Je m'attarde - Mot-clé - Mexique le temps d'un souffle<br />2024-03-29T14:13:33+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearL'Inquisition, de Arturo Ripstein (1974)urn:md5:4215ba54d7cc84ab5300c9f930b7ff732023-06-14T17:24:00+02:002023-06-14T16:29:16+02:00RenaudCinémaEspagneInquisitionMexiquePersécutionPesteReligionTortureViolence <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/inquisition/.inquisition_m.jpg" alt="inquisition.jpg, mai 2023" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Chronique d'une persécution</strong></ins></span>
</div>
<p>Pas déçu du voyage du côté de chez <strong>Arturo Ripstein</strong>, cette fois-ci au milieu du XVIe siècle au Mexique en proie à deux fléaux mortifères, la peste et la persécution des hérétiques. En se concentrant dans <ins>El santo oficio</ins> sur l'inquisition espagnole (le Mexique faisait partie de la Nouvelle-Espagne et Mexico en était la capitale jusqu'à l'indépendance en 1821), l'austérité de sa mise en scène qui avait été très éprouvante dans <ins>Le Château de la pureté</ins> trouve tout son sens ici. Elle est mise au service de la chronique d'une persécution dans un cadre historique précis et intéressant, et le niveau de production semble également bien différent, plus à même de rendre compte en l'occurrence des ramifications du pouvoir oppresseur de l'institution cléricale.</p>
<p>L'origine de la chasse aux sorcières menés contre les Juifs est lié dans le film, inspiré de documents retraçant des procès ayant réellement eu lieu, à la propagation de la peste — ils sont soupçonnés d'en être à l'origine notamment en polluant les puits. <strong>Ripstein </strong>plante un décor particulièrement hostile d'entrée de jeu en montrant comment un moine dénonce sa famille comme hérétiques, à la mort de son père, en constatant que ses proches pratiquent des rites funéraires peu orthodoxes d'un point de vue catholique. La famille pensait être tranquille vis-à-vis de l'ordre religieux en ayant placé un de ses enfants dans l'institution... Bel échec, qui marque le début d'une persécution longue, à la violence protéiforme, touchant un cercle très large de personnes considérées comme infidèles. Le sceau de l'intolérance, du pouvoir patriarcal et de l'aliénation coloniale est placé avec vigueur au tout début du film et ne relâchera pas son étreinte pendant les deux heures qui suivront.</p>
<p><ins>L'Inquisition</ins> vaut le détour pour plusieurs aspects, à commencer par la froideur de la reconstitution des pratiques de l'église catholique. Il manque sans doute un peu d'envergure à cette reconstitution (ce sont essentiellement des moyens qui font défaut, dans les costumes, les maquillages, les décors, les figurants), mais la plongée dans le rythme de vie et les coutumes des différentes communautés (les traditionalistes autant que les Juifs hérétiques) reste très prenante. Le rythme très apathique de l'ensemble amplifie la langueur de l'atmosphère et s'accommode assez bien des nombreuses séquences très dures que compte le film, assez bien chargé en tortures et autres sévices. <strong>Ripstein </strong>parvient ainsi à créer et recréer un climat de peur et de suspicion qui trouve pour apogée une sidérante séquence finale, reconstitution d'une exécution collective (assez éloignée dans le style de celle de <strong>Grandier </strong>dans <ins>The Devils</ins>) après déambulation dans les rues de Mexico et énumération des sentences.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/inquisition/.img1_m.png" alt="img1.png, mai 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/inquisition/.img2_m.png" alt="img2.png, mai 2023" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/inquisition/.img3_m.png" alt="img3.png, mai 2023" />
