Je m'attarde - Mot-clé - Illusion le temps d'un souffle<br />2024-03-29T08:45:23+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearL'Homme qui voulut être roi, de John Huston (1975)urn:md5:c4fac6e9dfe2b5c518650adbdd313f572018-03-05T16:23:00+01:002018-03-05T20:26:09+01:00RenaudCinémaAfghanistanIllusionImpérialismeJohn HustonMichael CaineMoyen-OrientSean Connery <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_qui_voulut_etre_roi/.homme_qui_voulut_etre_roi_m.jpg" alt="homme_qui_voulut_etre_roi.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="homme_qui_voulut_etre_roi.jpg, mar. 2018" /><div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"God's holy trousers!" : un tissu d'illusions pour un aveuglement enchanté</strong></ins></span>
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<p><ins>L'Homme qui voulut être roi</ins> confirme un ressenti jusque-là resté assez vague dans l'exploration de la filmographie de l'acteur-boxeur-réalisateur-dialoguiste américain : c'est dans le récit d'aventures, avec tout ce qu'il peut comporter comme enseignements et comme pirouettes scénaristiques consacrant des rebondissements hauts en couleur, que <strong>John Huston </strong>excelle vraiment. Que ce soit dans l'écrin du western, avec les mirages dorés dans lesquels se sont perdus les chercheurs d'or trente ans plus tôt dans <ins>Le Trésor de la Sierra Madre</ins> (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Tresor-de-la-Sierra-Madre-de-John-Huston-1948">lire le billet</a>), ou comme ici dans celui du conte aux confins du Moyen-Orient, où des sujets de la couronne britannique se perdront dans les reflets tout aussi dorés de mirages divins, la vanité de l'homme constitue un matériau de base, le fondement incandescent d'un récit passionnant.</p>
<p><strong>John Huston </strong>manie les antagonismes avec une dextérité vraiment remarquable : la trajectoire des deux larrons, Daniel Dravot et de Peachy Carnehan, partis de l'Inde coloniale en direction du Kafiristan (une province au Nord-Est de l'Afghanistan aujourd'hui baptisée Nouristan) à la fin du 19ème siècle, illustre magnifiquement cela dans leur recherche éperdue de fortune et de gloire. Ce cheminement géographique et mental brille par sa simplicité sans être dépourvu d'ambigüité, il revêt l'apparence du conte moral sans pour autant s'enfoncer dans le systématisme ou le didactisme obtus, et il investit autant le registre de la comédie pure que celui de la tragédie profonde.</p>
<p>On peut reconnaître d'emblée le rôle prépondérant de <strong>Sean Connery </strong>et <strong>Michael Caine </strong>dans la réussite du film, dans leurs habits de sergents de l'armée coloniale britannique, tant ils parviennent à incarner tour à tour la folie douce, l'inconscience tranquille, la bonhommie conciliante, la domination arrogante ou l'orgueil paternaliste. Leurs "<em>God's holy trousers!</em>" répétés sont forcément inoubliables. On passe d'un sentiment à l'autre entre deux batailles, on passe du rire franc quand <strong>Connery </strong>reçoit une flèche en plein torse et en ressort indemne, arrêtée par sa bandoulière, au rire un peu plus gêné quand il commence à profiter largement de cet événement pour se faire sacrer roi, dieu Sikander et descendant direct d'Alexandre le Grand. On passe de la clémence amusée, tandis qu'il s'imagine Salomon des temps modernes en répandant des jugements d'une apparente justesse à sa cour, au doute plus grave lorsque le pouvoir grignote progressivement les dernières parcelles de lucidité.</p>
