strong>n'a jamais été un fervent défenseur des conventions dramaturgiques, mais force est de constater qu'il y a dans <ins>L'Adversaire</ins> une tentative vigoureuse de communiquer "différemment" l'état d'esprit de son protagoniste, un jeune étudiant en médecine ayant été contraint d'abandonné son cursus suite à la mort brutale de son père. Il est confronté du jour au lendemain au monde du travail, et plus précisément au monde impitoyable de la recherche de travail à la fin des années 60 indiennes — on croise dans les rues de Calcutta des hippies américains, chose pas surprenante en soi mais plutôt étonnante dans l'écrin du cinéma.</p>
<p>C'est un univers confus, brouillé, celui d'une révolte intérieure qui bouleverse presque constamment le jeune homme dans sa quête et qui électrise régulièrement la pellicule — les inserts à la lisière de l'expérimental sont très nombreux et surviennent sans crier gare, que ce soit via des images en noir et blanc inversé, des clichés presque subliminaux ou des séquences plus longues. Des flashbacks, parfois, viennent se superposer au regard du protagoniste pour évoquer un cours de médecine ou quelque autre souvenir du passé. <strong>Ray</strong>, à travers ces flashs presque pathologiques, évoque l'emprise du travail à la ville et sa capacité à écraser les faibles, les rêveurs, les anticonformistes. La séquence abjecte de l'entretien avec une petite centaine de candidats, entassés dans un couloir qui ne compte pas assez de chaises ni de ventilateur, est à ce titre particulièrement éloquente dans son abjection.</p>
<p>Un film d'errance, psychologique pour beaucoup, montrant à quel point Siddharta se sent pris en étau par une multitude de contraintes, l'absurdité du monde du travail, l'indépendance de sa sœur, les préoccupations de son frère ou de son camarade de chambre, l'injonction de la famille qui se fond avec celle des recruteurs... Le chaos de son monde transparaît clairement dans la mise en scène, aussi sèche qu'agréablement confuse, témoignant son chaos mental et les nombreuses digressions qui l'animent. Seul le personnage de l'étudiante suscitera un électrochoc positif qui lui fournira l'énergie nécessaire pour refuser l'humiliation et renverser une partie des rapports de force. Enfin il dépasse l'indécision qui le paralysait et embrasse une révolte contre ce qui anesthésiait son intégrité.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/adversaire/.inverse_m.png" alt="inverse.png, juil. 2021" />
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/adversaire/.squelettes_m.png" alt="squelettes.png, juil. 2021" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Adversaire-de-Satyajit-Ray-1970#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/989La Roue, de Abel Gance (1923)urn:md5:c9059011301ac94575cc0bb5c85e622e2020-01-23T18:54:00+01:002020-01-23T19:02:52+01:00RenaudCinémaAbel GanceAlpesCinéma muetExpérimentalIncesteMélodrameTrain <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/roue/.roue_m.jpg" alt="roue.jpg, janv. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" /><div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>De l'acier aux glaciers</strong></ins></span>
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<p><strong>Abel Gance</strong>, toutes considérations chronologiques mises de côté, pourrait constituer avec son impressionnante fresque de 7 heures <ins>La Roue</ins> une sorte de chaînon manquant, un trait d'union entre le cinéma soviétique des années 20 et 30 (pour toute sa puissance expérimentale et symbolique) et le cinéma français des années 30 (dans la veine du réalisme poétique). Sauf que l'on est ici à l'orée des années 20, et que le protagoniste n'est pas <strong>Jean Gabin </strong>dans le rôle de Jacques Lantier du côté de <strong>Zola </strong>mais <strong>Séverin-Mars </strong>dans le rôle d'un mécanicien ferroviaire nommé Sisif au cœur d'un mélodrame familial qui diffusera son venin mélancolique jusqu'à la toute dernière image.</p>