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/inquisition/.img5_m.png" alt="img5.png, mai 2023" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Inquisition-de-Arturo-Ripstein-19742#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1166Vera Cruz, de Robert Aldrich (1954)urn:md5:f7327c3a88f75336a8c7042c4a999cea2020-06-07T12:19:00+02:002020-06-07T11:48:01+02:00RenaudCinémaBurt LancasterCharles BronsonErnest BorgnineGary CooperMexiqueRobert AldrichWestern <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/vera_cruz/.vera_cruz_m.jpg" alt="vera_cruz.jpg, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"Ben Trane. I don't trust him. He likes people, and you can never count on a man like that."</strong></ins></span>
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<p>Malgré ses défauts logés dans la trame d'un scénario aux rebondissements sacrément tarabiscotés, <ins>Vera Cruz</ins> donne tout de même un peu le vertige dans le semi-bouleversement des codes qu'il propose, dans un genre archi balisé dans les années 50, et ce 15 ans avant que <strong>Peckinpah </strong>dynamite le western pour de bon avec <ins>The Wild Bunch</ins> en 1969. Autre particularité intéressante, <strong>Robert Aldrich </strong>met sur le devant de la scène l'histoire française au Mexique, à travers la personne de l'empereur Maximilien : le film tournera essentiellement autour d'une escorte qui doit convoyer (entre autres) la femme de l'empereur jusqu'à la ville de Vera Cruz.</p>
<p>Le cadre historique et géopolitique retenu est sans doute ce qui a poussé <strong>Aldrich </strong>a insérer autant d'ambivalences (toutes proportions gardées) dans un genre habitué jusqu'alors aux archétypes manichéens : on est au lendemain de la guerre de Sécession, et <strong>Gary Cooper </strong>tout comme <strong>Burt Lancaster</strong> incarnent deux anti-héros notoires, deux aventuriers principalement attirés par le magot, bien plus que par une quelconque cause (qui sera portée par la droiture d'un autre personnage, du côté des Mexicains). Le personnage de <strong>Gary Cooper</strong>, Benjamin Trane, restera toutefois le gardien de la morale dans les tous derniers instants, mais celui de <strong>Burt Lancaster</strong>, Joe Erin, n'aura eu de cesse de travailler sa loyauté. Avec son sourire carnassier d'un blanc éclatant, contrastant avec la poussière et la crasse environnantes, il compose un personnage vraiment attachant.</p>
<p>Un western de rupture, penché sur la truculence, saupoudré d'un baroque presque imperceptible vu d'aujourd'hui, annonçant donc la contre-culture et le spaghetti — en témoigne, indirectement, la présence de <strong>Charles Bronson </strong>voire même la trombine de <strong>Ernest Borgnine</strong>. L'avidité et l'hypocrisie règnent en maître, et sans doute un peu trop si on en juge les péripéties dignes d'un film d'aventures un peu trop concentré sur sa dynamique du rebondissement et de l'instabilité à tout prix. <strong>Aldrich </strong>entend assez clairement s'atteler à une tâche de démythification, et c'est en cela qu'on est poussé à fermer les yeux sur certaines grosses ficelles scénaristiques. Un sacré bordel, tout de même. Et quelques très belles idées visuelles, aussi, comme ces rotations à 360° découvrant l'encerclement des protagonistes par des centaines de juaristes postés en hauteur.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/vera_cruz/.cooper_lancaster_m.png" alt="cooper_lancaster.png, juin 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Vera-Cruz-de-Robert-Aldrich-1954#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/787Le Sel de la terre, de Herbert J. Biberman (1954)urn:md5:750496955d18be4bc9a0d38cea01503a2019-01-07T14:41:00+01:002019-01-07T14:41:00+01:00RenaudCinémaExploitationHerbert J. BibermanLutte des classesMaccarthysmeMexiqueRacismeSexismeSégrégation <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_la_terre_1954/.sel_de_la_terre_1954_m.jpg" alt="sel_de_la_terre_1954.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="sel_de_la_terre_1954.jpg, janv. 2019" />
<div id="centrage">
<span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Nothing but a woman<br /></strong></ins></span>