<p>Cette dynamique des émotions confère à <ins>L'Homme qui voulut être roi</ins> toute sa force et entérine sa pluridisciplinarité, entre odyssée grandiose et récit d'aventures sombres, entre épopée mélancolique et tragi-comédie. Le dérisoire côtoie le démentiel dans cette fresque dépeignant leurs songes impérialistes. Un tissu d'illusions qui les conduira à leur perte, bercés par leur croyance en une supériorité morale et leur soif de conquête. Une vanité et une affliction magnifiques jusqu'à l'extrémité de leur existence, avec ces derniers moments où le temps semble s'arrêter sur un pont suspendu, point d'orgue de l'aveuglement et du vacillement enchantés.</p>
<div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_qui_voulut_etre_roi/.connery_caine2_m.jpg" alt="connery_caine2.jpg" title="connery_caine2.jpg, mar. 2018" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_qui_voulut_etre_roi/.connery_caine_m.jpg" alt="connery_caine.jpg" title="connery_caine.jpg, mar. 2018" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_qui_voulut_etre_roi/.caine_m.jpg" alt="caine.jpg" title="caine.jpg, mar. 2018" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/homme_qui_voulut_etre_roi/.connery_m.jpg" alt="connery.jpg" title="connery.jpg, mar. 2018" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Homme-qui-voulut-etre-roi-de-John-Huston-1975#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/493La Grande Illusion, de Jean Renoir (1937)urn:md5:bf45d7fb1b7737d4d6f1672828ef817b2013-04-27T11:44:00+02:002013-04-28T15:45:05+02:00RenaudCinémaClasses socialesErich von StroheimGuerreIllusionJean GabinJean RenoirLibertéPremière Guerre mondialePrisonSeconde Guerre mondiale <p><img title="grande_illusion.jpg, avr. 2013" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="grande_illusion.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/grande_illusion/.grande_illusion_m.jpg" /></p>
<p><ins>La Grande Illusion</ins> est un de ces chefs-d'œuvre intemporels qui accaparent votre esprit sans relâche. Je pèse mes mots et je dis cela sans emphase : si elle a trait de prime abord à la Première Guerre Mondiale, l'œuvre de <strong>Renoir </strong>est un monument du cinéma mondial dont la portée dépasse largement le cadre — thématique, historique et temporel — du sujet initial. On a là un film de guerre qui laisse les batailles en hors-champ, constituant peut-être ainsi la première des « illusions », l'une des plus évidentes : a-t-on à faire à un film dit « de guerre », historique et empreint de réalisme, ou bien serait-ce plutôt une fiction romancée un peu fleur bleue, une version édulcorée des événements de 1914-1918 ? Il faut pour répondre à cette question replacer le film dans le contexte de l'année 1937 : Hitler est au pouvoir depuis quelques années déjà, la Seconde Guerre Mondiale est sur le point d'éclater, mais le nazisme n'a pas encore atteint son apogée et, de ce fait, il n'a pas encore « simplifié », en quelque sorte, les relations militaires entre patries ennemies. Ce que raconte <ins>La Grande Illusion</ins> n’est donc pas le fruit de l'imagination du scénariste <strong>Charles Spaak</strong> mais bien la réalité quasi-historique d'un microcosme bien particulier.</p>
<p>Le film se déroule en trois parties (la dernière étant peut-être la moins réussie), principalement dans des prisons allemandes réservées aux officiers français capturés, en 1916. Comme le dit un des personnages, la guerre peut se faire « poliment » dans ces camps à l'ambiance apaisée, alors qu'à quelques centaines de kilomètres de là, la bataille de Verdun fait rage et mêle le sang des poilus à la boue des tranchées. Le capitaine de Boëldieu (<strong>Pierre Fresnay</strong>, bel aristo british) et le commandant von Rauffenstein (magnifiquement interprété par <strong>Erich von Stroheim</strong>, plein d’ambiguïté) ont beau être opposés dans cette guerre, ils partagent cette vision aristocratique et chevaleresque des faits d’armes : le capitaine expliquera même que « <em>pour un homme du peuple, c’est horrible de mourir à la guerre. Pour vous comme moi, c’est une bonne solution</em> ». Ils n'ont d'autre destin que de mourir au combat là où le lieutenant Maréchal (<strong>Jean Gabin</strong>, excellent), en bon représentant du peuple héritier de la révolution, veut croire au devoir patriotique,