<p>La pellicule semble être pour <strong>Gance </strong>un incroyable terrain de jeu, notamment au cours de la première partie, au sein duquel il expérimente follement. Avec une multitude d'effets d'ouverture, de colorisations et de surimpressions variées, le portrait de Sisif qu'il brosse en l'espace de quelques dizaines de minutes ne peut laisser indifférent. Le nœud de la tragédie se formera dès les premiers instants, suite à un accident de train et à la découverte d'une jeune orpheline que Sisif élèvera comme une fille aux côtés de son propre fils. Les envolées lyriques, l'exaltation des sentiments, et les accès d’expressionnisme (qui peuvent évoquer en germes un certain cinéma allemand) font de ce premier temps un ancrage très marquant. La prestance de <strong>Séverin-Mars </strong>n'y est pas étrangère, tant l'acteur dégage quelque chose de très fort et singulier, avec son visage buriné et son regard intimidant, dans la lignée de son interprétation dans <ins>J'accuse</ins> — un film qui se livrait déjà trois ans auparavant à une série d'expérimentations graphiques renversantes. Il me semble qu'on peut difficilement nier la modernité des graphismes et de la narration chez <strong>Gance</strong>.</p>
<p>On le comprend très vite lorsque Sisif recueille l'orpheline : en déposant Norma dans le même lit qu'Elie, la matrice de la tragédie amoureuse est déjà annoncée. De ce point de vue, <ins>La Roue</ins> développe un tissu dense de complications passionnelles autour de la thématique de l'inceste. Les frontières entre différents types d'amours seront régulièrement franchies, et de ces antagonismes sous-jacents naîtront toute une série de tourments qui donneront au film différentes couleurs, différents rythmes, différentes atmosphères, avec chacune son propre univers cinématographique : la diversité en termes de techniques de narration et de procédés de mise en scène impressionne, et permet une alternance parfois folle entre montage accéléré très suggestif et long plans purement descriptifs. Et dans cette apparence profondément protéiforme, <ins>La Roue</ins> parvient à conserver une unité très appréciable sur la durée, bien au-delà du symbole de la roue du destin qui ne s'arrête pas de routourner en connectant les êtres du bout de ses rayons.</p>
<p>Des chemins de fer de Nice, la dernière époque déplace l'action vers les décors montagnards du Mont Blanc (<strong>Gance </strong>fit démolir la gare du funiculaire et déplacer des poteaux électriques), au magnifique col de Voza (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Tour-du-Mont-Blanc-en-7-jours">petit souvenir du TMB</a>) situé un peu en-dessous des deux mille mètres d'altitude. Si le film prend de la hauteur, <strong>Gance </strong>se garde bien de modifier la perspective très intimiste : la fin de la trajectoire se négocie dans une très belle continuité, en suivant l'évolution de chacun des trois personnages principaux, chacun souffrant d'une forme de solitude, persécuté par ses secrets ou ses sentiments. À mesure que Sisif s'enfonce dans la cécité, le mélodrame prend le pas sur la démonstration de force technique et les espaces alpins (autant que les intérieurs composés avec une incroyable minutie) confèrent à certains temps fort une ampleur émotionnelle renversante. Le temps a fait son œuvre, les couples se sont à demi faits puis totalement défaits, et les cœurs meurtris ont cicatrisé dans la neige éternelle des glaciers.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/roue/.roue (1)_m.jpg" alt="roue (1).jpg, janv. 2020" />
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/roue/.roue (23)_m.jpg" alt="roue (23).jpg, janv. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/roue/.roue (24)_m.jpg" alt="roue (24).jpg, janv. 2020" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Roue-de-Abel-Gance-1923#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/739Berlin, symphonie d'une grande ville, de Walther Ruttmann (1927)urn:md5:7ef220ae3b17e666035a2328656d9e3f2019-09-03T09:09:00+02:002019-09-03T09:09:00+02:00RenaudCinémaBerlinCinéma muetDocumentaireExpérimentalTrainVille <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/berlin_symphonie_d_une_grande_ville/.berlin_symphonie_d_une_grande_ville_m.jpg" alt="berlin_symphonie_d_une_grande_ville.jpg, sept. 2019" style="margin: 0 auto; display: block;" /><div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Symphonie expérimentale</strong></ins></span>
