Je m'attarde - Mot-clé - Mikhaïl Kalatozov le temps d'un souffle<br />2024-03-29T08:45:23+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearUn clou dans la botte, de Mikhaïl Kalatozov (1931)urn:md5:62e324a7da3412d2a8269f3e43cb691c2022-03-04T12:35:00+01:002022-03-04T12:42:24+01:00RenaudCinémaKaneto ShindōLuis BuñuelMikhaïl KalatozovProcèsPropagandeRussieTrain <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/clou_dans_la_botte/.clou_dans_la_botte_m.jpg" alt="clou_dans_la_botte.jpg, fév. 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Agitprop de ferrailleur <br /></strong></ins></span>
</div>
<p>Plus je parcours leurs filmographies respectives et plus je trouve que l'expression formaliste radicale de <strong>Mikhaïl Kalatozov </strong>et celle de <strong>Kaneto Shindō </strong>entrent en résonance, comme un parallèle entre la Russie soviétique et le Japon avec comme dénominateur commun temporel les années 50/60. C'est la simplicité extrême du scénario de <ins>Un clou dans la botte</ins> qui m'a rappelé l'équivalent du côté de <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-ile-nue-de-Kaneto-Shindo-1960"><ins>L'Île nue</ins></a> notamment, où comment un soldat se retrouve jugé au tribunal pour avoir failli dans sa mission à cause d'un clou ayant transpercé sa semelle. Bien sûr les modes d'expression cinématographiques, s'ils se rejoignent dans la forme, n'ont aucune base commune : aucune trace de propagande chez le réalisateur japonais, là où les débuts de <strong>Kalatozov </strong>sont charpentés par les ordres soviétiques — quand bien même il aurait essuyé des mouvements de censure, particulièrement dans les années 20 et 30.</p>
<p>Ce formalisme-là, étonnamment en première intention, n'était pas apprécié par le régime soviétique : s'il y a la radicalité d'un discours de propagande, on peut comprendre que les accents surréalistes qui pourraient rappeler un <strong>Buñuel </strong>par exemple ne soient pas au goût de la censure. Reste un film qui donne une vision pas éminemment glorieuse du soldat soviétique, puisque le héros échoue dans sa mission à cause d'un vulgaire clou. Là où toute la première partie est dévouée à la démonstration de la puissance de feu d'un train militaire, la seconde s'empare de la question de la faute avec un procès typiquement stalinien : le soldat est accusé d'avoir failli, d'avoir déçu sa mère patrie, et d'avoir laissé ses camarades restés dans le train périr dans une attaque au gaz. Un renversement de situation plutôt improbable retourne cependant la conclusion : la faute revient en fait aux fabricants de chaussures, pardi ! Si le clou a traversé la botte, c'est parce qu'elles n'étaient pas bien confectionnées ! On aurait pu célébrer les fabricants de clou ceci dit, m'enfin... Le message est clair : tout comme les soldats au front, tous ceux qui restent à l'arrière doivent donner leur maximum.</p>
<p>On retrouve du début à la fin le moteur de ce formalisme si particulier, ce montage percutant, frénétique, parallèle, asséné avec force pour inciter à la cohésion de la population. Le schéma est simple : une pauvre petite botte défectueuse et c'est tout un arsenal national qui peut périr. Mais en dépit de cette simplicité acharnée — un peu trop excessive à mon goût, dois-je avouer — j'adore toujours autant la dynamique de l'emballement retranscrite en langage visuel follement éloquent. Encore un morceau d'agitprop pure et dure, et mention spéciale, tout de même, à ce train blindé particulièrement photogénique.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/clou_dans_la_botte/.img1_m.png" alt="img1.png, fév. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/clou_dans_la_botte/.img2_m.png" alt="img2.png, fév. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/clou_dans_la_botte/.img3_m.png" alt="img3.png, fév. 2022" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Un-clou-dans-la-botte-de-Mikhail-Kalatozov-1931#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1037La Dernière Étape, de Wanda Jakubowska (1948)urn:md5:54e1e1fcc469045346826f8bd6e15dee2022-02-22T14:59:00+01:002022-02-22T14:59:00+01:00RenaudCinémaCamp de concentrationCommunismeFemmeMikhaïl KalatozovNazismePologneRésistanceSeconde Guerre mondiale <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/derniere_etape/.derniere_etape_m.jpg" alt="derniere_etape.jpg, janv. 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Des femmes déportées<br /></strong></ins></span>
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<p>Difficile de rester insensible devant ce film-témoignage de <strong>Wanda Jakubowska</strong>, réalisatrice et résistante polonaise, adhérente du Parti communiste, qui finira internée dans le camp d'Auschwitz-Birkenau après avoir passé 6 mois dans la prison de Pawiak suite à son arrestation par la gestapo. La volonté de <strong>Jakubowska </strong>de réaliser un tel film remonte à ses premiers moments d'emprisonnement, et c'est en tant que rescapée d'Auschwitz qu'elle se lancera dans la réalisation de ce film, sur les lieux mêmes de l'horreur, seulement 2 ans après son évasion du camp de concentration. Cette force-là fait de <ins>La Dernière Étape</ins> une œuvre dont la portée est nécessairement unique, au-delà du fait qu'il s'agisse du premier film entièrement situé dans Auschwitz-Birkenau.</p>
