Je m'attarde - Mot-clé - Onirisme le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearVampyr, ou l'étrange aventure d'Allan Gray, de Carl Theodor Dreyer (1932)urn:md5:98142025f9b89b6338669d1ea09bd9ef2020-10-23T11:49:00+02:002020-10-23T11:01:58+02:00RenaudCinémaCarl Theodor DreyerExpressionnismeFantastiqueHorreurMortMystèreOnirismeVampire <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/vampyr/.vampyr_m.jpg" alt="vampyr.jpg, oct. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Silences parlants<br /></strong></ins></span></div>
<p><ins>Vampyr</ins>, un voyage éprouvant dans lequel on s'embarque avec beaucoup de difficultés et dont on revient tout aussi difficilement. On aura beau être familier avec la thématique du vampire, connaître les singularités extrêmes du cinéma de <strong>Dreyer</strong>, voire même apprécier l'expressionnisme sous de nombreuses formes, l'expérience restera imprévisible et déroutante à la frontière de l'inconfort. C'est une lente déambulation dans un univers onirique aux contours insaisissables au premier abord, comme si rien n'était tangible, comme si on évoluait dans un cauchemar qui redéfinissait sans cesse le cadre et les règles du jeu. On ne peut pas dire que le visionnage soit de tout repos, dans le sens du poil, linéaire et invariable. Par contre, si l'ensemble ne se structure pas naturellement et instantanément dans une forme intelligible et immédiatement assimilable, il s'en dégage un envoûtement puissant, un charme semblable à l'ensorcellement du protagoniste Allan Gray, happé par ces lieux hantés et peuplés de zones d'ombres.</p>
<p>En ce sens, <ins>Vampyr</ins> procède davantage par une succession d'images-symboles que par une progression narrative classique. Il retrouve bien sûr des codes propres au vampirisme disséminés tout au long du récit, mais le symbolisme s'aventure bien plus loin pour construire son atmosphère cauchemardesque. Le résultat pourrait s'apparenter à une plongée aux côtés du personnage dans son cauchemar éveillé, perdu face au mystère. Parmi tout le cortège de figures qui alimentent un surréalisme très subjectif, on peut mentionner cette porte fermée à clé qui s'ouvre toute seule, cette fille au visage blême portant un regard dément, cet unijambiste dans un escalier, ces ombres qui dansent sur les murs de pierre ou dans le reflet paisible d'un cours d'eau, cette vision subjective depuis l'intérieur d'un cercueil, et bien sûr cet homme avec une faux sonnant une cloche — la faucheuse terrifiante d'effroi. Un peu comme si on pénétrait dans les parts les plus intimes de nos angoisses par autant de brèches.</p>
<p>Dans ces paysages brumeux et étranges, on déambule d'une scène à l'autre sans jamais en saisir l'objet a priori, provoquant un certain sentiment d'inconfort heureusement contrebalancé par un autre sentiment de sidération esthétique. L'étrangeté est poussée jusque dans la nature hybride du film, à la frontière entre muet et parlant — la brume se faufile décidément à tous les étages. On passe d'un plan propre à un registre à un autre plan mis en scène de manière totalement différente, d'une séquence explicitement dialoguée à une autre directement empruntée au cinéma muet, dépourvue de parole et accompagnée de la lecture d'un long intertitre issu d'un livre. Le silence s'invite ainsi dans le parlant. <strong>Dreyer </strong>travaillera dans cette optique le brouillage de nombreuses frontières, jusque dans les niveaux de conscience, pour nous égarer entre réel et surnaturel. Les décors n'ont jamais été aussi vaporeux et austères, comme tirés d'entre deux mondes, permettant ainsi au héros de se contempler, allongé dans un cercueil, au cours d'une séquence incroyablement macabre et onirique.</p>