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<p>Ne serait-ce que pour la prouesse cinématographique qui recèle une primeur indiscutable, on a envie de saluer le travail de <strong>Walter Ruttmann</strong>. On peut l'applaudir ici, précisément, parce que dans les années qui ont précédé il a réalisé une série de courts-métrages d'animation relativement peu intéressants, et dans les années qui suivront il se retrouvera du côté du nazisme avec <strong>Leni Riefenstahl</strong>, avant d'être tué sur le front russe en 1941 alors qu'il tournait un film de propagande pour le régime.</p>
<p>Je formulerais tout de même quelques réserves préliminaires. Tout d'abord, <strong>Ruttmann </strong>arrive 20 ans après les frères <strong>Miles </strong>qui réalisaient en 1907 un court-métrage documentaire hypnotisant : <ins>A Trip Down Market Street Before the Fire</ins>, dévoilant l'activité impressionnante d'une rue de Los Angeles peu avant le tremblement de terre qui fera des milliers de morts et dévastera les lieux du tournage. On pouvait déjà voir dans ce court document une forme de symphonie visuelle, où un ballet improvisé de voitures, de charrettes et de passants s'organisait devant les yeux de la caméra (positionnée à la tête d'un tramway) dans un lent mouvement rectiligne constant. Ensuite, si on peut difficilement ne pas voir <strong>Ruttmann </strong>comme un disciple de <strong>Dziga Vertov</strong>, ce film peut donner l'impression d'être une ébauche de <ins>L'Homme à la caméra</ins>, certes antérieure d'une paire d'années, mais à la fois plus grandiloquente et plus conventionnelle d'un point de vue purement technique. Enfin, l'accompagnement musical servi aujourd'hui avec la pellicule silencieuse a tendance à provoquer quelques sursauts liés à l'anachronisme de la manœuvre (composition originale ou pas, c'est aussi la précision et la netteté du son qui détonne presque paradoxalement avec les images, beaucoup plus rugueuses et imparfaites).</p>
<p>Ceci étant dit, cette symphonie orchestrée dans les rues de Berlin, après la catastrophe de la fin de la Première Guerre mondiale et avant la crise boursière de 1929 voire l'avènement du nazisme, dispose de sérieux atouts. 5 actes découpent 5 temps dans la journée-type de la capitale, de l'aube au crépuscule, au fil des différentes activités des différents corps de métier. Le montage digne des cinéastes de propagande soviétique de l'époque enflamme la pellicule et concentre l'action dans quelques séquences particulièrement mouvementées, insufflant une vitalité incroyable à l'ensemble. Le sens du rythme est vraiment fascinant de maîtrise, avec les temps forts agréablement pondérés par des temps plus calmes, et avec cette armée de machines et de métal qui envahit régulièrement l'écran. Le sens de la mise en scène, aussi, se dessine au détour de quelques séquences qu'on imagine au moins légèrement scénarisées, à l'image de l'altercation de deux passants dans la rue. Le "ciné-oeil" est déjà là. <strong>Walter Ruttmann </strong>se fait parfois un peu répétitif ou du moins insistant dans l'utilisation de l'analogie, en dressant des parallèles de manière quelque peu abusive voire dénués de sens (la classe aisée qui prend son repas comme le lion dévore sa carcasse, par exemple).</p>
<p>En 5 temps, <strong>Ruttmann </strong>fait le tour de la ville en passant par les trains et leurs réseaux de chemins de fer, par les hauts fourneaux et les usines qui dépeignent l'activité industrielle, par tous les habitants qui s'activent au lever du jour en direction du bureau ou pour ouvrir les vitrines, par les rues qui s'emplissent progressivement, et par les activités de loisir au cours de la journée avant que les activités nocturnes n'envahissent le champ. Déjà, au détour de quelques séquences, l'opulence des uns et la pauvreté des autres formaient un contraste simple et net que le cinéma s'empressait de capturer.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/berlin_symphonie_d_une_grande_ville/.rue_m.jpg" alt="rue.jpg, sept. 2019" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Berlin-symphonie-d-une-grande-ville-de-Walther-Ruttmann-1927#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/704Une Page folle, de Teinosuke Kinugasa (1926)urn:md5:fb8eaaa1728539c954386d25d61d01b92019-03-29T11:08:00+01:002019-03-29T11:17:03+01:00RenaudCinémaAsileCinéma muetExpérimentalJaponOnirismeSuicide <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/page_folle/.page_folle_m.jpg" alt="page_folle.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="page_folle.jpg, mar. 2019" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Avant-garde d'hier, expérimental d'aujourd'hui </strong></ins></span>