<p>Si le film ne témoigne pas d'un talent de mise en scène hors du commun, et si son scénario n'est pas exempt d'écueils, il reste toutefois un témoignage intéressant sur la vie des femmes déportées dans sa première partie. Sans vraiment s'approcher du documentaire, le quotidien de ces femmes aux origines très différentes (et aux traitements tout aussi différents, en fonction de leurs origines et de leurs capacités linguistiques) est raconté avec un calme vraiment étonnant, sans excès, comme si <strong>Jakubowska </strong>bénéficiait d'un recul impensable en 1947 au moment du tournage. Les détails pragmatiques sont tous présents : l'arrivée des trains, l'appel dans les champs de boue, l'orchestre de camp contraint de jouer dans les pires moments, les sélections pour emmener des femmes aux chambres à gaz dont on perçoit les cheminées, etc.</p>
<p>La seconde partie est beaucoup plus orientée vers une tranche fictionnelle, gouvernée par une tonalité de propagande communiste avec ses personnages un peu stéréotypés. Autant dans la première partie on ressent sa volonté de ne pas montrer les aspects les plus morbides d'un camp de concentration (pas de tas de corps pour le dire crûment), autant la fiction de la seconde partie montre ses limitations en matière de dramaturgie — et ce malgré l'aval de <strong>Mikhaïl Kalatozov </strong>à l'encontre du gouvernement polonais. <ins>La Dernière Étape</ins> restera quoi qu'il en soit important pour son témoignage dans l'immédiateté, avec un casting entièrement polonais pour interpréter les différents rôles, prisonniers, kapos et SS.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/derniere_etape/.accueil_m.jpg" alt="accueil.jpg, janv. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/derniere_etape/.ruines_m.jpg" alt="ruines.jpg, janv. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/derniere_etape/.femmes_m.jpg" alt="femmes.jpg, janv. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/derniere_etape/.fin_m.jpg" alt="fin.jpg, janv. 2022" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Derniere-Etape-de-Wanda-Jakubowska-1948#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1031Le Sel de Svanétie, de Mikhaïl Kalatozov (1930)urn:md5:2d18c52014775c8b66e1acbceae6e5a42022-01-30T13:14:00+01:002022-01-30T13:14:00+01:00RenaudCinémaGéorgieMikhaïl KalatozovPaysanPropagandeReligionRevisionnageRussie <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.sel_de_svanetie_m.jpg" alt="sel_de_svanetie.jpg, mai 2021" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Symbolisme, ethnographie et propagande<br /></strong></ins></span></div>
<p><em>Première publication le 22/06/2021.</em></p>
<p>Trente ans avant l'exploration périlleuse de la taïga sibérienne dans <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Lettre-inachevee-de-Mikhail-Kalatozov-1959"><ins>La Lettre inachevée</ins></a>, <strong>Mikhail Kalatozov </strong>s'était donc déjà fendu d'une œuvre apparentée, à caractère documentaire, en immersion dans les montagnes de Svanétie. Dans cette région isolée au cœur des hauts plateaux géorgiens, il n'y a quasiment qu'une chose qui intéresse l'œil du réalisateur soviétique : la dureté des conditions de vie de ces montagnards qui vivent coupés de tout. Force est de constater qu'au début du XXe siècle, au-delà de la composante propagandiste qui usera de tous les pouvoirs de la mise en scène pour le souligner, la vie dans ces montagnes s'inscrivait manifestement dans la lignée des siècles qui précédaient. La lutte contre les éléments est féroce, l'oppression des autorités seigneuriales locales est bien présente, mais <ins>Le Sel de Svanétie</ins> réserve tout de même une grande partie de sa courte durée à la description méthodique des gestes artisanaux de cette communauté rurale.</p>
<p>De ce point de vue-là, c'est un régal. Pour qui apprécie ce segment cinématographique, à la croisée de la paysannerie d'un autre temps et de la poésie symbolique du cinéma soviétique, le film sera un moment d'intense bonheur. On est à l'époque du muet bien affirmé, doté de la technique déjà bien rodée du côté d'<strong>Eisenstein </strong>et consorts, et <strong>Kalatozov </strong>fait un excellent usage du montage, des gros plans, des décadrages, des inclinaisons, de la répétition, de la suggestion, des symboles. <ins>Le Sel de Svanétie</ins> sort la même année que <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Terre-de-Alexandre-Dovjenko-1930"><ins>La Terre</ins></a> d'<strong>Alexandre Dovjenko </strong>et les correspondances sont nombreuses au sein de cette avant-garde russe. S'il est clairement montré que la vie des montagnards dépend de leur approvisionnement en sel, transporté à dos d'hommes le long de chemins enneigés dangereux, il met tout son savoir-faire technique au service du portrait des coutumes.</p>