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<p>En 1954, en plein maccarthisme, en pleine période de chasse aux sorcières rouges jusque dans les chiottes des studios de cinéma, sortait sur le territoire américain un film particulièrement osé qui s'employait à embrasser trois grandes causes : la lutte contre l'exploitation des travailleurs, la lutte contre le racisme, et la lutte contre les discriminations sexistes. En épousant le mouvement de révolte de mineurs mexicains dans une ville du Nouveau Mexique, <strong>Herbert J. Biberman</strong> dressait le portrait étonnamment subtil d'une grève à l'intersection de nombreuses revendications. La censure n'autorisa toutefois son exploitation (limitée) en salles qu'à partir de 1965.</p>
<p>Il était donc possible, il y a 65 ans, dans un climat de censure clairement établie, de dénoncer des injustices liées au capitalisme, au racisme et au machisme sans que le pamphlet ne vire entièrement au tract politique dogmatique. La dimension humaniste qui irrigue <ins>Le Sel de la Terre</ins> est sans aucun doute fondamentale dans cet équilibre entre plaidoyer contre l'injustice et description des conditions de vie. Il y a de quoi rester stupéfait devant la capacité d'un tel film, dont la composante militante est loin d'être anodine, à conserver une grande part de nuances, loin des sentiers manichéens. L'irruption dans le récit de la question féministe en est le plus bel exemple, car l'implication des femmes dans le mouvement de grève qui concernait au départ les hommes travaillant dans les mines se fera dans la difficulté, les grévistes étant dans un premier temps réticents à une telle prise de pouvoir. Mais la participation des femmes se révélera très vite fondamentale, aussi nécessaire qu'efficace dans la structuration globale du mouvement. Les piquets de grève peuvent donc, en effet, être tenus par des femmes.</p>
<p>Du point de vue de l'histoire des idées et du cinéma, je serais curieux de trouver un antécédent à cette œuvre, croisant autant de points de vue à caractère social qui résonnent très fortement et très clairement encore aujourd'hui. Revendications liées à l'égalité des salaires, à la sécurité au travail, et aux conditions de vie décentes : des thématiques qui donnent une idée de la "dangerosité" de <strong>Biberman</strong>, raison pour laquelle il fut emprisonné dans les années 50, pour avoir refusé de répondre à la commission d'enquête parlementaire sur les activités antiaméricaines.</p>
<p>Mais il n'y a pas vraiment d'amertume dans <ins>Le Sel de la Terre</ins> : au contraire, si la mise en scène peut sembler un peu pataude par moments (l'interprétation est plutôt inégale, entre acteurs professionnels et non-professionnels), empreinte d'un néoréalisme toutefois dénué de misérabilisme, les intermèdes comiques sont réguliers et empêchent le film de s'enfermer dans la diatribe pure. C'est notamment le cas lorsque les femmes se retrouvent emprisonnées et lorsque les hommes se retrouvent seuls à la maison à devoir assurer les tâches ménagères : faire la vaisselle, la lessive, s'occuper des enfants, etc. Ils se rendent compte, enfin, de la pénibilité de ce travail et de la nécessité de certaines choses — qui faisaient l'objet de revendications de la part de leurs compagnes depuis longtemps.</p>
<p>Il est aussi beaucoup question de divisions dans la lutte, et du profit que savent en tirer les patrons : il y a ceux qui souhaitent faire grève et les autres, il y a ceux qui considèrent les revendications des femmes légitimes et les autres, etc. Les uns d'un côté, et les autres de l'autre, toujours. De ce fait, la masse ouvrière se scinde d'elle-même en multiples fragments et la confusion ainsi générée ne profite jamais à quelque partie que ce soit. Face aux intimidations et arrestations multiples, seule la détermination des ouvriers (et surtout des ouvrières) permettra de résister. En-cela, <ins>Le Sel de la Terre</ins> propose une vision beaucoup moins masculine et virile de la lutte, comme pouvait le proposer un film comme <ins>Sur les Quais</ins> sorti la même année.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_la_terre_1954/.femmes_m.jpg" alt="femmes.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="femmes.jpg, janv. 2019" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Sel-de-la-terre-de-Herbert-J-Biberman-1954#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/591Mai Morire, de Enrique Rivero (2013)urn:md5:8a528a89957c11c012173536bb737c092018-12-10T10:34:00+01:002018-12-10T12:25:18+01:00RenaudCinémaBateauCours d eauFamilleMexiqueMort <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/mai_morire/.mai_morire_m.jpg" alt="mai_morire.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="mai_morire.jpg, déc. 2018" />
