Je m'attarde - Mot-clé - Tradition le temps d'un souffle<br />2024-03-25T15:05:00+01:00Gilles P.urn:md5:53884a1dc0a56fcabb5795c6d1504dfbDotclearÉté précoce (麦秋, Bakushū), de Yasujirō Ozu (1951)urn:md5:505ff244ec0991c26dc275be86527aef2023-12-14T11:52:00+01:002023-12-14T11:52:00+01:00RenaudCinémaAmourAprès-guerreChishû RyûFamilleHaruko SugimuraIndépendanceJaponKuniko MiyakeLibertéMariageSetsuko HaraSolitudeTraditionTravailYasujirō Ozu <a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ete_precoce/ete_precoce.jpg" title="ete_precoce.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ete_precoce/.ete_precoce_m.jpg" alt="ete_precoce.jpg, déc. 2023" class="media-center" /></a>
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Le retour de Noriko aka Hara</strong></ins></span>
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<p>Le cinéma d'<strong>Ozu </strong>est probablement bien défini, en première instance mais aussi, je trouve, de manière tout à fait valable, comme des variations plus ou moins marquées autour des mêmes thèmes qui reviendront du début à la fin de son parcours de cinéaste. Quand on a déjà vu une quinzaine de ses films, on a l'impression de l'avoir déjà vu et de tout connaître de <ins>Été précoce</ins>, avec ses conflits intergénérationnels latents, ses oppositions entre tradition et modernité, ses noyaux familiaux étendus sur trois générations qui cohabitent sous le même toit (un temps durant, au moins), et bien sûr ses conclusions qui déploient une amertume à mi-chemin entre la résignation joyeuse et le constat fataliste (qui ne trouvent d'équivalent dans le cinéma japonais que du côté de <strong>Naruse </strong>me semble-t-il). Autant de fragments qui une fois assemblés forment un portrait du Japon essentiellement d'après-guerre, si l'on oublie la part conséquente logée dans les années 30 et le début des années 40, avec un ou plusieurs personnages aux aspirations souvent en conflit avec une sorte d'état naturel des choses. Ici, c'est la presque trentenaire Noriko qui s'oppose à la tradition (et surtout à la volonté de sa famille) en choisissant dans un premier temps de vivre libre et de travailler pour assurer son indépendance, rejetant de fait le mariage arrangé qu'on lui tend sur un plateau d'argent (un homme d'affaires fortuné et correct sous tous rapports), et dans un second temps de se marier, certes, mais avec l'homme de son cœur.</p>
<p>La répétition des thématiques va jusqu'à faire de <ins>Été précoce</ins> (1951) une sorte de suite officieuse de <ins>Printemps tardif</ins> (1949), ou plus alternativement l'autre face d'une même pièce, puisqu'on retrouve <strong>Setsuko Hara </strong>et <strong>Chishū Ryū </strong>dans des rôles de premiers plans (mais aussi <strong>Haruko Sugimura </strong>et <strong>Kuniko Miyake</strong>, entre autres, interprétant des personnages plus secondaires), <strong>Hara </strong>étant dans les deux cas de figure le personnage sur lequel se cristallise le conflit moral et sociétal, et celui sur les épaules duquel pèse tout le poids des valeurs de la famille traditionnelle japonaise. Le caractère officieux de cette dualité est quand même à relativiser, étant donné que cette femme porte le même prénom dans les deux films, Noriko. La différence est malgré tout notable, puisque là où elle finissait par céder aux injonctions du père qui la poussait à se marier (avec pour conséquence une condamnation à la solitude chez ce dernier) en 1949, ici elle fait montre d'une force de caractère très nette, comme si c'était le même personnage qui avait appris de ses erreurs passées, en faisant le choix du mariage d'amour plutôt que les arrangements prévus par sa famille, suscitant la déception de tout le foyer ou presque. L'opposition entre les deux Noriko est à ce titre très franche, et offre ainsi un second point de vue très agréablement complémentaire.</p>