<p>Expérience éreintante également pour <strong>Dreyer </strong>: il faudra attendre 11 ans avant qu'il ne revienne au cinéma avec <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Jour-de-colere-de-Carl-Theodor-Dreyer-1943"><ins>Jour de colère</ins></a>.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/vampyr/.fenetre_m.jpg" alt="fenetre.jpg, oct. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/vampyr/.malade_m.jpg" alt="malade.jpg, oct. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/vampyr/.faux_m.jpg" alt="faux.jpg, oct. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/vampyr/.cercueil_m.jpg" alt="cercueil.jpg, oct. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/vampyr/.tableau_m.jpg" alt="tableau.jpg, oct. 2020" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Vampyr-ou-l-etrange-aventure-d-Allan-Gray-de-Carl-Theodor-Dreyer-1932#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/843Kagemusha, l'ombre du guerrier, de Akira Kurosawa (1980)urn:md5:f6b56cd3a8f95d159f5f3db255edefe82020-04-21T15:52:00+02:002020-04-21T14:53:34+02:00RenaudCinémaAkira KurosawaCinéma asiatiqueExpressionnismeGuerreJaponMoyen ÂgeOnirismePeintureTatsuya Nakadai <div id="centrage">
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kagemusha/.kagemusha_m.jpg" alt="kagemusha.jpg" title="kagemusha.jpg, juil. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kagemusha/.kagemusha_B_m.jpg" alt="kagemusha_B.jpg" title="kagemusha_B.jpg, juil. 2019" />
</div>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Peintures du chaos</strong></ins></span>
</div>
<p><ins>Kagemusha</ins>, de la même façon que <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Ran-de-Akira-Kurosawa-1985"><ins>Ran</ins></a> 5 ans plus tard, adopte pour toile de fond le Japon du XVIe siècle : un pays ravagé par les guerres entre clans rivaux, tous souhaitant contrôler la totalité du territoire, quel qu'en soit le prix. Si les deux récits épousent des trajectoires bien différentes, avec des thématiques qui leur sont propres, un constat esthétique commun s'impose très rapidement : le travail de <strong>Akira Kurosawa </strong>sur la couleur est renversant, laissant une empreinte indélébile sur la rétine.</p>
<p>Le kagemusha du titre pourrait se traduire par "double politique", et c'est <strong>Tatsuya Nakadai </strong>qui endosse le rôle de ce chapardeur sans nom, évitant de justesse une condamnation à mort grâce à ses traits physiques : il remplacera aussi souvent (et longtemps) que nécessaire le chef du clan Takeda, Shingen. De cette situation remarquablement impromptue découlera une quantité considérable de contraintes sur le pauvre kagemusha, suite à la blessure mortelle du chef, et les troubles moraux et psychologiques dont il souffrira sera l'occasion pour <strong>Kurosawa </strong>de les illustrer par une série de feux d'artifice esthétiques bouleversants. Le travail à ce niveau sur <ins>Kagemusha</ins> reste sensiblement différent de celui sur <ins>Ran</ins>, pour continuer sur ce rapprochement, notamment dans sa dimension surréaliste qui revient à de nombreuses reprises. Le cauchemar terrible de kagemusha en est sans doute le meilleur exemple, dans lequel on voit le pauvre sosie prisonnier d'un univers coloré totalement délirant et poursuivi par l'ombre de Shingen en armure, matérialisant à merveille l'angoisse, la confusion et la détresse toutes également immenses qui le saisissent. Plus il cherche à s'en éloigner, plus l'image de Shingen revient le hanter.</p>
<p>Mais ces séquences ensorcelantes, alliant un symbolisme fort et un impact graphique intense, restent très nombreuses au sein du film : sans rechercher l'exhaustivité, on retiendra par exemple celle où des soldats défilent avec leurs oriflammes en haut d'une colline, en contre-jour, laissant s'échapper une lumière mordorée presque apocalyptique, ou encore celle en fin de film où les cavaliers des différentes unités se jettent contre les fusiliers ennemis par vagues colorées successives avant de se retrouver dans leur massacre, dans l'homogénéité rouge du sang versé. <strong>Kurosawa</strong>, ce peintre. Le recours au hors-champ dans cette dernière séquence, toute en suggestion, produit des effets impressionnants, encapsulant la cruauté et le pathétique dans le même élan pessimiste.</p>