<p>Ainsi voit-on défiler, dans ce village orné d'imposantes tours de défense, des hommes et des femmes entourés d'animaux dans leurs tâches quotidiennes. La défense du village du haut des tours, la récolte de la laine de mouton et le tissage pour confectionner habits et chapeaux, l'élevage ovin et bovin, le passage d'un pont suspendu, la coupe traditionnelle des cheveux, la récolte de l'orge, les carrières schisteuses où des travailleurs typiquement soviétiques filmés en contre-plongée extraient des ardoises pour construire les toits des habitations. À l'image de <ins>La Terre</ins> où des paysans pissaient gaiement dans le réservoir d'un tracteur, les villageois urinent sur des pierres que viendront plus tard lécher des vaches : une illustration parmi beaucoup d'autres de l'importance du sel (ici contenu dans l'urine) pour les hommes et les bêtes. De la même façon, une chèvre lèche le cou plein de sueur salée de ceux qui s'endorment, un chien lèche le corps recouvert de placenta salé d'un nouveau-né.</p>
<p>Entre deux péripéties climatiques, entre la neige soudaine qui frappe les champs en été et l'attente toute dramatique des femmes et des vieux scrutant l'horizon après le départ des hommes partis chercher le précieux sel, l'influence de la doctrine soviétique se fait surtout sentir dans deux segments. La toute dernière séquence, d'abord, montrant la construction d'une route pour relier le village à la civilisation et rompre enfin l'isolement de cette population : un rouleau compresseur ceint de banderoles et de valeureux travailleurs soviétiques, abattant des arbres centenaires et brisant d'immenses roches, attestent vigoureusement cette volonté. Mais c'est surtout dans l'illustration de la barbarie des rites religieux, figés dans des traditions ancestrales, que la propagande se fait la plus saillante, en montrant la nécessité absolue de ramener ces gens dans le giron soviétique. À la rudesse des conditions de vie s'ajoute ainsi la cruauté de l'enterrement d'un riche villageois : on sacrifie une vache pour que son sang irrigue la terre de sa tombe, on pousse un cheval au galop jusqu'à ce que son cœur éclate, et une femme enceinte se trouve répudiée (chaque nouvelle naissance est considérée comme une malédiction) tandis qu'elle accouche dans la douleur. Un montage parallèle intensément dramatique montre la tête du cheval agonisant et l'enfant mort-né dans un même mouvement, à l'image de la mère criant désespérément "de l'eau !" tandis que des gens étanchent goulument leur soif de l'autre côté du village. Pendant ce temps, on dépose des kopeks sur le crucifix posé sur le cercueil du mort qu'une main avide rassemblera. Le constat est clair : le combat contre la nature est aussi inévitable que la transition vers la civilisation. Soviétique, cela va de soi.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.01_svanetie_m.jpg" alt="01_svanetie.jpg, mai 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.02_tir_m.jpg" alt="02_tir.jpg, mai 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.03_troupeau_m.jpg" alt="03_troupeau.jpg, mai 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.04_neige_m.jpg" alt="04_neige.jpg, mai 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.05_fil_m.jpg" alt="05_fil.jpg, mai 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.06_ardoise_m.jpg" alt="06_ardoise.jpg, mai 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.07_vaches_m.jpg" alt="07_vaches.jpg, mai 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.08_femme_m.jpg" alt="08_femme.jpg, mai 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.09_eglise_m.jpg" alt="09_eglise.jpg, mai 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.10_enterrement_m.jpg" alt="10_enterrement.jpg, mai 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.11_cheval_m.jpg" alt="11_cheval.jpg, mai 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.12_naissance_m.jpg" alt="12_naissance.jpg, mai 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.13_lait_m.jpg" alt="13_lait.jpg, mai 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.14_travailleur_m.jpg" alt="14_travailleur.jpg, mai 2021" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/sel_de_svanetie/.15_rouleu_compresseur_m.jpg" alt="15_rouleu_compresseur.jpg, mai 2021" />
</div>
<p><em>Deuxième publication le 30/01/2022.</em></p>
<p>Il ne s'agit pas du tout d'un documentaire au sens strict, mais plutôt d'une ethnofiction dont l'origine remonte à un projet de fiction avorté en 1929, mis au placard par la censure soviétique. Kalatozov retournera en Svanétie pour exploiter la nature de la région, sa photogénicité, et la dureté de ses conditions de vie.</p>
<p>En termes d'habillage sonore, on est à la limite de ce que produisent les restaurations contemporaines en matière de cinéma soviétique. Ni hors sujet, ni en phase avec le contenu, comme si la dose de drogue prise par les personnes en charge de ce travail sur le son avait été trop forte ou trop faible.</p>