<p>Étonnant personnage qui jouit d'une liberté très nette dans sa capacité à affirmer ses choix et d'entrer en conflit avec la pensée normative (celle de la famille, mais on pourrait généraliser à un cadre national beaucoup plus large). L'émancipation ne se fait pourtant pas du tout dans la violence, au creux d'une mise en scène toujours aussi incroyablement maîtrisée, au contraire il y a une certaine douceur qui accompagne Noriko, sûre de sa volonté et de ses droits, et ce en dépit du grand désarroi qui la saisira lorsqu'elle réalisera les conséquences de son envol loin du domicile familial. Difficile de ne pas être ému par la séance de photo en famille, ultime pose, ultime réunion avant la dissolution. En toile de fond rôde l'insouciance des plus jeunes enfants, plein de malice et occasionnant quelques sas de décompression, toujours prompts à la boutade — et en ce sens précurseurs du potache de <ins><a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Bonjour-de-Yasujiro-Ozu-1959">Bonjour</a></ins> qui sera plus amplement dédié aux enfants. Et à l'horizon, l'affirmation de l'identité féminine, lorsque Noriko répondra à un membre de la famille lui affirmant que "depuis la guerre, les femmes sont de plus en plus impudentes " : son "Certainement pas. Elles sont enfin normales" résonnera longtemps.</p>
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<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ete_precoce/img1.jpg" title="img1.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ete_precoce/.img1_m.jpg" alt="img1.jpg, déc. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ete_precoce/img2.jpg" title="img2.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ete_precoce/.img2_m.jpg" alt="img2.jpg, déc. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ete_precoce/img3.jpg" title="img3.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ete_precoce/.img3_m.jpg" alt="img3.jpg, déc. 2023" /></a>
<a href="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ete_precoce/img4.jpg" title="img4.jpg, déc. 2023"><img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/ete_precoce/.img4_m.jpg" alt="img4.jpg, déc. 2023" /></a>
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Ete-precoce-de-Yasujiro-Ozu-1951#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1305Zvenigora - La Montagne sonnante, de Alexandre Dovjenko (1927)urn:md5:9a563e0042ccad21aeb378cf13c0861c2022-12-02T11:18:00+01:002022-12-02T11:18:00+01:00RenaudCinémaAlexandre DovjenkoGuerreMoyen ÂgeRussieTraditionUkraine <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/zvenigora/.zvenigora_m.jpg" alt="zvenigora.jpg, déc. 2022" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Mille ans pour faire coïncider bolchévisme et nationalisme ukrainien en URSS <br /></strong></ins></span>
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<p>Ce film d’<strong>Alexandre Dovjenko </strong>est le premier de la trilogie qu'il a consacrée à l'Ukraine avec les merveilleux <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Arsenal-d-Alexandre-Dovjenko-1929"><ins>Arsenal</ins></a> et <a href="https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Terre-de-Alexandre-Dovjenko-1930"><ins>La Terre</ins></a>, mais c'est un film qui détonne fortement avec le reste de sa filmographie (du moins la part que j'ai pu découvrir pour l'instant). D'un point de vue purement esthétique, il n'y a aucun doute, on s'inscrit dans l'état de l'art du cinéma soviétique avec une avalanche de techniques qui marquent fortement les esprits, que ce soit à travers le montage, les effets de ralenti, le symbolisme (peut-être moins présent ici que dans les deux autres films de la trilogie ukrainienne), ou ici la particularité des différents épisodes racontant un moment important de l'histoire nationale. Mais sur le fond du discours, j'avoue avoir été sidéré par la teneur du propos, à la fois conforme en un sens à la doctrine soviétique, mais aussi incroyablement iconoclaste en tentant une intersection entre bolchévisme et nationalisme.</p>
<p>En guise de préliminaire et pour dialoguer avec mon moi futur, je dois préciser que la succession d'épisodes, leur enchâssement, l'étendue du spectre observé couvrant le Moyen Âge jusqu'à la guerre civile russe, et la pluralité des points de vue m'ont pas mal perdu et ont rendu le visionnage difficile. On baigne dans une ambiance légèrement surréaliste, presque fantastique, via les divagations du personnage central du grand-père, accentuant le flou général. Mille ans d'histoire racontés entre réalité et fiction à deux fils antagonistes sur fond de trésor enfoui dans la montagne... il faut bien s'accrocher.</p>