<div id="centrage">
<span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Divagations sur les rives du Styx<br /></strong></ins></span>
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<p>Au fil du temps, des explorations cinéphiles et des découvertes étonnantes ou incongrues, les films comme <ins>Mai Morire</ins> se font (chez moi) de plus en plus rares. Des œuvres qui proposent un univers extrêmement codifié, baignant dans une atmosphère très travaillée, et dont les excès ou carences volontaires (ou, dit autrement, les choix artistiques clivants) ne constituent pas autant de freins à l'adhésion ou à l'immersion. Des films dont l'originalité affûtée n'est ni synonyme d'esbroufe, ni vectrice de rejet. Un sentiment éminemment subjectif, bien sûr, mais qui se tarit au cours du temps, inexorablement.</p>
<p><strong>Enrique Rivero </strong>inonde <ins>Mai Morire</ins> de scènes prises sur les canaux de Xochimilco (un quartier de Mexico), sous forme de promenades répétées, d'allées et venues entre maisons isolées. L'histoire importe peu, au final : on saura tout juste qu'il est question du retour d'une femme dans les environs où elle a grandi pour s'occuper de sa mère âgée et malade. Les liens avec les membres de sa famille et autres voisins ne seront qu'esquissés. Il s'agit avant tout d'une invitation à une sorte de méditation lacustre — l'occasion est trop belle pour ne pas dégainer le qualificatif.</p>
<p>La dimension graphique du voyage revêt très vite une importance décisive, même si certains plans extérieurs au contre-jour trop étudié sont un peu trop évidents, un peu trop insistants, et ne laissent pas la suggestion faire son travail dans ce qui s'apparente à des peintures bucoliques à la lisière de l'onirisme. L'agonie est un peu longue, poussive dans sa durée exagérée ; la métaphore du conte en guise de conclusion, aussi belle et enchanteresse soit-elle, un peu trop naïve. On vogue entre la vie et la mort, entre rêve et réalité, entre des détails du quotidien et une mystique diffuse. La lenteur et le mutisme de l'ensemble en rebutera plus d'un, du fait du minimalisme qui s'en dégage, mais ces divagations autour d'un Styx mexicain embrumé m'auront doucement ensorcelé l'espace d'un instant.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/mai_morire/.heroine_m.jpg" alt="heroine.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="heroine.jpg, déc. 2018" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Mai-Morire-de-Enrique-Rivero-2013#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/583Le Trésor de la Sierra Madre, de John Huston (1948)urn:md5:8fdb512a17cdb2f37e6cc230ee64777e2017-07-25T17:27:00+02:002017-07-27T15:09:16+02:00RenaudCinémaAventuresHumphrey BogartJohn HustonMexiqueOrWestern <div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/tresor_de_la_sierra_madre/.tresor_de_la_sierra_madre_A_m.jpg" alt="tresor_de_la_sierra_madre_A.jpg" title="tresor_de_la_sierra_madre_A.jpg, juil. 2017" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/tresor_de_la_sierra_madre/.tresor_de_la_sierra_madre_B_m.jpg" alt="tresor_de_la_sierra_madre_B.jpg" title="tresor_de_la_sierra_madre_B.jpg, juil. 2017" /> <br />
<p><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Reflets d'or balayés par le vent<br /></strong></ins></span></p>
</div>
