Denis Robert est écrivain et journaliste. Un vrai journaliste, devrait-on préciser aujourd'hui, étant donnée la dépréciation patente du terme ces derniers temps. Chroniqueur occasionnel à Siné Hebdo (ancien Siné Mensuel), investigateur hors pair, il est surtout connu pour s'être attaqué à Clearstream (1), une chambre de compensation financière, dans des bouquins comme Révélation$ et La Boîte Noire, mais aussi dans un documentaire diffusé sur Canal+, Les Dissimulateurs. Le but est toujours le même : dénoncer le fonctionnement opaque et l'évasion des capitaux vers les paradis fiscaux que pratiquent certaines grandes institutions dont Clearstream fait partie (elle conserve 11,4 trillions d’euros dans ses coffres luxembourgeois), chose qui n'était pas évidente au début des années 2000 et qui ne l'est pas forcément plus aujourd'hui. Le garçon est plutôt du genre coriace : on reste stupéfait devant l'acharnement dont il fut l'objet dix années durant, avec une soixantaine de procédures judiciaires intentées contre lui en France, en Belgique et au Luxembourg, par Clearstream et des banques russes et luxembourgeoises.

Autant dire que pendant toutes ces annéesdenis_robert.jpg, il a envisagé de jeter l'éponge à plusieurs reprises, face à des pressions morales et financières grandissantes. Les sommes astronomiques que réclamaient Clearstream pour diffamation - qui se chiffrent en millions d'euros - rappellent celles que Carglass réclama, sans succès, à Jean-Robert Viallet pour son excellentissime (le mot est faible) documentaire La Mise à mort du travail (2). L'image de David contre Goliath n'est pas complètement stupide... Mais le 3 février 2011, Denis Robert est blanchi de toutes ses condamnations par la Cour de cassation. Les juges ont considéré « les allégations bien-fondées et étayées par de solides arguments ». Dans un entretien à Siné Hebdo, Denis Robert déclare : « J'étais poursuivi pour « recel de vol » mais le tribunal l'a justifié en indiquant qu'il y avait un intérêt supérieur qui s'appelle le devoir « d'informer le public sur un sujet d'intérêt général ». C'est une décision impo-rtante pour l'ensemble des journalistes. » Et qui fera jurisprudence, on l'espère...

Hier, le 29 novembre 2011, la Cour d'appel de Lyon a rejeté sa demande de dommages et intérêts qu'il réclamait à Clearstream pour lui avoir pourri la vie pendant dix ans. Il devra donc se contenter des quelques 56 500 euros que la société doit lui verser au titre des frais de procédure, ce qui n'est pas rien. On peut aussi se demander dans quelle mesure cela remet en question l'égalité des individus devant la justice : on ne dispose pas tous de telles sommes pour se défendre sur le plan juridique. Quoiqu'il en soit, malgré quelques zones d'ombres (3), il n'en reste pas moins une éclatante victoire de la liberté d'expression et la consécration du travail de Journaliste, avec un grand « J ».

Pour en savoir plus : un article du Nouvel Observateur, deux articles de Télérama (une interview du 2 mai 2011 et un article plus récent), et le blog de Denis Robert (la domination du monde).


(1) En référence à l'affaire du même nom, affublée du numéro 1 pour bien identifier l'une des nombreuses facettes du scandale Clearstream...
(2) Ou comment les logiques de rentabilité pulvérisent les liens sociaux et humains, en trois actes : la destruction, l'aliénation et la dépossession. Courez voir ce documentaire si vous ne l'avez pas encore vu !
(3) Une parmi des dizaines d'autres : l'avocat de Clearstream, Richard Malka, était aussi l'avocat de Charlie Hebdo, représenté à l'époque par Philippe Val. Un lien avec son aversion pour le travail de Denis Robert ? Regardez cette vidéo affligeante de 2009, à l'aune des informations dont on dispose aujourd'hui...