<p>Une œuvre puissante, mais aussi obscure car un peu décousue, donc. L'ambition de <strong>Dovjenko </strong>est particulièrement démesurée, dans l'ampleur visée mais aussi dans la tentative de réconciliation des deux récits nationaux — chose que je n'avais jamais vue au cinéma. Un film soviétique traitant du folklore national en héritage, à travers diverses histoires de filiation, la tradition écrasée par la modernité à grand renfort de figures symboliques, etc. Les époques sont aussi nombreuses que les personnages, le rythme est complètement fou, et classique parmi les classiques, la musique contemporaine est aussi baroque qu'inappropriée, un supplice (je n'ai pas hésité à couper le son cette fois). Méga métaphore de l'âme nationale de l'Ukraine, avec des composantes spirituelles et nationalistes que tiraillent la fibre soviétique. Le questionnement sur les dégâts de la révolution et les spécificités culturelles m'a scotché, au sein d'un film de cette période.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/zvenigora/.img1_m.png" alt="img1.png, déc. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/zvenigora/.img2_m.png" alt="img2.png, déc. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/zvenigora/.img3_m.png" alt="img3.png, déc. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/zvenigora/.img4_m.png" alt="img4.png, déc. 2022" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/zvenigora/.img5_m.png" alt="img5.png, déc. 2022" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Zvenigora-La-Montagne-sonnante-de-Alexandre-Dovjenko-1927#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/1102L'Héritage des montagnards, de Erich Langjahr (2006)urn:md5:294fa5a6ac267bc03181dc40dda6ab442020-09-30T22:56:00+02:002020-09-30T21:58:35+02:00RenaudCinémaDocumentaireFauchageFerronnerieMontagnePaysanSuisseTradition <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heritage_des_montagnards/.heritage_des_montagnards_m.jpg" alt="heritage_des_montagnards.jpg, sept. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Fauchage à l'ancienne dans les hautes montagnes suisses<br /></strong></ins></span></div>
<p>À travers ce voyage dans les montagnes suisses, dans le canton de Schwyz au sein d'une petite communauté constituant les derniers faucheurs de foin sauvage, <strong>Erich Langjahr </strong>propose un regard passionné et presque méditatif sur une tradition paysanne en voie de disparition. Très discret en paroles, le documentaire se contentera d'expliciter quelques éléments de contexte et les noms des principaux intervenants, rien de plus. La caméra se concentrera tout du long sur le geste précis de l'artisan, à différentes étapes, et sur l'ambivalence classique entre la dureté de la tâche et la beauté que l'on peut en tirer, d'un point de vue extérieur.</p>
<p><ins>L'Héritage des montagnards</ins> part du fond de la vallée pour ensuite évoluer vers les hauteurs vertigineuses où la fauche aura lieu, en été, avant de poursuivre le cycle annuel jusqu'en hiver. Car pour couper et récolter l'herbe sur ces flancs escarpés et ensoleillés, les paysans qui ont décidé de poursuivre ce dur labeur (non pas par nécessité économique, comme autrefois, comme le racontera l'un d'entre eux, mais par respect du travail manuel et par volonté de faire perdurer encore un peu ce savoir-faire) utilisent des sabots de bois avec des crampons métalliques. Leur fabrication artisanale est décrite dans la toute première partie, avec le travail du bois et le travail du fer dans ces ateliers de menuiserie et de ferronnerie qu'on ne voit presque plus. Le premier Août de chaque année, ils montent tout en haut au niveau des terrasses du Hinter Heubrig avec leur faux, leurs râteaux et leurs sabots. Une partie de l'équipement est montée à l'aide d'un téléphérique d'appoint qui servira également à redescendre l'herbe fraîchement tondue et mise en filet.</p>
<p>Tout le processus de la fenaison est montré, sans esthétisme excessif (les lieux sont pourtant incroyablement photogéniques), avec la coupe des herbes à la faux et l'aiguisage régulier, la descente des ballots de foin à la corde (à l'origine de la belle affiche du film), le stockage dans la grange d'alpage, et enfin le transport du foin à la luge en hiver, sur la neige. Le documentaire se concentre exclusivement sur le travail des faneurs, avec quelques détours par des scènes de danse folklorique, mais l'ensemble restera particulièrement taiseux. Très peu de contextualisation, mais juste ce qu'il faut pour suivre ces paysans acrobates qui font perdurer le geste de leurs ancêtres et arborent une tranquillité remarquablement poétique.</p>