<p>30 ans avant sa période la plus réputée et plus sensible ("Quand passent les cigognes" en 1957, "La Lettre inachevée" en 1960, "Soy Cuba" en 1964), Kalatozov était beaucoup plus formaté (voire contraint) par la propagande soviétique dans un film célébrant ouvertement la magie émancipatrice du stalinisme.</p>
<p>De la même manière que le montage typiquement soviétique structure fortement le visionnage (on sent bien l'influence d'un Dovjenko type "La Terre" 1930 ou "Arsenal" 1929 et d'un Eisenstein qui a déjà réalisé à cette époque "La Grève" 1925, "Le Cuirassé Potemkine" 1925, "Octobre" 1927, et "La Ligne générale" 1929), le film mûrit en mémoire à travers ses plans fixes, un peu comme s'il ne restait au final que des photographies. Une quantité indénombrable de plans à couper le souffle.</p>
<p>3 principaux temps : 1) la présentation du contexte, de l'enclave, des raisons qui ont poussé ces gens à se défendre, 2) la description des conditions de vie, des habitudes paysannes, des gestes artisanaux, et 3) l'impérieuse nécessité de la civilisation soviétique pour l'émancipation des peuplades locales, dans le but de les protéger des seigneurs sanguinaires, des religieux corrompus, des riches qui accaparent tout.</p>
<p>Le sel éponyme n'est qu'un fil rouge assez ténu, présenté avant tout comme un besoin pour le bétail, donnant lieu à quelques scènes mémorables (l'urine contre un mur, le placenta du bébé).</p>
<p>Le rapport de l'homme à l'animal : producteur d'une matière première essentielle (la laine de mouton), force de travail (les bœufs pour tirer les charrettes, travailler le sol, égrainer l'orge), et objet rituel (sacrifice lors de cérémonies funéraires).</p>
<p>Au final, le progrès est amené à coups de pioche, de dynamite et de rouleau-compresseur : de l'agitprop par excellence. Le combat de l'homme contre la nature est présenté ici comme le résultat d'une aliénation, en l'absence de civilisation.</p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Sel-de-Svanetie-de-Mikhail-Kalatozov-1930#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/974La Ligne générale, de Sergueï Eisenstein et Grigori Alexandrov (1929)urn:md5:b76259e74e8be700f75620fcf6aee5b92018-01-16T15:28:00+01:002018-01-16T16:16:17+01:00RenaudCinémaCinéma muetKolkhozeMikhaïl KalatozovPropagandeRussieSergueï Eisenstein <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ligne_generale/.ligne_generale_m.jpg" alt="ligne_generale.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="ligne_generale.jpg, janv. 2018" /><div id="centrage">
<span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>De l'importance du LSD dans le cinéma soviétique<br /></strong></ins></span>
</div>
<p>Le cinéma de <strong>Sergueï Eisenstein </strong>ne m'aura jamais paru autant proche de celui de <strong>Mikhaïl Kalatozov </strong>que dans <ins>La Ligne générale</ins>. Dans la logique de l'œuvre de propagande, dans le registre de l'esthétisme aux effets ravageurs (ou tapageurs, selon le point de vue, l'adhésion, la sensibilité), dans la mécanique du montage vibrionnant, l'histoire soviétique des kolkhozes n'aura jamais autant fait penser à celle des géologues au fond de la taïga sibérienne telle que la décrivait <ins>La Lettre inachevée</ins> (<a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Lettre-inachevee-de-Mikhail-Kalatozov-1959">lire le billet</a>) exactement 30 ans plus tard. La comparaison est sans doute un peu abusive, l'expérience immersive proposée par ce dernier dans les sphères stakhanovistes étant à mes yeux probablement inégalable, mais il y a tout de même suffisamment de points de concours entre les deux œuvres pour la relever.</p>
<p>L'enjeu du film apparaît rapidement, en termes très simples : il s'agit de dépeindre (tout en le promouvant, cela va de soi dans ce contexte) le mouvement de collectivisation des terres agricoles, impulsé dès la fin des années 1910, qui visait à mettre en commun outils, bétail, et parcelles. On peut remarquer qu'au-delà du point de vue positif qu'il adopte évidemment, <ins>La Ligne générale</ins> se permet quelques écarts comiques et critiques par rapport à la ligne officielle du parti : on est en 1929, et la dureté du régime ne se manifeste pas encore pleinement (on peut rappeler, par exemple, qu'à partir de la fin des années 1920 les paysans qui refusaient de s'investir dans les kolkhozes se sont vus systématiquement confisquer leurs récoltes, entraînant les grandes famines que l'on connaît). Ces écarts manifestes constituent une forme de liberté, tout de même, dans le cadre de la commande dictée par la propagande, particulièrement notable.</p>