<p>Pourtant, la toute première scène en plan fixe de 6 minutes sur le dialogue de trois personnages immobiles sur fond gris ne laissait pas du tout présager une telle ampleur. Rétrospectivement, elle portait pourtant en germes les interrogations à l'origine des tourments du protagoniste, grand seigneur le jour et vulgaire brigand la nuit, cette quête d'identité sur les flots du dédoublement de la personnalité. Un petit voleur sans valeur morale qui découvrira le sens de l'honneur au cours de sa rédemption, dans les habits d'un autre. Un parcours du combattant constant, nécessitant une vigilance de tous les instants devant soldats, famille, maîtresses, et même petit-fils, qui se heurtera à l'incoercibilité d'un cheval indomptable. Après être rentré dans le moule de son double au point de méduser son entourage (serait-ce l'esprit de Shingen qui contrôlerait le corps de l'inconnu ?), il transitera vers un état de déchéance absolue en étant violemment renvoyé dans le monde réel, avant que la folie ne le pousse vers un ultime sacrifice au nom du clan qui l'aura laminé.</p>
<p>On ne sort pas indemne de ce conte troublant sur l'ambivalence du pouvoir et la dualité des êtres. L'imagerie expressionniste, la densité thématique, les rêveries méditatives, les couleurs vibrionnantes et la noirceur désespérée de la conclusion forment un tout d'une rare cohérence et d'une acuité acérée.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kagemusha/.intro_m.jpg" alt="intro.jpg" title="intro.jpg, juil. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kagemusha/.cheval_m.jpg" alt="cheval.jpg" title="cheval.jpg, juil. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kagemusha/.vase_m.jpg" alt="vase.jpg" title="vase.jpg, juil. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kagemusha/.trio_m.jpg" alt="trio.jpg" title="trio.jpg, juil. 2019" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kagemusha/.soleil_m.jpg" alt="soleil.jpg" title="soleil.jpg, juil. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kagemusha/.reve_m.jpg" alt="reve.jpg" title="reve.jpg, juil. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kagemusha/.crepuscule_m.jpg" alt="crepuscule.jpg" title="crepuscule.jpg, juil. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kagemusha/.brasier_m.jpg" alt="brasier.jpg" title="brasier.jpg, juil. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/kagemusha/.arc_en_ciel_m.jpg" alt="arc_en_ciel.jpg" title="arc_en_ciel.jpg, juil. 2019" /></div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Kagemusha-l-ombre-du-guerrier-de-Akira-Kurosawa-1980#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/688Le Chant de la forêt, de João Salaviza et Renée Nader Messora (2019)urn:md5:a000a5d7aaa63345752745febf7320f62020-04-07T00:03:00+02:002020-04-06T23:27:34+02:00RenaudCinémaAmazonieAmérique du SudBrésilForêtJungleMystèreOnirisme <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/chant_de_la_foret/.chant_de_la_foret_m.jpg" alt="chant_de_la_foret.jpg, avr. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Mystique amazonienne</strong></ins></span>
</div>
<p>Un voyage ethnographique et ésotérique, c'est une certitude. Dès l'ouverture, <strong>João Salaviza </strong>et <strong>Renée Nader Messora </strong>souhaitent pleinement investir le champ de l'onirisme, en montrant Ihjãc, un jeune indigène de la tribu Krahô, marchant dans l'obscurité de la jungle amazonienne. Près d'un petit lac lové en contrebas d'une cascade, il entend la voix de feu son père l'invitant à préparer une fête funéraire, afin de mettre un terme au deuil et libérer son esprit. Dans la nuit aux reflets bleutés, des flammes surgissent de l'eau.</p>
<p>Cette première partie, qui entre très nettement en écho avec la toute dernière, tout aussi envoûtante, sert en quelque sorte de passerelle entre le documentaire et la fiction, entre notre monde et celui de Ihjãc qui semble investi d'un pouvoir de communication avec les morts. Un pouvoir qu'il cherchera à refuser, et un destin de chaman qu'il cherchera à fuir : c'est le point de départ d'une longue fuite, à travers la jungle et jusque dans la ville, au contact de la société brésilienne où il ne trouvera pas les réponses qu'il attendait. Et, à cet égard, le seul passage un peu trop lourdement démonstratif du film.</p>