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<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heritage_des_montagnards/.fer_m.jpg" alt="fer.jpg, sept. 2020" />
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/heritage_des_montagnards/.fauchage_m.jpg" alt="fauchage.jpg, sept. 2020" />
</div>https://www.je-mattarde.com/index.php?post/L-Heritage-des-montagnards-de-Erich-Langjahr-2006#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/832Centaure, de Aktan Arym Kubat (2017)urn:md5:ad7c01000bf29c091cd956741900dcb52020-02-27T18:59:00+01:002020-02-27T19:06:49+01:00RenaudCinémaChevalConteKirghizistanReligionRuralitéTraditionVol <img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/centaure/.centaure_m.jpg" alt="centaure.jpeg, fév. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />
<div id="centrage"><span style="font-size: 18pt;"><ins><strong>Conte naïf sur l'utilité du vol de chevaux</strong></ins></span>
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<p>Sous bien des aspects, <ins>Centaure</ins> pourrait apparaître comme un drame sociétal exotique comme tant d'autres, dont le but premier vise à décrire une situation d'aliénation dans un pays donné, selon les codes locaux et les normes en vigueur. Après tout, il est question de décrire une certaine communauté kirghize au sein de laquelle surviendra un événement bousculant le calme relatif du quotidien, et surtout éclairant la nature de certains antagonismes latents. Mais on n'a pas accès tous les jours au cinéma en provenance du Kirghizistan, ce qui fournit une motivation supplémentaire à se plonger dans le microcosme qui y est décrit.</p>
<p>On saisit cependant assez vite la nature des enjeux travaillés par <strong>Aktan Arym Kubat</strong> : derrière cette histoire de vols de chevaux, il y a en réalité la peinture d'une mutation nationale profonde, avec d'un côté ceux qui entendent bien profiter de la modernisation pour s'accaparer les richesses et de l'autre ceux qui voudraient voir perdurer les traditions d'un peuple à l'origine nomade. Heureusement, pour dépeindre ce conflit, <ins>Centaure</ins> n'adopte pas le ton du semi-documentaire sordide ou misérabiliste : c'est sous l'angle de la fable que l'essentiel sera traité. En ce sens, la possibilité nous est laissée d'accepter le dénouement non pas comme un geste un peu lourd mais comme l'apogée du conte.</p>
<p>Mais cette disposition ne suffirait pas à éviter un certain manichéisme, avec l'avidité des modernes et le respect des traditionnels. C'est à travers le portrait du personnage que le réalisateur interprète qu'il parvient à instiller une légèreté bienvenue, avec ce projectionniste qui travaillait dans un cinéma transformé en mosquée (à l'origine d'un arc un peu lourd sur la dimension très passéiste de la pratique religieuse). Avec son enfant de 5 ans qui ne parle pas à qui il raconte les légendes locales (à base d'hommes et de chevaux, voire de centaures, donc) et sa femme sourde-muette qu'il trompe à moitié avec une vendeuse de maksym (boisson kirghize), il forme un foyer très hétéroclite. Le cheval, au centre, semble être passé du statut d'animal totem à celui de pur produit mercantile qu'il entend bien libérer. Les dialogues entre poésie et tragédie ne sont pas toujours très fluides, le glissement de la société anciennement soviétique vers un modèle capitaliste n'est pas toujours très subtil dans l'exposition des extrémismes divers, mais il se dégage néanmoins de ce conte philosophique une douceur et une naïveté attachantes, illustrant par contraste la méchanceté d'une partie de son environnement.</p>
<img src="https://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/centaure/.famille_m.jpg" alt="famille.jpg, fév. 2020" style="margin: 0 auto; display: block;" />https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Centaure-de-Aktan-Arym-Kubat-2017#comment-formhttps://www.je-mattarde.com/index.php?feed/atom/comments/743