<p>Et de cette liberté, <strong>Eisenstein </strong>en usera à certains moments de manière vraiment spectaculaire. Tandis que la première partie s'attachait à décrire le monde paysan de manière relativement calme, dans toutes ses difficultés, dans tout ce qu'il compte de tâches quotidiennes et de personnages édentés, la seconde partie vire soudainement au trip sous LSD (plutôt que sous cocaïne, pourtant suggérée par le titre du film), après une séquence raillant la bureaucratie de manière frontale. À partir du moment où Marfa, une vieille paysanne à bout de forces, parvient à rassembler d'autres paysans contre les koulaks et à créer le premier kolkhoze, <ins>La Ligne générale</ins> prend un tournant proprement hallucinant, vertigineux, avec pour élément déclencheur un torrent de lait crémeux à souhait giclant dans tous les sens depuis l'écrémeuse récemment acquise, démontrant sa puissance et sa fertilité avec vigueur.</p>
<p>À partir de ce moment-là, plus rien ne semble pouvoir arrêter le film dans son virage obsessionnel et dans son incroyable lancée. Il quitte le chemin dans lequel il s'était engagé, fait de symboles relativement modérés (si l'on excepte la religion et sa procession attendant un miracle — comme un drogué son opium —, en vain, dont le portrait en exacerbe l'obscurantisme), pour rejoindre celui des métaphores dévastatrices. Le taureau Foma prolonge l'image hautement suggestive du lait, dans la veine de de la fécondité et de la reproduction (pour ne pas dire de l'orgasme), avec les vaches des alentours. Les gallinacées et les ovins semblent partager cet état extatique, tandis que les tracteurs finissent eux aussi par s'emballer dans un impressionnant maelström de labours circulaires (à une époque où l'on pensait encore que le travail du sol était l'unique façon de le fertiliser).</p>
<div id="centrage"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ligne_generale/.ferme_m.jpg" alt="ferme.jpg" title="ferme.jpg, janv. 2018" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ligne_generale/.lait_m.jpg" alt="lait.jpg" title="lait.jpg, janv. 2018" /><br /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ligne_generale/.taureau_m.jpg" alt="taureau.jpg" title="taureau.jpg, janv. 2018" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ligne_generale/.tracteurs_m.jpg" alt="tracteurs.jpg" title="tracteurs.jpg, janv. 2018" /></div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Ligne-generale-de-Serguei-Eisenstein-et-Grigori-Alexandrov-1929#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/474Alexandre Nevski, de Sergueï Eisenstein (1938)urn:md5:0e119e2f08c948594dfaf7a8b5c1ade42017-06-16T13:53:00+02:002017-06-16T13:20:01+02:00RenaudCinémaAllemagneGuerreMikhaïl KalatozovMoyen ÂgePatriotismePropagandeRussieSergueï Eisenstein <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/alexandre_nevski/.alexandre_nevski_m.jpg" alt="alexandre_nevski.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="alexandre_nevski.jpg, juin 2017" /><div id="centrage"><p><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>"Celui qui viendra chez nous avec une épée périra par l'épée. Telle est la loi de la terre russe."</strong></ins></span></p>
</div>
<p>Un bien étrange objet, œuvre de propagande, politique et cinématographique.</p>
<p>D'un côté, le film-propagande commandé par Staline, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. La menace nazie à la fin des années 30 trouve bien sûr ici un écho dans l'invasion de la sainte Russie par les chevaliers teutons au XIIIe siècle : dans les deux cas, les envahisseurs proviennent du même territoire et un personnage extrêmement volontaire (ou du moins mis en scène comme tel, dans la réalité comme dans la fiction) incarne l'opposition. L'avertissement est vraiment dénué d'ambiguïté, d'une clarté et d'une intelligibilité difficilement contestables : les derniers mots du film sont sans équivoque. "<em>Allez et dites à tous dans les contrées étrangères que la Russie est vivante. Qu'ils viennent chez nous en invités. Mais celui qui viendra chez nous avec une épée périra par l'épée. Telle est et sera la loi de la terre russe.</em>" Il y a les bons, c'est-à-dire les princes russes justes et magnanimes ne condamnant que les plus grands traîtres, et les méchants, les chefs germaniques qui prennent d'assaut des villes comme Pskov en jetant les enfants dans les flammes d'un bûcher d'appoint.</p>
<p>Mais une telle déclaration, diffusée en URSS en décembre 1938, s'accorde relativement mal avec le pacte germano-soviétique de non-agression signé en août 1939, conduisant à l'interruption de l'exploitation du film. Une suspension toutefois temporaire, puisque l'opération Barbarossa met fin à l'accord entre Hitler et Staline en juin 1941 et marque le début des hostilités entre les deux pays. Et en réaction à l'attaque du voisin allemand, rien de tel qu'une piqûre de rappel patriotique comme <ins>Alexandre Nevski</ins> pour galvaniser les foules et fédérer la résistance à l'oppression.</p>
