Je m'attarde - Mot-clé - Liv Ullmann le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearLe Nouveau Monde, de Jan Troell (1972)urn:md5:49bd83b12b38817f80b648c2cd0eacec2017-08-30T09:58:00+02:002017-08-30T10:23:12+02:00RenaudCinémaEtats-UnisImmigrationLiv UllmannMax von SydowSuède <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/nouveau_monde/.nouveau_monde_m.jpg" alt="nouveau_monde.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="nouveau_monde.jpg, août 2017" /><div id="centrage">
<p><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Dernière lettre pour la Suède<br /></strong></ins></span></p>
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<p><ins>Le Nouveau Monde</ins> reprend l'action du premier film du diptyque adapté de <strong>Vilhelm Moberg</strong>, <ins>Les Émigrants</ins> (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Emigrants-de-Jan-Troell-1971">lire le billet</a>), exactement là où il l'avait laissée : un groupe d'émigrés suédois, principalement centré sur la famille de <strong>Max von Sydow </strong>et <strong>Liv Ullmann</strong>, arrivent sur les terres vierges du Minnesota après un très long périple à travers l'Océan Atlantique. Alors que le premier volet s'était concentré sur la dureté des conditions de vie de cette famille paysanne en Suède et les raisons de leur(s) émigration(s) aux raisons multiples en Amérique, au milieu du XIXe siècle, ce deuxième temps raconte l'établissement de cette colonie nordique bigarrée, dans le nouveau monde éponyme, dans un souci de naturel et d'authenticité immersive toujours aussi important et appréciable. Encore plus long que le précédent (qui atteignait déjà plus de trois heures), doté d'une structure narrative un peu plus complexe faisant appel à des flashbacks, cette fresque arbore toutefois la même lenteur dans le rythme. Elle illustre une facette de la vie des immigrants de l'époque, dans toute sa complexité et sa diversité, en saisissant le mouvement à la fois dans son ensemble, d'une temporalité écrasante, et aussi dans les détails de ses aspects quotidiens qui avaient déjà fait le sel et le charme de l'autre film.</p>
<p>C'est autant la chronique intrinsèque d'une population suédoise émigrée qu'un portrait croisé, celui de nouveaux colons et d'une nouvelle terre.</p>
<p>Alors qu'ils arrivent sur les rives du lac Ki Chi Saga, la famille investit les lieux progressivement. <strong>Jan Troell </strong>insiste (agréablement, à titre personnel) sur la description minutieuse de leur nouveau mode de vie et de son évolution. Ils passent d'une vieille cabane en bois à une maison construite avec l'aide de leurs compatriotes et autres compagnons candidats à l'émigration. Ils s'habituent à la configuration du terrain, sa terre beaucoup plus fertile et son climat beaucoup plus rude. Ils font connaissance avec les populations locales, des marchands avoisinants aux Indiens de passage. Peu à peu, leur rapport à la propriété s'accorde avec le rêve qui leur avait été vendu à l'autre bout du monde : ils peuvent réclamer une parcelle de terre américaine sur la base du "first come, first served" et ils deviendront, par la force des choses, des citoyens américains.</p>
<p>Mais leur histoire n'évolue pas en vase clos, indépendamment de celle du pays qu'ils ont choisi d'habiter. Petit à petit, l'histoire des États-Unis s'invite dans la leur, notamment à travers le début de la Guerre de Sécession, la révolte des Sioux de 1862, et la "fièvre jaune" de la ruée vers l'or qui semble briller depuis l'autre bout du continent, en Californie.<br />La peinture des tribus indiennes est d'ailleurs très intéressante, nuancée et évolutive, en partant d'un apprivoisement mutuel et d'une certaine entraide à la tristement célèbre exécution collective de 38 Indiens par pendaison. Ce moment de l'histoire américaine est capté très simplement, de l'intérieur, comme une toile de fond qui laisserait le temps de ressentir l'évolution des rapports et d'apercevoir la naissance d'une nation en même temps que celle d'une spoliation. La réalité et la fiction intimement mêlées.<br />La convoitise que suscitait l'or alors est également traitée soigneusement, au centre des enjeux pendant une longue partie, c'est même à ce titre le motif d'un flashback très singulier. Le frère de <strong>Max von Sydow </strong>(aka Karl Oskar Nilsson) reviendra dans le Minnesota après un très long et douloureux périple à l'Ouest, raconté de manière très originale : pendant une grosse demi-heure, presque aucun dialogue, seulement des sons et des percussions pour habiller un montage volontairement hasardeux, illustrant la difficulté de ce voyage, la mort qui rôde et la surdité partielle du personnage. C'est un épisode expérimental déroutant, parfois difficile à supporter (à plusieurs titres).</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/nouveau_monde/.viande_m.jpg" alt="viande.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="viande.jpg, août 2017" /></p>