<p>Le film de <strong>John Huston</strong>, avec un titre aussi évocateur et une renommée presque pesante, avec le temps qui passe et qui laisse infuser ces sensations dans la partie cinéphile de l'inconscient, conduit de manière presque obligatoire à construire des attentes sous diverses formes — des attentes qui en général enflent avec le temps et sont susceptibles voire vouées à être déçues, d'une manière ou d'une autre. Mais rien de tout cela ici. <ins>Le Trésor de la Sierra Madre</ins> emprunte des directions vraiment étonnantes, agréable mélange des genres à la croisée du western et du film d'aventures, avec une histoire originale autour des orpailleurs et un trio de portraits extrêmement soignés. Il m'en aura fallu, du temps, et le chemin aura été long, sinueux, et semé d'embûches, mais après <ins>Gens de Dublin</ins>, <ins>Le Faucon maltais</ins> ou encore <ins>À nous la victoire</ins>, le voilà le film signé <strong>John Huston </strong>que j'apprécie directement et sans réserve.</p>
<p><ins>Le Trésor de la Sierra Madre</ins>, au-delà de son titre relativement explicite, est une magnifique peinture de l'échec, à des degrés divers, au terme d'un long cheminement jalonné par de multiples épreuves et autant d'enseignements. Dans son dépaysement lié aux décors naturels sud-américains, le film en rappelle un autre sorti quelques années plus tard, <ins>Le Salaire de la peur</ins> de <strong>Clouzot</strong> (1953), avec un petit groupe d'européens attirés par l'appât du gain sous de telles latitudes. Mais ici, dans le cadre des années 20 et des mirages dorés véhiculés par les montagnes mexicaines, dans la logique des genres multiples, le destin des trois protagonistes prend tour à tour la forme du conte moral, de la tragédie et de la farce. Trois personnages qui incarnent trois visions bien différentes de l'aventure, aussi : il n'en retireront pas du tout la même chose.</p>
<p>Évacuons d'abord le conte moral, bien présent à travers le sort réservé à <strong>Humphrey Bogart </strong>(aka Fred C. Dobbs), victime évidente de ses vices apparents même si l'illustration se fait en dehors de toute lourdeur démonstrative. Un personnage tout à fait secondaire au moment de son intervention, Howard (génialissime <strong>Walter Huston</strong>, le propre père de <strong>John Huston</strong>), annoncera cette sentence au tout début du film, comme une prophétie : la ruée vers l'or finit toujours par gangréner la santé mentale des apprentis aventuriers. Mais le précieux métal n'aura une influence notable et irréversible que sur l'un des trois personnages principaux, Dobbs, et accompagnera son évolution psychologique jusqu'à la folie.</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/tresor_de_la_sierra_madre/.trio_m.jpg" alt="trio.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="trio.jpg, juil. 2017" /></p>
<p>La tragédie, ensuite, où le film surprend par ses accès de violence subite au sein d'un récit que l'on aurait pu croire inoffensif. Les menaces des bandits sont sérieuses et coûteront la vie à Cody dans un premier temps, par la poudre, redéfinissant les rapports du groupe, avant de s'abattre sur Dobbs à coups de machette. La pression qu'exercent les rochers dorés sur l'équilibre des relations entre les trois chercheurs d'or est soigneusement introduite, sans hâte, en prenant le temps de décrire son immixtion.</p>
<p>Et enfin la farce, avec les premières suspicions au sein du groupe, alors qu'ils sont prêts à dormir dans leur tente, déclenchant une série de rondes nocturnes assez comiques : la méfiance des uns (principalement celle de Dobbs, évidemment, et <strong>Bogart </strong>surprend vraiment à ce titre, dans ce rôle de parano, tour à tour menaçant et attachant) alimente celle des autres dans une boucle infinie. Mais c'est surtout ce superbe fou rire final de plus d'une minute : "<em>Oh, laugh, Curtin, old boy, it's a great joke played on us by the Lord, or fate, or nature, whatever you prefer but whoever or whatever played it certainly had a sense of humor. The gold has gone back to where we found it. This is worth 10 months of suffering and labor, this joke is.</em>" Quand Howard lâche cette tirade entre deux immenses éclats de rire, il est bien difficile de ne pas en faire autant. L'ironie de la situation déclenche un rire salvateur, après deux heures de tension, alors que la poudre dorée durement acquise finit balayée par le vent comme une vulgaire poussière. On réalise alors la valeur d'une telle expérience pour le troisième personnage, Curtin (<strong>Tim Holt</strong>), à mi-chemin entre l'apprentissage accéléré et la transmission quasiment filiale.</p>