<p>Et d'un autre côté, il y a le réalisateur et monteur fou <strong>Sergueï Eisenstein</strong>. Si j'y préfère, pour l'instant, l'approche démentielle et démesurée de <strong>Mikhaïl Kalatozov </strong>à la fin des années 50 (avec le triptyque <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Quand-passent-les-cigognes-de-Mikhail-Kalatozov-1957"><ins>Quand passent les cigognes</ins></a> / <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Lettre-inachevee-de-Mikhail-Kalatozov-1959"><ins>La Lettre inachevée</ins></a> / <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Soy-Cuba-de-Mikhail-Kalatozov-1964"><ins>Soy Cuba</ins></a>), j'aurais beaucoup de mal à contester la puissance purement picturale de nombreuses séquences. À condition de les expurger de leur composante légèrement ridicule, alimentée par le décalage de regard offert par les 80 années qui nous séparent. Au-delà d'une sensation un peu dérangeante s'apparentant à un passage mal dégrossi du cinéma muet au cinéma parlant, conférant à certains moments de la bataille du lac Peïpous une impression de burlesque à la <strong>Chaplin </strong>a priori involontaire, le lyrisme épique opère.</p>
<p>Il y a des images qui marquent durablement, comme pyrogravées sur la rétine. L'idéologie sous-jacente, avec tout le manichéisme constitutif de la démarche de propagande, appuie sans doute ce sentiment. Des paysans, sel de la terre, émergent littéralement du sol pour rejoindre les rangs du prince Alexandre. Les armures et autres costumes des chevaliers teutons, leurs destriers pareillement vêtus et protégés, leurs casques aussi impressionnants que variés, leurs formations de combat rappelant la tortue romaine, leurs lances fièrement dressées, mais aussi leur anéantissement dans le piège d'un lac gelé (car, c'est bien connu, les ennemis germaniques sont des ogres bien plus lourds que les preux chevaliers russes) et leurs capes comme aspirées par les courants glacés : autant de temps forts visuels profondément frappants, contrebalancés de temps en temps par un épisode incongru. Au hasard, une séquence dans laquelle les combattants semblent fixés sur un manège oscillant de haut en bas, distribuant des coups d'épée entre deux tirades guerrières hautement patriotiques. Et parodiques, ce qui n'a pas échappé à <strong>Stupeflip </strong>: <a href="https://www.youtube.com/watch?v=PdaAHMztNVE" title="https://www.youtube.com/watch?v=PdaAHMztNVE">lien youtube</a>.</p>
<p>Mais peu importe. La brutalité et la radicalité d'<ins>Alexandre Nevski</ins> l'emportent. On sort de ce film avec l'âme presque russe, un peu comme à la fin de <ins>La Bataille de Russie</ins>, film de propagande américaine réalisé par <strong>Frank Capra </strong>en 1943 à la gloire de la nation soviétique, des surhommes qui composent les rangs de ses armées, et de la nécessaire alliance contre un ennemi commun.</p>
<div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/alexandre_nevski/chevaux.jpg" alt="chevaux.jpg" title="chevaux.jpg, juin 2017" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/alexandre_nevski/.nevski_m.jpg" alt="nevski.jpg" title="nevski.jpg, juin 2017" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/alexandre_nevski/.nevski2_m.jpg" alt="CA.0525.alexander.nevsky." title="CA.0525.alexander.nevsky., juin 2017" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/alexandre_nevski/tortue.jpeg" alt="tortue.jpeg" title="tortue.jpeg, juin 2017" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/alexandre_nevski/.casque_m.jpg" alt="casque.jpg" title="casque.jpg, juin 2017" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Alexandre-Nevski-de-Serguei-Eisenstein-1938#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/416Quand passent les cigognes, de Mikhaïl Kalatozov (1957)urn:md5:8d09340a10f90c9d6c20b0ce6cc8ff662017-05-11T21:36:00+02:002017-05-11T20:58:29+02:00RenaudCinémaDeuilEsthétiqueGuerreMikhaïl KalatozovMortRussie <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/quand_passent_les_cigognes/.quand_passent_les_cigognes_m.jpg" alt="quand_passent_les_cigognes.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="quand_passent_les_cigognes.jpg, mai 2017" /><div id="centrage"><p><span style="font-size: 18pt;"> <ins><strong>Une goutte de pondération dans l'océan de démesure<br /></strong></ins></span></p>
</div>
<p>Que ce soit en termes thématiques ou esthétiques, la beauté des œuvres de <strong>Mikhail Kalatozov </strong>est renversante. La démesure est une composante essentielle de sa façon de délivrer un message, comme peuvent en attester des films comme <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Lettre-inachevee-de-Mikhail-Kalatozov-1959"><ins>La Lettre inachevée</ins></a> (surtout) et <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Soy-Cuba-de-Mikhail-Kalatozov-1964">Soy Cuba</a> (aussi), constituant ainsi un moyen de communication des idées et des sentiments à l'efficacité dévastatrice. À condition d'y être sensible, évidemment, car il n'est pas difficile d'imaginer que de telles expériences puissent s'avérer rebutantes pour un public amateur des émotions contenues (dont je pensais faire partie).</p>