<p>À l'image des <ins>Émigrants</ins>, <ins>Le Nouveau Monde</ins> s'attache à décrire de manière réaliste et anti-spectaculaire la vie de colons et de paysans, en donnant une vision de l'exode qui prend aux tripes. C'est un vrai voyage avec des émigrés, au cœur de l'immigration, sans idéalisation. Le déracinement aussi cruel qu'inévitable, la précarité menaçante, la découverte de nouveaux espaces, et tous les maux dont on peut souffrir quand on est contraint de vivre à des milliers de kilomètres de sa terre natale. C'est un élément essentiel de cette œuvre de plus de six heures au total : rendre intelligible, presque palpable, ce que ces gens ont pu vivre et ressentir au XIXe siècle. Tous les points d'attache avec leur passé qui jalonnent le film deviennent autant de sursauts émotionnels tangibles : une pomme issue d'un arbre planté il y a de nombreuses années et un plant qui avait fait le voyage avec eux, la chaussure d'un de leurs enfants mort en Suède qui ressurgit, et autant de souvenirs que le personnage de <strong>Liv Ullmann </strong>n'arrive pas à oublier, à reléguer dans la case de sa vie passée.</p>
<p>La fin de cette seconde partie ressemble beaucoup à celle de la première : <strong>Max von Sydow </strong>est seul, âgé cette fois-ci, il a vu ses enfants et petits-enfants grandir et peupler ce nouveau continent. La joie du précédent volet, alors qu'il trouvait un espace idyllique où s'établir, a cédé sa place à une vague de mélancolie nostalgique. C'est sa mort qu'un de ses voisins annonce, à la faveur d'une lettre envoyée en Suède, expliquant que plus aucun de ses enfants ne sait parler suédois désormais. C'est la fin du très long mouvement d'émigration, et l'illustration magnifique des titres des romans originaux de <strong>Vilhelm Moberg </strong>: "Nybyggarna" (les nouveaux colons) et "Sista brevet till Sverige" (la dernière lettre pour la Suède).</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/nouveau_monde/.famille_m.jpg" alt="famille.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="famille.jpg, août 2017" /></p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Nouveau-Monde-de-Jan-Troell-1972#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/439Les Émigrants, de Jan Troell (1971)urn:md5:650ea468fb804f76753fcdc37be6eb9b2017-08-16T10:58:00+02:002017-08-30T20:14:47+02:00RenaudCinémaEtats-UnisImmigrationLiv UllmannMax von SydowSuède <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/emigrants/.emigrants_m.jpg" alt="emigrants.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="emigrants.jpg, août 2017" /><div id="centrage">
<p><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Une histoire de déracinement <br /></strong></ins></span></p>
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<p>Regarder <ins>Les Émigrants</ins> après <ins>Pelle le conquérant</ins>, sur le thème de l'émigration, c'est un peu comme regarder <ins>Blue Collar</ins> après <ins>Selma</ins>, sur celui de la ségrégation : les sujets ont beau avoir une zone de recouvrement non-négligeable, le traitement et le recul qu'ils proposent sont tellement différents qu'il est impossible de les ranger au même rayon. Là où <strong>Bille August </strong>se contente d'illustrer platement (et très artificiellement) une série de stéréotypes et de caricatures ambulantes, <strong>Jan Troell </strong>propose une plongée nuancée et extrêmement immersive dans le quotidien paysan de la Suède du milieu du 19ème siècle. <strong>Max von Sydow </strong>incarne une figure de l'immigration dans les deux films, de la Suède vers le Danemark dans <ins>Pelle le conquérant</ins> et de la Suède vers les États-Unis dans <ins>Les Émigrants</ins>, mais les sensations qui en résultent et la portée du projet n'ont strictement rien à voir.</p>
<p><ins>Les Émigrants</ins> se déroule essentiellement en trois temps, correspondant grosso modo aux trois bonnes heures du film : la vie d'une famille paysanne suédoise en grande difficulté dans l'exploitation de leurs terres, puis l'émigration à proprement parler, très éprouvante, par voie navale, et enfin la découverte de la nation américaine tant idéalisée. Cette dernière partie sera plus amplement abordée dans un second film, <ins>Le Nouveau Monde</ins> (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Nouveau-Monde-de-Jan-Troell-1972">lire le billet</a>), également réalisé par <strong>Jan Troell</strong>, qui complètera l'adaptation de la saga des émigrants en quatre volumes écrite par <strong>Vilhelm Moberg </strong>dans les années 40 et 50.</p>