<p>Il y a cet ara, animal symbole le rappelant à son avenir et au sang chamanique qui coule dans ses veines, il y a ces rituels funéraires avec des chants, des peintures corporelles. Il y a aussi une série d'évocations magiques aux contours très incertains, brisant le film en deux parties pas toujours très évidentes à appréhender : d'un côté la poésie très naturelle qui enveloppe les rites de la tribu, empreinte de lyrisme et d'harmonie, et de l'autre la rêverie difficile d'accès, obscure et remplie d'énigmes, produisant néanmoins une douce atmosphère de sidération. On y ressent des secrets qui affleurent autant qu'un univers au bord de la disparition. La dimension contemplative ne nourrit pas toujours de manière très constructive les élans socio-ethnographiques, l'artificiel est en embuscade, mais la fascination revient régulièrement nous griffer comme les serres d'un ara.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/chant_de_la_foret/.cascade_m.png" alt="cascade.png, avr. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Chant-de-la-foret-de-Joao-Salaviza-et-Renee-Nader-Messora-2019#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/756Les Étendues imaginaires, de Yeo Siew Hua (2018)urn:md5:c01e4c41a4f4cecacd9ea4bbb926087c2019-06-23T12:19:00+02:002019-06-23T11:39:59+02:00RenaudCinémaDisparitionEnquête policièreNuitOnirismeSingapour <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/etendues_imaginaires/.etendues_imaginaires_m.jpg" alt="etendues_imaginaires.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="etendues_imaginaires.jpg, juin 2019" /><div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Voyage halluciné au bout de la nuit</strong></ins></span>
</div>
<p>Pendant un petit moment, au début du film, on croit avoir une prise sur un scénario aux contours bien définis, en l'occurrence une enquête policière menée par un flic hagard sur la disparition d'un ouvrier sur son chantier. Peu à peu, quelques éléments mystérieux se glissent dans le champ. D'abord quelques scènes vaguement oniriques. Puis une scène rassemblant deux temporalités dans le même mouvement, avec dans le premier plan le flic dans son enquête en cours, et dans l'arrière plan, après une longue mise au point et un lent zoom avant, le personnage qu'il est censé rechercher : il s'agit donc d'un flashback, illustrant le moment où il s'est blessé, le début de ses pérégrinations. Suite à cela, <ins>Les Étendues imaginaires</ins> n'aura de cesse d'entretenir le doute sur la temporalité ou le niveau d'abstraction dans lequel on se situe.</p>
<p>Évidemment, avec un tel parti pris nous laissant très vite flotter dans un magma narratif flou et incertain, l'expérience est déroutante. Formellement, il n'y a pas grand chose à dire tant <strong>Yeo Siew Hua </strong>a soigné l'ambiance générale et en particulier celle qui règne dans la salle de jeux, avec tous ces ordinateurs, casques, souris et claviers arborant des lumières oscillantes à la limite de l'irréel. Ce lieu sera d'ailleurs le seul point commun entre les deux personnages principaux, l'enquêteur et l'ouvrier blessé, achevant de consacrer la dimension mixte du film, entre réalisme et onirisme. Même s'il n'est pas irréprochable sur bien des effets, on ne peut pas lui enlever ce côté envoûtant, pour peu qu'on se prête au jeu. Un peu comme chez <strong>Bi Gan</strong>, il faut parfois savoir lâcher prise et se laisser aller au gré du courant flou, se laisser flotter sur la toile d'un réseau scénaristique non-conventionnel.</p>
<p>On repère quelques excès un peu gênants essaimés par-ci par-là, peut-être la marque des premiers films, avec par exemple cette dernière scène un peu trop frontalement ouverte, comme un appel à l'imagerie de <ins>Mulholland Drive</ins> et tous ses questionnements identitaires. Mais <ins>Les Étendues imaginaires</ins>, d'une certaine façon, fait une proposition de cinéma hybride assez forte, comme un polar vaporeux au bord du cauchemar, le long d'un trip hallucinatoire. Quelques complications excessives, quelques ellipses en trop, et une certaine prise de risque qui fait défaut quand il s'agit de dépeindre l'envers du décor social au-delà du miracle économique singapourien, avec l'exploitation de ces ouvriers immigrés qui en constitue la face sombre. Importer du sable étranger pour gagner quelques mètres par an sur l'océan, comme une lutte acharnée et futile, comme des étendues imaginaires explorées au terme d'un voyage halluciné.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/etendues_imaginaires/.rue_m.jpg" alt="rue.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="rue.jpg, juin 2019" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Etendues-imaginaires-de-Yeo-Siew-Hua-2018#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/659Une Page folle, de Teinosuke Kinugasa (1926)urn:md5:fb8eaaa1728539c954386d25d61d01b92019-03-29T11:08:00+01:002019-03-29T11:17:03+01:00RenaudCinémaAsileCinéma muetExpérimentalJaponOnirismeSuicide <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/page_folle/.page_folle_m.jpg" alt="page_folle.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="page_folle.jpg, mar. 2019" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Avant-garde d'hier, expérimental d'aujourd'hui </strong></ins></span>