à la défense de la nation et de la démocratie pour laquelle ses ancêtres ont payé un lourd tribut. Voilà l'illustration d'une autre grande illusion : ce ne ne sont pas les nationalités, les guerres ou les frontières qui divisent les Hommes mais bien les classes auxquelles ils appartiennent. La guerre, au contraire, contribue à leur rapprochement et met — en apparence seulement — un vernis sur les barrières sociales qui existaient dans la société civile : « <em>chacun mourait de sa maladie de classe s’il n’y avait la guerre pour réunir tous les microbes</em> » s'exclame de manière ironique et lapidaire un des personnages.</p>
<div id="centrage"><img title="aristos.jpg, avr. 2013" alt="aristos.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/grande_illusion/.aristos_m.jpg" /><br />
<span style="font-size: 9pt;"> Le capitaine de Boëldieu (<strong>Pierre Fresnay</strong>) et le commandant von Rauffenstein (<strong>Erich von Stroheim</strong>).<br /><hr /> Ci-dessous, des prisonniers lors d'un transfert, avec au centre le lieutenant Maréchal (<strong>Jean Gabin</strong>).</span><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/grande_illusion/.gabin_m.jpg" alt="gabin.jpg" title="gabin.jpg, avr. 2013" /></div>
<p>« <em>La Grande Illusion</em>, écrivait <strong>François Truffaut</strong>, <em>est construit sur l'idée que le monde se divise horizontalement, par affinités, et non verticalement, par frontières.</em> » De là l'étrange relation du film au pacifisme : la guerre, aussi terrible soit-elle, abat les frontières de classe. Il y aurait donc des guerres utiles, comme les guerres révolutionnaires, qui serviraient à abolir les privilèges et à faire avancer la société. Mais <ins>La Grande Illusion</ins> est avant tout une œuvre éminemment humaniste et antiraciste qui, à ce titre, poussera<strong> Louis Ferdinand Céline</strong> à exprimer son aversion pour le film dans le pamphlet antisémite <ins>Bagatelles pour un massacre</ins>. Selon <strong>Céline</strong>, le film était d'une logique tellement rigoureuse qu'il en devenait dangereux, de par son impact sur « la question juive » dans l'opinion publique. Il est par ailleurs amusant de noter la capacité fédératrice du film qui a su regrouper, à l'époque, des critiques quasiment unanimes d'un extrême à l'autre, des franges humanistes et pacifistes aux catégories les plus patriotes de la société française de l’entre-deux-guerres. Allusion à une autre illusion, parmi les nombreuses autres interprétations que l'on peut donner au titre du film et qui nourriront nombre de mes réflexions futures.</p>
<hr />
<p><em>Merci à celui qui (peut-être) se reconnaîtra.</em></p>
<p><ins><em>N.B.</em></ins> : Je renâcle généralement à l'idée de <img title="blu-ray.jpg, avr. 2013" style="float: right; margin: 0 0 0em 1em;" alt="blu-ray.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/grande_illusion/.blu-ray_s.jpg" />faire de la pub, mais sachez que le Blu-ray édité par StudioCanal est une vraie perle. La qualité de la restauration (image & son) et le contenu additionnel (commentaires concis et intéressants, court-métrage supplémentaire, informations sur la restauration et le traitement des négatifs endommagés avec le concours de la cinémathèque de Toulouse, etc.) sont excellents. Je retiens en particulier l'intervention éclairée d'<strong>Olivier Curchod</strong> (historien du cinéma et spécialiste de <strong>Jean Renoir</strong>) sur le succès et les controverses du film.</p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Grande-Illusion-de-Jean-Renoir-1937#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/212