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Berlin en cendres, Dietrich en trance

C'est triste à dire, mais n'étant pas particulièrement sensible au charme froid de Marlene Dietrich (pas ici en tous cas), ni à celui naïf jusqu'à la moelle de Jean Arthur, et en l'absence de la moindre trace de charisme de la part de John Lund dans un rôle qui en nécessitait pourtant énormément, les arguments par ailleurs intéressants de A Foreign Affair n'auront produit que très peu d'effet.

On sent bien la volonté de Billy Wilder de filmer un cadre enserrant une action plus qu'une action dans un cadre donné. Avant (ou au même niveau que) le triangle amoureux formé par Dietrich / Arthur / Lund et la question de l'Allemagne occupée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il y a ce décor incroyable, terrifiant. Une ville dévastée par les bombes alliées, un champ de ruines à perte de vue que Wilder montre dès la première séquence du film. La puissance des décors naturels, encore une fois, ne peut être remise en question : sous cet angle-là, on pourrait voir La Scandaleuse de Berlin comme la version tragi-comique d'un autre film, un drame allemand, tourné directement après le conflit mondial par Wolfgang Staudte. Les assassins sont parmi nous se focalisait ainsi sur la même période, dans les mêmes décors, mais abordait l'épineuse question (sous le regard de la censure soviétique) de la culpabilité et de la responsabilité du peuple allemand.

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Le triangle amoureux, avec cette enquêtrice très sérieuse et membre du Congrès américain qui découvre sur le terrain le mode de vie des soldats en charge de l'occupation, disons assez différent de la théorie qu'on lui avait enseignée, en passant d'un sentiment réfractaire à un abandon total, rappelle quant à lui une autre satire politique vaguement similaire réalisée une décennie plus tôt par Lubitsch : Ninotchka (devinez qui était au scénario...). De ce point de vue-là, la comédie de Wilder n'a pas grand-chose à offrir tant on a du mal à croire aux revirements amoureux de deux des trois protagonistes. Seule l'interprétation de Dietrich reste cohérente et convaincante tout au long du film. Par contre, c'est dans la description de la vie quotidienne de toutes ces communautés dans les ruines de la capitale allemande que A Foreign Affair recèle une certaine richesse. Une comédie tournée sur les cendres encore chaudes d'une ville récemment rasée par des bombes, il fallait le faire... Et quelques remarques sarcastiques sur l'aide apportée par les États-Unis pour la reconstruction : "you give a hungry man bread, that's democracy. If you leave the wrapper on, it's imperialism". Il y a vraiment beaucoup de matière historique dans ces séquences au marché noir où l'on échange un gâteau contre un matelas (mais aussi quelques barres chocolatées contre une certaine compagnie), dans ces cabarets illégaux remplis de soldats américains et au creux de ces ruines qui servent d'habitation et dans lesquelles on manque d'à peu près tout.

Ce qui fait véritablement défaut à une telle comédie, c'est la subtilité nécessaire dans les transitions comme le ciment entre deux parpaings. Jean Arthur en représentante de l'Iowa ultra-rigide découvrant avec stupeur la fraternisation (et plus si affinités) de ses compatriotes avec les Allemands pour ensuite tomber sous le charme du grand dadais de Lund et finir par adhérer aux orgies nocturnes, on n'y croit pas une seconde. La caricature a ses limites, et les allusions sexuelles qui affluent de l'autre côté du triangle amoureux, avec Dietrich, sont infiniment plus réjouissantes en comparaison. Le manque voire l'absence de finesse (volontaire ou involontaire) se retrouve dans les saillies corrosives à destination des différentes parties et distribuées de manière continue : un torrent de sarcasmes se déverse indifféremment sur la bonne conscience des uns et le moralisme des autres, et plus généralement sur les différents masques de vertu qu'une bonne part des personnages cherche à revêtir. Sous d'autres conditions, dans d'autres prédispositions aussi, sans doute, l'argument aurait pu porter de bien meilleurs fruits.

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