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Ce mois-ci, au sommaire de « mon » Diplo de Septembre : un dossier sur les ambiguïtés des services à la personne et l'implication de la Banque mondiale dans le phénomène d’accaparement des terres agricoles.


  • Mirage des services à la personne. La malédiction du balai. Par François-Xavier Devetter et François Horn. Profession, domestique. Par Julien Brygo.
  • Quand la Banque mondiale encourage la razzia sur les terres agricoles. Famine, renchérissement des denrées alimentaires, dégradation des sols. Par Benoît Lallau.

À défaut de s'embraser au sujet des événements du Sofitel de New-York, en omettant délibérément de préciser la quantité exacte de truffes qui accompagnait les pâtes du premier repas de l'ex président du FMI à sa sortie de prison, le Diplo nous propose un dossier assez conséquent sur les services à la personne et les enjeux autour de ce secteur d'activité en pleine expansion.
Outre le fait que ce domaine takashi_suzuki.jpgprospère tant sur les inégalités sociales que sur les inégalités entre hommes et femmes, il est impor-tant de bien comprendre à quel point l'appellation « services à la personne » est ambivalente. En effet, François-Xavier Devetter et François Horn nous rappellent que derrière cette expression se cachent deux grandes classes d'activités : celles relevant du soin et de l'aide aux personnes vulnérables ou affaiblies (on parle de care) et celles relevant du nettoyage, avec tout ce qui relève du confort — du ménage en grande partie — au bénéfice des actifs aisés (on parle alors de clean). Même si des recoupements existent, les logiques qui en découlent sont en totale opposition, avec d'un côté le désir de s'épargner les tâches ingrates et de l'autre l'impossibilité de garantir sa propre autonomie. Il est alors évident que les politiques publiques se doivent (ou devraient, on ne sait plus trop) de prendre en compte de cette distinction dans l'attribution de leurs aides et de leurs subventions.
Au cœur de ce dossier, un reportage sidérant de Julien Brygo. En immersion dans une famille bourgeoise franco-belge exilée à Hong Kong, on apprend comment Madame reste pleine d'admiration (1) pour leur domestique « pleine d'initiative », une « véritable libération » pour elle qui n'a « pas mis les pieds dans un supermarché depuis quatre ans ». Mais derrière cette opulence teintée d'une naïve sincérité se cache une réalité moins reluisante. Chaque année, plus de cent mille Philippines choisissent l'exil dans les services à la personne à l'étranger, assurant 12 % du PIB du pays pour l'année 2010 (2). Des écoles y sont spécialisées dans la formation de domestiques « exportables » dans le monde entier. On y apprend à se servir correctement d'une soupière, à formuler les phrases suffisamment polies sans être trop insistantes, à respecter à la lettre les préceptes issus d'un manuel de bonne conduite, etc. Un diplôme en bonne et due forme est remis en fin de formation, avec la prise en compte des compétences, des connaissances théoriques et des qualités comportementales. Un service marketing rôdé vante même la qualité du service rendu, avec des accroches du genre « Avec Shiva, la corvée des tâches ménagères ne sera plus qu'un mauvais souvenir ». À tel point qu'en 2005, le dictionnaire américain Merriam-Webster donnait comme définition : «Philippine : 1. Femme originaire des Philippines ; 2. Employée de maison ».
Mais au fond, peu impor-te. Le statut reste le même, qu'on soit qualifié ou pas. Comme le dit Monsieur, « Pourquoi les salaires sont si bas ? C'est parce que les Philippines comme Elena ne sont pas qualifiées et sont peu compétentes. Pas qualifiée, martèle-t-il. N'est-ce pas Elena ? », laissant l'intéressée acquiescer, résignée mais conditionnée à abonder dans le sens de son patron (3).