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<p>On peut affirmer avec peu de chances de se tromper qu'<ins>Une Page folle</ins>, le film qu'on est en mesure de voir aujourd'hui, totalement dénué d'intertitres et doté de cet accompagnement musical, n'a rien à voir avec ce qu'il était à l'époque de sa sortie dans les années 20 (avant qu'il ne soit enterré, oublié, puis retrouvé plusieurs décades plus tard). À commencer par la façon de le regarder, puisque aucun benshi (les conteurs de films au Japon qui étaient au moins aussi importants que le film lui-même, cf. un paragraphe de <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Orochi-de-Buntaro-Futagawa-1925">cette bafouille</a>) n'est là pour nous raconter l'histoire : en l'état actuel, le visionnage peut donner l'impression de contempler une œuvre à la frontière de l'expérimental, presque entièrement tournée vers la suggestion et les sensations, plutôt qu'un film racontant une histoire, celle d'un homme devenu concierge dans un asile afin de sauver sa femme internée pour avoir tué son fils en tentant de se suicider.</p>
<p>Je dois l'avouer, sans les informations récoltées par-ci par-là sur le net, je n'aurais jamais compris l'envers du décor, l'intrigue dans ses détails. Cela signifie que l'on peut ne pas apprécier le film pour cela, c'est-à-dire ce qu'il est censé représenter du point de vue de la narration classique, mais pour ce qu'il dégage ou évoque en étant amputé d'une partie de son ossature narrative. Une expérience doublement troublante, donc. J'ai la sensation que cette dimension expérimentale et onirique enfle démesurément, précisément parce qu'on est comme contraint de se focaliser plus que prévu sur la dimension purement graphique et qu'on tente vainement d'en extraire du sens. Très étonnant comme configuration de visionnage.</p>
<p>C'est le chaos (maîtrisé) à tous les niveaux qui perdure à l'esprit, à long terme, après le visionnage. Un maelstrom affolant, tant dans les images montrées de manière directe (avec tout une série de surimpressions) que dans le montage de fou furieux. La structure narrative n'a pas l'air en soi évidente, avec des flashbacks aussi nombreux que fragmentés qui ne s'annoncent pas poliment, mais c'est le montage avec tout un tas d'effets variés qui rend la sauce aussi piquante et puissante. C'est le chaos total par moments. L'expressionnisme des images et la vivacité du montage appellent deux barons de l'époque, respectivement <strong>Murnau </strong>et <strong>Eisenstein</strong>, mais je serais curieux de connaître la véracité de cette affirmation, par rapport aux intentions réelles de <strong>Kinugasa </strong>dans le contexte de sa mise en scène (peinture de la folie, d'un rêve ou simple bordel ?).</p>
<p>Quoi qu'il en soi, il est permis d'y voir une œuvre particulièrement avant-gardiste, notamment dans la chorégraphie des danses et plus généralement de la folie de cette femme enfermée. L'atmosphère reste éprouvante, même (presque) totalement détachée de tout principe narratif : avant-garde d'hier, expérimental d'aujourd'hui.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/page_folle/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg" title="img1.jpg, mar. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/page_folle/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg" title="img2.jpg, mar. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/page_folle/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg" title="img3.jpg, mar. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/page_folle/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg" title="img4.jpg, mar. 2019" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Une-Page-folle-de-Teinosuke-Kinugasa-1926#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/633