<p>On pourrait voir dans <ins>Quand passent les cigognes</ins> ("les grues qui volent" pour être sémantiquement exact mais poétiquement maladroit) une certaine expérimentation en terrain neutre, dans un cadre historique autour de la Seconde Guerre mondiale résolument diffus, témoignant une forme de modération étonnante pour qui passerait par là après être passé par les films cités précédemment. Les schémas graphiques persistants et les procédés de montage forts sont omniprésents, mais ils semblent suffisamment subtils pour autoriser une mise en retrait en cas de saturation.</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/quand_passent_les_cigognes/.finalA_m.jpg" alt="finalA.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="finalA.jpg, mai 2017" /></p>
<p>Le schéma de la cage d'escalier de l'immeuble de Veronika en est un parfait exemple : sa récurrence est assez clairement identifiable mais n'est pas essentielle à la compréhension ni à l'adhésion au récit. C'est d'abord Boris qui monte les escaliers pour rejoindre sa dulcinée dans un mouvement tourbillonnant saisissant, la caméra étant placée en son centre dans une trajectoire ascendante synchronisée suivant le personnage. Ce sera ensuite Veronika elle-même qui gravira ces mêmes marches dans une précipitation aux motivations bien différentes, juste après un bombardement dévastateur, dans un mélange de gravats et de poutres en feu, qui se terminera par l'ouverture d'une porte sur une vision d'horreur : l'appartement de son père (et par extension son père lui-même) n'existe tout simplement plus, détruit par une bombe. Et enfin Boris à nouveau, qui reviendra en ces lieux dans les instants qui précèdent sa mort (supposée), en rêves, appuyés par des images d'arbres tourbillonnants (eux-aussi) en surimpression. C'est une boucle qui semble éternelle.</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/quand_passent_les_cigognes/.grille_m.png" alt="grille.png" style="margin: 0 auto; display: block;" title="grille.png, mai 2017" /></p>
<p>Mais les séquences plus frontalement marquantes ne manquent pas pour autant à l'appel. Le passage où des bombardements nocturnes illuminent par intermittence l'intérieur de la pièce dans laquelle se trouvent Veronika et le cousin de Boris, Mark, est d'une puissance graphique et suggestive incroyable : on peut lire la terreur et la colère toutes deux immenses de la jeune femme dans ses yeux. Ou encore cette dernière scène au milieu de la foule en liesse qui accueille les soldats victorieux de retour du front, emprisonnant Veronika et son bouquet de fleur dans le contraste de son infinie tristesse alors qu'elle apprend la mort de Boris. Une séquence qui se termine d'ailleurs sur un discours très fort, célébrant la victoire tout en condamnant la guerre, alors que les larmes de chagrin de Veronika se mélangent aux larmes de joie de la foule. Il faut bien le souligner, au-delà du rôle de <strong>Mikhail Kalatozov</strong>, ceux du chef opérateur <strong>Sergueï Ouroussevski </strong>et de l'actrice <strong>Tatiana Samoïlova </strong>(tous deux également présents dans <ins>La Lettre inachevée</ins>) sont tout aussi constitutifs de la réussite du film.</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/quand_passent_les_cigognes/.femmes_m.jpg" alt="femmes.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="femmes.jpg, mai 2017" /></p>
<p>Il faut sans doute chercher du côté de cette association de talents, la grâce et l'intériorité délicates de l'une, les mouvements de caméra et autres idées visuelles de génie de l'autre, pour expliquer au moins partiellement l'effet de sidération que peut procurer <ins>Quand passent les cigognes</ins>. Visuellement, le film propose énormément de choses sans pour autant s'accompagner d'une sensation de superflu : les travellings, les plongées et contre-plongées, les cadrages obliques, les jeux de lumière constants qui imprègnent les visages de leurs bandeaux lumineux et découpent les espaces de leurs clairs-obscurs, les accélérations fulgurantes au montage lorsque le suicide point à l'horizon, l'étirement insupportable de certains passages-clés difficiles... Autant de manifestations d'une virtuosité qui ne cherche pas à s'imposer de manière stérile, pompeuse ou prétentieuse, mais qui se cristallise simplement autour du personnage de Veronika et accompagne ses soubresauts émotionnels. <ins>Quand passent les cigognes</ins> semble ainsi correspondre à une dynamique de groupe actrice / chef opérateur / réalisateur extrêmement féconde, le fruit d'une symbiose aux multiples richesses.</p>
<p><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/quand_passent_les_cigognes/.finalB_m.jpg" alt="finalB.jpeg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="finalB.jpeg, mai 2017" /></p>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Quand-passent-les-cigognes-de-Mikhail-Kalatozov-1957#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/406Soy Cuba, de Mikhaïl Kalatozov (1964)urn:md5:4e6ded7c9a0be222e7c063226fc427be2016-09-18T17:11:00+02:002016-09-18T16:14:27+02:00RenaudCinémaCubaEsthétiqueIleMikhaïl KalatozovPropagandeRussieRévolution <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/soy_cuba/.soy_cuba_m.jpg" alt="soy_cuba.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="soy_cuba.jpg, sept. 2016" />