Benoît Lallau, dans un autre article, s'intéresse au phénomène « d'accaparement des terres agricoles ». Ce terme est apparu suite à la crise alimentaire mondiale de l'été 2008 et aux spéculations sur les matières premières qui suivirent (on n'en était pas encore à spéculer sur la dette de pays en détresse). Deux types d'accapareurs différent selon leurs motivations — alimentaires, énergétiques ou pécuniaires. D'un côté, on trouve les États et gouvernements en proie à une insécurité alimentaire, présente ou à venir, qui s'emparent de vastes territoires agricoles « offshores » pour assurer leur autosuffisance alimentaire (c'est le cas de la Chine et de l'Inde qui souffrent d'une population trop nombreuse, mais aussi de pays du Golfe Persique comme le Qatar (4) qui ne disposent pas de terres arables en quantité suffisante ou qui désirent investir dans les agrocarburants). De l'autre, on trouve des sociétés agro-alimentaires et des investisseurs privés étrangers à la recherche de profits à court terme (5), profitant de la situation de crise internationale pour s'assurer des revenus conséquents via la spéculation sur des terres (en Afrique et en Amérique du Sud). Leur position est ambivalente, puisqu'ils prétendent soutenir l'économie locale avec une production à bas coût (alors qu'elle est principalement tournée vers l'exportation) tout en pratiquant à l'envi l’expropriation, en vertu du sacro-saint principe de libre-échange et de la concurrence nationale et internationale (6). Ces pratiques ne sont pas sans conséquences, sociales et environnementales : renforcement du secteur agricole mais spoliation des terres vivrières, transfert de technologies mais recours à l'agriculture intensive, etc.
L'article montre comment la Banque mondiale incite les deux parties à poursuivre dans cette voie, que ce soit en créant des institutions spécialisées dans ce type d'investissement ou en sollicitant les États détenteurs de terres arables pour qu'ils réforment leur législation en faveur de ces transactions (7). Dans tous les cas, au lieu de consulter les parties prenantes (des populations rurales à exproprier, dont les contestations sont souvent réprimées) et de mener des études d'impact conformes aux critères internationaux, les problèmes sont d'abord vus comme les conséquences de défaillances locales, dans la lignée des politiques libérales traditionnelles (8).

Merci à Émilie pour son aide et sa synthèse bibliographique sur « l’accaparement des terres agricoles dans les pays en développement ». Vous pouvez aussi regarder cette vidéo, et vous attarder sur ce site.

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Disponible à l'écoute : Là-bas si j'y suis, l'émission de Daniel Mermet sur France Inter, consacrée au Diplo du mois de septembre, accessible sur http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2239.


(1) Elle va même jusqu'à affirmer « c'est dans leurs gènes » pour expliquer le zèle et le dévouement de son employée...
(2) « Remittances to PH ranked 4th biggest in world », www.ofwngayon.com, Manille, 11 novembre 2010.
(3) À lire dans le même numéro : « Syndicaliser les aides à domiciles, un travail de fourmi », par Pierre Souchon et « Éternelles invisibles », par Geneviève Fraisse.
(4) Lire le supplément au Monde diplomatique de septembre 2011 : « La Qatar à l'heure de la diversification », pages I à IV.
(5) Mais pas seulement : lire John Vidal, Claire Provost, « Les universités américaines s’offrent des terres », Courrier International, 17 février 2011. Accessible ici : http://www.courrierinternational.com/article/2011/06/23/les-universites-americaines-s-offrent-des-terres.
(6) Voir « Je mange donc je suis », un mini-film (26 minutes) de Vincent Bruno, 2009. Disponible ici : http://vimeo.com/7893617.
(7) « Des droits de propriété sûrs et sans équivoque (...) permettent aux marchés de céder les terres pour des utilisations et des exploitants plus productifs ». Banque mondiale, "Rapport sur le développement dans le monde 2008. L'agriculture au service du développement", Washington, DC, septembre 2008.
(8) Lire Amandine Adamczewski et Jean-Yves Jamin, « Investisseurs libyens, paysans maliens », Le Monde diplomatique, septembre 2011.