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À l'ombre de la République est un film documentaire réalisé par Stéphane Mercurio en 2012. La fille de – la femme de – Siné, qui a déjà tourné deux longs-métrages (À côté en 2008, sur les familles des détenus et Mourir ? Plutôt crever ! en 2010, hommage au dessinateur rebelle qu'elle a pour beau-père), nous propose de nous attarder sur des notions telles que l'enfermement, l'isolement, la durée des peines et l'humiliation ordinaire en milieu carcéral.

Pour la première fois, et après trois ans d'existence seulement, le Contrôle Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL), présidé par Jean-Marie Delarue, a accepté qu'une équipe de tournage le suive dans son travail minutieux et essentiel de contrôle des droits fondamentaux dans les prisons, les hôpitaux psychiatriques ou encore les commissariats. À tout moment, sur l'ensemble du territoire français, les contrôleurs du CGLPL peuvent se rendre derrière les murs de leur choix. À toute heure, et pour la durée qu'ils jugent nécessaire.
C'est en immersion totale, caméra à l'épaule, qu'on suit une dizaine de ces contrôleurs qui « visitent » des lieux assez variés, de la maison d'arrêt de femmes de Versailles à la prison flambant neuve de Bourg-en-Bresse, en passant par l'hôpital psychiatrique d'Évreux en manque flagrant de moyens ou la centrale de l'île de Ré et ses condamnés à la perpétuité. Pendant quelques semaines d'immersion à leurs côtés, au cœur des quartiers disciplinaires, dans les cours de promenade des prisons ou dans le secret des chambres d'isolement, un voile semble se lever sur l'enfermement et la réalité des droits fondamentaux à l'intérieur de ces lieux interdits.

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Qu'y a-t-il de commun à tous ces lieux ? Comment faire respecter les droits des détenus, des malades mentaux ? Qu'est-ce donc qu'être enfermé en 2012 (ou plutôt 2010, année de tournage) ? Alors que le public préfère les criminels à l'ombre et les fous interdits de cité, là où ils ne nous gêneront pas, Stéphane Mercurio s'est aventurée dans ces lieux qui nourrissent le fantasme. Même si la réalité est parfois plus banale qu'on ne l'imagine, on se rend compte que l'horreur de l'incarcération se joue souvent sur d'infimes petites choses qui transforment le quotidien en cauchemar plus rapidement qu'on ne le croie. Le téléphone, auquel on n'a pas accès, l'éloignement de la famille qui délite les liens, la peur de la promenade où tout peut arriver...
Le contrôle effectué par le CGLPL mesure ce genre de détails. Il mesure aussi les conséquences du temps passé à ne rien faire qui fatigue, humilie et détruit. Stéphane Mercurio adopte un point de vue qui en dérangera certains : à l'instar du CGLPL, elle ne se préoccupe absolument pas des raisons de la détention de ses protagonistes. Ce n'est tout simplement pas l'objet du film, ce genre d'informations étant largement surreprésenté dans l'espace médiatique que nous connaissons. De très bons films abordent le sujet, avec des variations sur le même thème, parmi lesquels on peut citer les très bons Orange Mécanique (1973) de Stanley Kubrick, Midnight Express (1978) d'Alan Parker, Au Nom du Père  (1993) de Jim Sheridan, Un Prophète (2008) de Jacques Audiard, et Hunger (2008) de Steve McQueen.

En définitive, À l'ombre de la République adopte l'approche du constat, de l'observation neutre comme point de départ de nos réflexions personnelles et surtout multiples. On peut regretter le traitement parfois superficiel de thèmes essentiels, mais peut-être est-ce la volonté de la réalisatrice de se cantonner au côté factuel de l'observation (point corroboré par Stéphane Mercurio herself lors du débat organisé fin mai par le cinéma Le Cratère de Toulouse à l'issue de la projection). Quoi qu'il en soit, le film propose une vision tout à fait inédite du milieu, dans une ambiance étrangement intimiste. Certains témoignages, d'une troublante lucidité, ne vous laisseront pas indemnes. Chose étonnante, la quasi-totalité des détenus témoignent à visage découvert, donnant au film un caractère sincère, respectueux et profondément humain. Seul bémol : symbole d’une détresse plus grande encore, les centres de rétention brillent par leur absence à l'écran. Le générique de fin précise que le ministère de l’Intérieur s’est opposé à la présence de la cinéaste avec le CGLPL dans les centres de rétention...