<p>Durant la première partie, un spectre assez large de personnages nourrit en secret un rêve d'émigration, les États-Unis suscitant divers fantasmes, déjà, au 19ème siècle, à travers son American Dream mondialisé. Pour les habitants des environs, c'est un pays vu comme une île lointaine, dénuée d'accès terrestre (chose difficilement concevable pour certains), et dont les multiples avantages sociaux sont racontés (et idéalisés) dans un petit livre, circulant à travers les familles et alimentant le rêve comme un mirage. Ce ne sera qu'après la cooccurrence d'une série d'échecs à la limite de l'insurmontable qu'une troupe bigarrée de candidats à l'émigration se constituera : une famille de paysans (avec <strong>Liv Ullmann </strong>et <strong>Max von Sydow</strong> pour parents) ne pouvant plus subvenir à leurs besoins sur des terres rocailleuses trop hostiles, de jeunes métayers soumis à la brutalité de leur maître, des religieux aux croyances trop hétérodoxes pour l'époque, ou encore des personnes aux mœurs condamnées par la communauté. <strong>Jan Troell </strong>insiste longuement sur la dureté des conditions de vie et illustre très naturellement cet état de survie quotidien, à mesure que les récoltes s'amenuisent : il est en ce sens très proche du film finlandais de <strong>Rauni Mollberg </strong>encore plus âpre, <ins>La Terre de nos ancêtres</ins>, qui sortira deux ans plus tard.</p>
<p>Puis vient le temps de l'émigration, en bateau, chargé de toutes les formes d'espoir imaginables : une configuration qui constituait à peu de chose près le point de départ de <ins>Pelle le conquérant</ins>. C'est sans doute le passage le plus éprouvant du film, au cours duquel la suffocation et la claustrophobie deviennent palpables. Le voyage est synonyme d'agonie et ses six longues semaines verront progressivement s'installer la faim, la promiscuité, les soupçons, les menaces, et la maladie sous toutes ses formes : poux, choléra, scorbut et même scrofule dissimulé sous les traits d'un banal mal de mer, emportant femmes et enfants. La nausée ainsi générée est aussi puissante que celle, dans un registre évidemment bien différent, d'un autre célèbre voyage en bateau raconté par <strong>Louis-Ferdinand Céline</strong>.</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/emigrants/.charrette_m.jpg" alt="charrette.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="charrette.jpg, août 2017" /></p>
<p>L'arrivée sur le continent américain est un immense soulagement, même s'il ne correspond pas exactement à la description élogieuse qui en avait été faite. Non, tous les paysans ne peuvent pas devenir riches sur la base de leur simple bonne volonté. Non, les esclaves ne sont pas forcément mieux traités que les pauvres de leur propre pays ("<em>Je me déclarerai comme esclave !</em>", s'était écrié un jeune homme un peu trop enthousiaste dans la première partie). Non, tous les hommes ne sont pas égaux, à l'écart de tout système de classe (la scène sur le bateau les menant au Minnesota, avec les riches propriétaires terriens à l'étage, illustre ceci de manière légèrement poussive). Non, ce pays n'est pas la terre promise, il n'est pas l'idylle tant attendue, il n'est pas aussi prospère que ce que les livres rapportaient sur le Vieux Continent.</p>
<p>Les désillusions s'enchaînent mais devant l'ampleur de leur décision et devant l'impossibilité de faire marche arrière, d'autres illusions viennent régulièrement remplacer celles qui se sont envolées. À mesure que se cristallise le choc entre le rêve et la réalité, on réalise que le soin apporté à l'immersion dans cette communauté a porté ses fruits. Après la dureté des deux premiers tiers, on partage instinctivement leurs joies, si petites soient-elles, leurs peurs, et dans une certaine mesure leurs rêves les plus candides. La dernière séquence du film est un accomplissement bouleversant, d'une incroyable tranquillité : <strong>Max von Sydow</strong>, après avoir parcouru des kilomètres dans la nature nord-américaine, trouve l'emplacement de son nouveau domicile, face à un lac, au pied d'un arbre sur lequel il a gravé son nom. Il y a dans son sourire apaisé, alors qu'il est adossé à l'arbre, l'air profondément soulagé, quelque chose d'aussi émouvant et intelligible que la dernière scène du <ins>Pays du silence et de l'obscurité</ins> de <strong>Herzog</strong>, qui voyait un personnage handicapé embrasser un tronc. Au terme de ce long voyage, son état d'esprit est devenu parfaitement compréhensible, ses émotions limpides. C'est une vision de l'émigration qui m'aura autant frappé, de manière aussi profonde, viscérale et déchirante, que celle illustrée dans <ins>Heimat</ins> d'<strong>Edgar Reitz</strong>.</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/emigrants/.arbre_m.jpg" alt="arbre.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="arbre.jpg, août 2017" /></p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Emigrants-de-Jan-Troell-1971#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/436