<p>La fuite en avant qui accompagne le pur attrait du gain, l'étape nécessaire pour la réalisation réfléchie d'un projet, et la simple raison de vivre de l'aventurier : les trois personnages offrent à travers leur rapport à l'or et à sa quête un spectre très large d'interprétations, très éloignées des canons habituels du genre. Mais c'est le personnage de Howard (interprété par <strong>Walter Huston</strong>, encore une fois, le père du réalisateur : cette configuration ne doit pas être totalement étrangère à la réussite du film) qui reste le plus savoureux. Son attitude terriblement naturelle est excellente, impressionnante même, que ce soit en tant qu'expert en localisation des précieux filons ou confortablement allongé dans un hamac, dans un état de jouissance apaisée et de joie de vivre communicative. Son éclat de rire final est une vraie perle.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/tresor_de_la_sierra_madre/.rire_m.jpg" alt="rire.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="rire.jpg, juil. 2017" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Tresor-de-la-Sierra-Madre-de-John-Huston-1948#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/427Les Réprouvés, de Luis Buñuel (1950)urn:md5:ab15bb9c974f1468777b47962fbbb4b82017-03-25T16:44:00+01:002017-03-25T16:51:06+01:00RenaudCinémaEnfanceLuis BuñuelMexiqueOnirismePauvretéRéalismeViolence <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reprouves/.reprouves_m.jpg" alt="reprouves.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="reprouves.jpg, mar. 2017" /><div id="centrage"><p><span style="font-size: 18pt;"> <ins><strong>"Implacable comme la marche silencieuse de la lave." Octavio Paz <br /></strong></ins></span></p>
</div>
<p><ins>Los Olvidados</ins> ("Les Réprouvés", passe encore, mais alors "Pitié pour eux", quelle horreur... Pitié pour nous, oui !) rappelle dans une certaine mesure la misère et l'extrême dureté du microcosme que <strong>Buñuel </strong>dépeignait presque 20 ans auparavant dans <ins>Terre sans pain</ins>, à la limite entre documentaire et fiction. Aux espaces extérieurs espagnols de Las Hurdes succèdent les quartiers pauvres d'une ville mexicaine, mais une chose reste identique : la brutalité du regard.</p>
<p>Même si le film est clairement ancré dans la fiction, difficile de ne pas retrouver une forme de réalisme, à défaut d'être documentaire, dans la description qui est faite de ces bas-fonds. Il ne s'agit pas forcément d'une forme de réalisme social, mais plutôt de quelque chose beaucoup plus dur, âpre, et sans concession. Cruel, même, pourrait-on dire, tant la situation déplorable de la jeunesse filmée par <strong>Buñuel </strong>semble sans issue. En dépit d'une volonté évidente de s'en sortir chez certains enfants, leur condition sociale les emprisonne dans cet univers comme une toile d'araignée le ferait avec sa proie. C'est assez déprimant, il faut l'avouer.</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reprouves/.mere_m.jpg" alt="mere.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="mere.jpg, mar. 2017" /></p>
<p>Il n'y a aucune âme vraiment pure dans ces quartiers oubliés : les enfants se battent quand ils ne détroussent pas des culs-de-jatte, les parents les abandonnent bien souvent à leur sort de gamins de rue, et même les aveugles professent des discours malthusianistes écœurants. Pedro aura beau tout faire pour essayer de s'en sortir, son environnement le rappellera inlassablement à sa condition de pauvre miséreux. La spirale de la violence est inéluctable mais admirablement dénuée de misérabilisme. Seule une séquence onirique portant la marque évidente du style <strong>Buñuel </strong>lui laisse un court moment de répit, avec une mère aimante et assurant son alimentation (un gros morceau de viande à la main), même si le cauchemar guette sous le lit où Jaibo l'attend.</p>