<div id="centrage"><p><span style="font-size: 18pt;"> <ins><strong>Révolution mise en scène<br /></strong></ins></span></p>
</div>
<p>Par quel bout aborder l'expérience <ins>Soy Cuba</ins> ? Il y a tellement d'approches possibles, tellement de raisons d'être subjugué ou bien d'être exaspéré...</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/soy_cuba/.cote_m.jpg" alt="cote.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="cote.jpg, sept. 2016" />
<p>Déjà, la propagande. La position du film ne me paraît pas si évidente que ça : est-ce à la gloire du régime castriste, de la révolution cubaine, de l'appareil soviétique ? Ou bien, sous couvert de l'œuvre de commande, <strong>Kalatozov </strong>n'aurait-il pas tout simplement produit une ode au peuple cubain, dans toute sa diversité ? Si certains passages appartiennent clairement à la propagande (et je pense notamment à la troisième partie, avec l'histoire des étudiants idéalistes plutôt manichéenne, avec son tortionnaire in-tuable, car entouré par femme et enfants, mais qui n'hésitera pas une seconde quand les rôles s'inverseront, ainsi que quelques symboles bien lourdauds tels que la colombe abattue par la junte), d'autres offrent des niveaux de lectures moins primaires. Et on peut penser au premier segment, décrivant de manière ambiguë une joie de vivre toute cubaine, bien qu'influencée par le continent nord-américain, et les pulsions de vie qui parcourent l'île.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/soy_cuba/.segment1_m.jpg" alt="segment1.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="segment1.jpg, sept. 2016" />
<p>Puis, bien sûr, la radicalité de la mise en scène, dont le caractère novateur revient sans doute pour beaucoup aux talents du chef-opérateur <strong>Sergueï Ouroussevski</strong>, déjà constatés dans <ins>La Lettre inachevée</ins> (1959, <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Lettre-inachevee-de-Mikhail-Kalatozov-1959">lire le billet</a>). Certains mouvements de caméra peuvent paraître exagérés (notamment dans l'histoire n°3, donc, avec ses plan-séquences bien mis en avant), mais il suffit de jeter un œil au deuxième volet pour se brûler les rétines, une constante chez <strong>Mikhaïl Kalatozov </strong>: le segment consacré à un vieil homme récoltant sa canne à sucre et sur le point d'être exproprié par son propriétaire. Le traitement du noir et blanc est incroyable, comme si la lumière brûlait la pellicule par ses reflets sur la végétation. Et ces mouvements dans un autre segment, exhibant la verticalité des lieux, du toit d'un immeuble à la piscine. On se demande comment on faisait, en 1964, pour produire de telles séquences sans steadycam, avec des caméras qui devaient peser des dizaines de kilos... Un formalisme époustouflant, délirant, incandescent, en phase avec les temps de célébration comme ceux de lutte. Le lyrisme de la mise en scène est encore aujourd’hui d’une puissance et d’une efficacité phénoménales.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/soy_cuba/.segment4_m.jpg" alt="segment4.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="segment4.jpg, sept. 2016" />
<p>Le film suit aussi une certaine progression logique dans la réponse à l'agression, parsemée du doux son de <ins>Soy Cuba</ins>, d'une réaction passive, dans une logique de soumission, à la révolte par la guérilla. Il me semble qu'on peut voir dans le travail de <strong>Kalatozov </strong>une forme de subversion, en détournant légèrement le message de la propagande qu'il était censé véhiculer. Pas étonnant qu’il ait été mal perçu par toutes les propagandes de l’époque, communistes ou non. C’était déjà le cas dans <ins>La Lettre inachevée</ins>, dans lequel la volonté de suprématie de l’Union soviétique trouvait ses limites aux confins de la taïga sibérienne. Il y a caché derrière l’impératif de démonstration la volonté de montrer quelque chose, la puissance des images, plutôt que d’en démontrer une autre, la supériorité de la révolution cubaine. Et on se sent obligé d’établir le parallèle avec <strong>Sergueï Eisenstein</strong>, en y voyant une sorte de <ins>Cuirassé Potemkine</ins> tropical : la scène des étudiants descendant les escaliers de l’université est une allusion féroce à d’autres escaliers bien célèbres. Quatre regards politiques sur le peuple cubain, quatre portraits archétypaux, quatre visions idéalistes d’une société bousculée par la révolution.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/soy_cuba/.horizon_m.jpg" alt="horizon.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="horizon.jpg, sept. 2016" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Soy-Cuba-de-Mikhail-Kalatozov-1964#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/348