</div>
<p>On peut affirmer avec peu de chances de se tromper qu'<ins>Une Page folle</ins>, le film qu'on est en mesure de voir aujourd'hui, totalement dénué d'intertitres et doté de cet accompagnement musical, n'a rien à voir avec ce qu'il était à l'époque de sa sortie dans les années 20 (avant qu'il ne soit enterré, oublié, puis retrouvé plusieurs décades plus tard). À commencer par la façon de le regarder, puisque aucun benshi (les conteurs de films au Japon qui étaient au moins aussi importants que le film lui-même, cf. un paragraphe de <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Orochi-de-Buntaro-Futagawa-1925">cette bafouille</a>) n'est là pour nous raconter l'histoire : en l'état actuel, le visionnage peut donner l'impression de contempler une œuvre à la frontière de l'expérimental, presque entièrement tournée vers la suggestion et les sensations, plutôt qu'un film racontant une histoire, celle d'un homme devenu concierge dans un asile afin de sauver sa femme internée pour avoir tué son fils en tentant de se suicider.</p>
<p>Je dois l'avouer, sans les informations récoltées par-ci par-là sur le net, je n'aurais jamais compris l'envers du décor, l'intrigue dans ses détails. Cela signifie que l'on peut ne pas apprécier le film pour cela, c'est-à-dire ce qu'il est censé représenter du point de vue de la narration classique, mais pour ce qu'il dégage ou évoque en étant amputé d'une partie de son ossature narrative. Une expérience doublement troublante, donc. J'ai la sensation que cette dimension expérimentale et onirique enfle démesurément, précisément parce qu'on est comme contraint de se focaliser plus que prévu sur la dimension purement graphique et qu'on tente vainement d'en extraire du sens. Très étonnant comme configuration de visionnage.</p>
<p>C'est le chaos (maîtrisé) à tous les niveaux qui perdure à l'esprit, à long terme, après le visionnage. Un maelstrom affolant, tant dans les images montrées de manière directe (avec tout une série de surimpressions) que dans le montage de fou furieux. La structure narrative n'a pas l'air en soi évidente, avec des flashbacks aussi nombreux que fragmentés qui ne s'annoncent pas poliment, mais c'est le montage avec tout un tas d'effets variés qui rend la sauce aussi piquante et puissante. C'est le chaos total par moments. L'expressionnisme des images et la vivacité du montage appellent deux barons de l'époque, respectivement <strong>Murnau </strong>et <strong>Eisenstein</strong>, mais je serais curieux de connaître la véracité de cette affirmation, par rapport aux intentions réelles de <strong>Kinugasa </strong>dans le contexte de sa mise en scène (peinture de la folie, d'un rêve ou simple bordel ?).</p>
<p>Quoi qu'il en soi, il est permis d'y voir une œuvre particulièrement avant-gardiste, notamment dans la chorégraphie des danses et plus généralement de la folie de cette femme enfermée. L'atmosphère reste éprouvante, même (presque) totalement détachée de tout principe narratif : avant-garde d'hier, expérimental d'aujourd'hui.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/page_folle/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg" title="img1.jpg, mar. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/page_folle/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg" title="img2.jpg, mar. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/page_folle/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg" title="img3.jpg, mar. 2019" /> <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/page_folle/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg" title="img4.jpg, mar. 2019" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Une-Page-folle-de-Teinosuke-Kinugasa-1926#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/633Moonwalk One, de Theo Kamecke (1972)urn:md5:f0d8a5c4190c7aef4a32da0894b304652019-02-08T09:26:00+01:002019-02-08T09:27:01+01:00RenaudCinémaDocumentaireEsotérismeExploration spatialeLuneOnirisme <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/moonwalk_one/.moonwalk_one_m.jpg" alt="moonwalk_one.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="moonwalk_one.jpg, fév. 2019" />