<p>Dans <ins>Les Réprouvés</ins>, les enfants tètent à même les pis de chèvre et les parents abandonnent leur progéniture. Monde cruel qui semble évoluer en vase clos, alors que la société des riches ne fera qu'une seule apparition, assez peu glorieuse, dans le film. C'est un cycle infini de misère et de désespoir qui s'auto-alimentent. Mais il n'y a pas de gentil, pas plus qu'il n'y a de véritable méchant : le seul horizon est l'absence de solution. Et la seule touche positive émane de la direction d'une prison. Comme le disait <strong>Octavio Paz</strong>, "<em>un film implacable comme la marche silencieuse de la lave</em>".</p>
<p><em><ins>N.B.</ins></em> : À noter, l'existence d'une fin alternative "heureuse" affreusement nulle.</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/reprouves/.coix_m.jpg" alt="coix.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="coix.jpg, mar. 2017" /></p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Reprouves-de-Luis-Bunuel-1950#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/398Sugar Man, de Malik Bendjelloul (2012)urn:md5:370b99a8f22d2f672391cacea4355b752013-02-13T17:13:00+01:002013-02-25T09:18:04+01:00RenaudCinéma1970sAfriqueAfrique du SudBiopicDocumentaireEtats-UnisFolkMexique <p><img title="XP SUGAR MAN 120, fév. 2013" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="XP SUGAR MAN 120" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sugar_man/.sugar_man_m.jpg" /></p>
<div id="centrage"><em>Le photomontage qui tue... cf. une photo plus bas.</em></div>
<p>Je connaissais très bien les deux — uniques — albums de <strong>Sixto Rodriguez</strong>, sortis au début des années 1970, qui avaient été deux immenses échecs commerciaux aux États-Unis. Grâce à une amie rencontrée à La Réunion, je m'étais familiarisé avec l'histoire proprement hors du commun du bonhomme. J'appréciais particulièrement ses textes poétiques et travaillés qui avaient heurté l'establishment de l'époque. Mais, en dépit de tout ce que je connaissais, <ins>Sugar Man</ins> (du nom d'un de ses premiers singles, et dont la musique jalonne le film) est parvenu à me surprendre. À défaut de m'en avoir fait découvrir la musique, le film documentaire de <strong>Malik Bendjelloul</strong> m'a profondément ému en dévoilant la personnalité si attachante de <strong>Sixto Díaz Rodríguez</strong>.</p>
<div id="centrage"><a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sugar_man/sixto_jeune.jpg" title="sixto_jeune.jpg"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sugar_man/.sixto_jeune_s.jpg" alt="sixto_jeune.jpg" title="sixto_jeune.jpg, fév. 2013" /></a> <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sugar_man/sixto_vieux.jpg" title="sixto_vieux.jpg"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sugar_man/.sixto_vieux_s.jpg" alt="sixto_vieux.jpg" title="sixto_vieux.jpg, fév. 2013" /></a><br /> <em><strong>Sixto</strong> et sa gratte, au début des 1970s et à la fin des 2000s.<br />
<span style="font-size: 9pt;">(cliquez sur les images pour les agrandir)</span></em></div>
<p>Malgré ses nombreux écueils (liés à la mise en scène pour la plupart), <ins>Sugar Man</ins> arrive à dépeindre avec rigueur et affection l'état
d'esprit de ce Bob Dylan latino pétri d'humilité. Né à Detroit (Michigan) au début des années 1940, sixième enfant d'une famille d'immigrés mexicains, <strong>Sixto </strong>a grandi dans les milieux pauvres de la classe ouvrière américaine. Ses deux albums, <ins>Cold Fact</ins> et <ins>Coming from Reality</ins>, sont empreints de cette réalité sociale difficile, lui qui a travaillé toute sa vie pour une entreprise de démolition en parallèle des petits concerts donnés dans les bars avoisinants et de sa maîtrise de philosophie qu'il obtiendra en 1981.</p>
