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Bob, Paul et Patrick sont dans un bateau.

On s'attend à un documentaire élogieux, comme on en voit tant, qui sacraliserait une institution en misant sur des aspects classiques ayant trait à l'émotionnel ou au nostalgique... alors que How to Change the World est avant tout un portrait de groupe étonnamment contrasté, doublé d'une réflexion sur l'engagement (écologique, entre autres) et ses petites complications. C'est en réalité un savoureux documentaire canadien qui prend le temps de décrire les conditions qui ont vu naître le mouvement Greenpeace, au cours de la décennie si caractéristique des 70s, avec tous ses espoirs et tous ses bouillonnements. Le point d'ancrage se situe autour de l'annonce du gouvernement américain de l'ère Nixon sur des essais nucléaires à Amchitka, en Alaska, et de la réaction d'un groupe hétéroclite de militants en tous genres (journaliste, écologiste, pacifiste, scientifique, ou tout simplement hippie commun) qui se constitua dans la protestation. C'est un retour sur le début des années 70 à la composante nostalgique forcément non-négligeable, avec l'incroyable effervescence des mouvements sociaux aussi motivés que mal organisés, mais sous un angle à la fois drôle et sérieux, émouvant mais lucide. Une lucidité étonnante, à commencer par le regard sur les approches très différentes de Bob Hunter, Paul Watson, et Patrick Moore (les trois principaux membres originels) en matière d'écologie politique et de rapport aux médias.

Bob Hunter d'abord, le fondateur officiel, celui qui a défendu une certaine ligne pacifiste jusqu'à sa mort en 2005. C'est autour de lui que se sont initialement regroupés les autres.

Paul Watson, ensuite, le chien fou qui se fera virer du groupe à la fin des années 70 pour ses aspirations légèrement (euphémisme) différentes et sa propension à agir de manière plus directe et plus violente ("quand tu vois une femme se faire violer dans la rue, on s'en branle du témoignage, il faut aller l'aider", en substance, au sujet de la position passive de son pote journaliste face à l'abattage de phoques pour leur fourrure). Il fondera par la suite la Sea Shepherd Conservation Society pour poursuivre selon sa philosophie, dans cette direction des luttes plus franches. Le genre à foncer tout droit contre un navire de pêche pirate, avec son propre bateau, pour lui briser la coque. Un mec légèrement bourrin sur les bords, donc, qu'on taxerait d'intégrisme s'il appartenait au camp opposé mais qu'on admire presque religieusement pour son intégrité dans le cas contraire.

Et puis Patrick Moore, le champion incontesté en matière de retournage de veste. Il quitta Greenpeace en 1986 suite à divers différends idéologiques avant de se consacrer à une carrière de lobbying auprès de grands groupes industriels, en sa qualité d'ex-militant Greenpeace et nouveau climato-sceptique.

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Le documentaire excelle dans ce registre, en montrant à quel point des trajectoires qui semblaient si proches, si parallèles, ont fini par fondamentalement diverger. Il capte très bien la fin d'une effervescence, et les débuts d'un nouvel ordre pour le militantisme écologiste et l'écologie politique. Paul Watson le dira très bien : les membres de Greenpeace ont beau être parvenus à rassembler d'immenses fonds, ils n'auront jamais été aussi efficaces et percutants que quand ils se lançaient à une poignée d'activistes cramés, à bord de deux Zodiacs, contre d'immenses bateaux de pêche illégaux ou de véritables usines-abattoirs flottants. Ils ne possédaient presque rien mais leurs motivations étaient sans limite.

Un long passage est consacré à l'importance de l'image, à son pouvoir que l'on découvrait dans les années 70, et le docu exploite habilement des images d'archives sur leurs premiers exploits, choquants, avec la mer rouge du sang des baleines ou la banquise rouge du sang des phoques. Ils n'avaient peur de rien, ni d'un gigantesque harpon à baleine lancé dans leur direction, passant à quelques mètres au-dessus de leurs têtes, ni d'un immense brise-glace qu'ils arrêtèrent façon Tian'anmen. Des séquences complètement incroyables. Mais de l'autre côté de la balance, loin de la complicité des débuts, les querelles intestines et les frasques des uns et des autres eurent raison de leur projet commun et conduisirent à l'éclatement du mouvement : on se situe de fait très loin de l'ode béate à un mouvement ou du militantisme niais. Les divergences de point de vue, autant que les multiples désillusions occasionnées, sont exposées au sein d'une dynamique de l'engagement avec une franchise et une lucidité aussi rares qu'inespérées.

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