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<span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Histoire ésotérique, histoire matérialiste</strong></ins></span><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong><br /></strong></ins></span>
</div>
<p><ins>Moonwalk One,</ins> un film à ranger dans le tiroir sans fond des œuvres bicéphales. D'un côté, toute une liturgie mystico-philosophique absconse sur le thème de l'exploration spatiale, avec son lot d'interrogations très emphatiques plus ou moins bien formulées, et de l'autre, une quantité impressionnante de détails issus de la préparation au quotidien de la mission Apollo 11. On peut faire le choix, non sans difficulté, de laisser de côté la première partie pour apprécier pleinement la seconde.</p>
<p>Mais quelque part, <ins>Moonwalk One</ins> est aussi intéressant de par sa valeur de témoignage, celui de l'état d'esprit d'une nation et d'une époque (fin 60s / début 70s) pour lesquelles les premiers pas sur la lune étaient porteurs d'une pléthore d'espoirs et de rêves technologiques. Dans cette optique, évidemment, aucune mention ne sera faite des multiples exploits réalisés du côté soviétique, très conséquents à l'époque, comme si le cadre international de cette mission se limitait aux agissements américains. La comparaison à <ins>2001 : L'Odyssée de l'espace</ins> de <strong>Kubrick</strong>, sorti un an avant le succès de la mission, paraît en outre quelque peu inutile, que ce soit pour l'élever (œuvre compagnon) ou au contraire le rabaisser (le <ins>2001</ins> du pauvre) : au-delà de quelques éléments un peu fantasques, comme la présence mystique du monument mégalithique de Stonehenge, <strong>Theo Kamecke</strong> filme l'épopée lunaire au plus près de l'action, souvent très terre-à-terre, du trio de spationautes aux couturières qui ont réalisé les combinaisons, du design de l'étage de propulsion à la foule réunie dans des camping cars près du site de Cap Canaveral. Avec en prime une petite séquence explicative, schémas ludiques à l'appui, sur les différentes étapes du projet (décollage, mises en orbite, etc.). En ce sens, <ins>Moonwalk One</ins> se rapproche beaucoup plus du récent <ins>First Man</ins>, pour sa dimension presque intimiste et son approche en partie anti-spectaculaire du spectaculaire.</p>
<p>Chaque élan ésotérique pour se projeter dans l'avenir semble systématiquement contrebalancé par une description matérialiste d'un aspect de la mission.</p>
<p>Le film documente autant l'exploit technique, à travers une profusion d'images captées entre autres dans le vif de l'action, que le contexte de création, de manière involontaire, avec le petit côté désuet des envolées mystiques et de questions amphigouriques assénées inlassablement (les possibilités qu'offrent les échantillons récupérés sur la lune, l'inconnu dans lequel l'humanité s'engouffre, le bond technologique et les responsabilités qui en découlent, et tout un tas de considérations ésotériques plutôt drôles). Quand le film tente de décrire son propre contexte historique, en faisant un rapide tour du monde et des sentiments des hommes à cette époque, il prête à sourire. C'est un complément amusant à l'euphorie collective, bien réelle, qu'avait alors suscité l'événement. Mais ce caractère didactique raté, très naïf, s'associe étonnamment bien à la poésie graphique recherchée dans de nombreuses séquences, à commencer par le décollage de la fusée et l'éjection de ses différents compartiments une fois lancée, dans un montage au ralenti empreint de rêverie.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/moonwalk_one/.terre_m.jpg" alt="terre.jpg" title="terre.jpg, fév. 2019" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/moonwalk_one/.mission_m.jpg" alt="mission.jpg" title="mission.jpg, fév. 2019" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Moonwalk-One-de-Theo-Kamecke-1972#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/615Images, de Robert Altman (1972)urn:md5:b5136de79ebe0604bddb71fca431fcb92019-01-02T17:35:00+01:002019-01-02T21:27:16+01:00RenaudCinémaFemmeMortOnirismeRobert Altman <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/images/.images_m.jpg" alt="images.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" title="images.jpg, janv. 2019" /><div id="centrage">