<p>Alors que ses albums sont des échecs retentissants aux États-Unis, <ins>Cold Fact</ins> connaît un succès inespéré en Afrique du Sud, dès 1974, où il devient disque d'or... sans que <strong>Rodriguez </strong>ne soit au courant, beaucoup le croyant mort immolé sur scène. Là-bas, la population noire victime de l'apartheid trouve dans ses
paroles engagées un écho à leur révolte. Certaines chansons seront même interdites de diffusion sur les radios nationales : les vinyles aux sillons soigneusement raturés témoignent encore aujourd'hui de la censure du passé. Mais la musique de <strong>Rodriguez</strong> se répand malgré tout dans l'ensemble de la population sud-africaine, y compris chez les afrikaners conscients de la situation de leur pays. Il faudra attendre de longues années avant que la persévérance et la curiosité de quelque détective en herbe portent leurs fruits et permettent à <strong>Sixto Rodriguez</strong> de renouer avec son public et une célébrité toute relative. Le tout premier concert qu'il donnera en Afrique du Sud devant un parterre de fans dont il ignorait l'existence est un moment unique.</p>
<p>On peut franchement regretter certains aspects du documentaire de <strong>Malik Bendjelloul</strong>, qui verse par moments dans une forme de voyeurisme idiot en totale contradiction avec la mentalité du personnage qu'il suit. Il faut voir Steve Rowland, le producteur du second album, simuler l'étonnement face caméra avec son « <em>oh mon dieu, je n'ai pas vu ces photos depuis 35 ans</em>, » ou encore ces travellings terriblement artificiels de <strong>Sixto </strong>marchant dans la neige. Mais pour tout le reste, ce documentaire vaut la peine d'être vu. <strong>Rodriguez </strong>n'a jamais regretté d'être passé à côté d'une renommée planétaire et de la fortune dont elle se serait accompagnée. Aujourd'hui encore, il porte un regard incroyablement serein sur cette folle histoire, <em>son</em> histoire. Des passages poignants tournés dans la maison qu'il habite depuis 40 ans, chauffée au poêle à bois, aux aléas de son investissement dans la politique locale, la simplicité du personnage ne saurait laisser quiconque indifférent.</p>
<p><em>Dorothée, merci.</em></p>
<p><em>MAJ du 25/02/2013</em> : <ins>Sugar Man</ins> a remporté l'Oscar 2013 du meilleur film documentaire.<em><br /></em></p>
<p><img title="sixto.jpg, fév. 2013" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="sixto.jpg" src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sugar_man/.sixto_m.jpg" /></p>
<div id="centrage"><em>Le cliché d'origine qui ridiculise le photomontage de l'affiche du film...</em>
<br /><br />
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sugar_man/cold_fact.jpg" title="cold_fact.jpg"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sugar_man/.cold_fact_s.jpg" alt="cold_fact.jpg" title="cold_fact.jpg, fév. 2013" /></a><a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sugar_man/coming_from_reality.jpg" title="coming_from_reality.jpg"> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sugar_man/.coming_from_reality_s.jpg" alt="coming_from_reality.jpg" title="coming_from_reality.jpg, fév. 2013" /></a>
<br /> <em>Les deux albums de <strong>Sixto Rodriguez</strong>.</em></div>
<hr>
<p><ins><em>À lire</em></ins> : l'interview de <strong>Rodriguez</strong>, réalisée en décembre 2012 lors de son passage à Paris, sur le site de l'Express (beurk). C'est <a href="http://www.lexpress.fr/culture/musique/sixto-rodriguez-je-suis-un-musicien-politique_1200216.html" title="http://www.lexpress.fr/culture/musique/sixto-rodriguez-je-suis-un-musicien-politique_1200216.html">ici</a>.<br />
<ins><em>À voir</em></ins> : la bande annonce (VOST) : c'est <a href="http://www.youtube.com/watch?v=RXQsPwIvjFI&feature=player_embedded" title="http://www.youtube.com/watch?v=RXQsPwIvjFI&feature=player_embedded">là</a>.</p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Sugar-Man-de-Malik-Bendjelloul-2012#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/203