<span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Folie explicite<br /></strong></ins></span>
</div>
<p><ins>Images</ins> se classe assez naturellement dans la partie portée sur l'étrange de la filmographie de <strong>Robert Altman</strong>, aux côtés de <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Brewster-McCloud-de-Robert-Altman-1970"><ins>Brewster McCLoud</ins></a> et surtout <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Trois-femmes-de-Robert-Altman-1977"><ins>Trois Femmes</ins></a> qui sortira 5 ans plus tard et dont il semble être le brouillon (entendu au sens non-péjoratif du terme). En prenant pour cadre de la majeure partie du film un petit coin de campagne irlandaise (magnifié par le savoir-faire de <strong>Vilmos Zsigmond</strong>), une maison au bord d'un lac, cascades et falaises, verdure et pâturage, cette dimension bucolique pénètre peu à peu des sphères plus psychologiques pour décrire la crise vécue par Cathryn, sous les traits de <strong>Susannah York</strong>.</p>
<p>Beaucoup plus direct dans son introduction que celle de <ins>Trois Femmes</ins>, n'hésitant pas à dépeindre de manière explicite à l'écran les troubles de la protagoniste, <ins>Images</ins> s'intéresse de la même façon au portrait d'une femme tourmentée. Beaucoup plus violent, aussi, car même s'ils ont lieu dans l'univers de l'hallucination, les meurtres et les agressions sexuelles sont légion et explicites dans son référentiel. Petit à petit, on pénètre la psyché de Cathryn et sa perception du monde remplie de visions effrayantes. Des images terrifiantes, donc, avec des anciens amants morts qui refont surface, mais aussi des sons, tout aussi anxiogènes, et des musiques angoissantes (collaboration entre <strong>John Williams </strong>et <strong>Stomu Yamashta</strong>). Le dérèglement de sa perception est glaçant, dans ce qu'il impose de normalité face à des situations profondément anormales (ou jugées comme telles, parfois : au final, il y avait bien une petite fille dans la cage d'escalier, par exemple, et il ne s'agissait pas d'une hallucination) : se prétendre sain d'esprit en pleine connaissance de sa folie est une expérience éprouvante. Seule la fin du film, un peu facile, semble légèrement bâclée.</p>
<p>Parti pris étonnant, <strong>Altman </strong>ne s'embarrasse d'aucune ambiguïté sur l'état de santé de la protagoniste : il est uniquement question d'illustrer un malaise, sans vraiment laisser de place à la suggestion — en exagérant un peu. Il y a une forme de banalisation de l'hallucination, qui aurait sans doute pu apparaître de manière plus puissante et déroutante dans un cadre plus mystérieux et implicite, mais qui n'en reste pas moins extrêmement dérangeante dans l'observation presque clinique d'une perturbation. <strong>Altman</strong> se focalise presque uniquement sur des détails, à l'image des deux personnages féminins en miroir, Cathryn, interprétée par <strong>Susannah York</strong>, et la jeune Susannah, interprétée par <strong>Cathryn Harrison</strong>. La relation duale entre les deux est autant soulignée par le jeu avec leurs prénoms (entre actrices et personnages) que par la mise en scène, à travers de nombreux plans superposant leurs visages à l'aide d'un reflet sur une vitre. Libre à nous d'interpréter cela, par exemple en suivant la piste psychologique d'un refus du passage du statut de femme à celui de mère.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/images/.camera_m.jpg" alt="camera.jpg" title="camera.jpg, janv. 2019" /><br />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/images/.miroir_m.jpg" alt="miroir.jpg" title="miroir.jpg, janv. 2019" />
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