souffle_au_coeur.jpg, avr. 2021
Amoralité

Film insaisissable, à l'échelle de la filmographie de Louis Malle (comprendre : il ne ressemble à aucun autre parmi ceux que j'ai vus pour l'instant) autant que de manière plus générale, sur le thème de l'adolescence, du rapport fusionnel à la mère, et du rapport à la sexualité dans une famille bourgeoise. Le Souffle au cœur est un récit d'apprentissage ouvertement non-conventionnel, qui faisait un pas de 20 ans en arrière à l'époque de sa sortie en 1971 pour plonger dans l'époque de la guerre d'Indochine, tandis qu'on parle de l'héroïsme des soldats français à Diên Biên Phû (qui se battaient à 1 contre 10 à la baïonnette, dit-on). Laurent est le plus jeune enfant d'une famille aisée, le père est gynécologue du genre sévère, la mère italienne arbore une légèreté inconditionnelle (magnifique Lea Massari), et les grands-frères sont là pour veiller au dévergondage précoce.

La structure du film est assez étonnante : une grande partie consacrée à la description de la vie de famille du point de vue de Laurent, ses premiers flirts et frasques (excellente complicité dans la fratrie), puis un voyage forcé en cure avec sa mère suite à la découverte d'un souffle au cœur, qui aboutira à une relation aussi douce qu'incestueuse, sans jamais verser dans la psychologie sulfureuse ou dans l'hypertrophie des sentiments. La conclusion d'un marivaudage très étrange que Malle s'empressera de ne pas condamner moralement. Mieux, il nous laisse avec ça comme bouquet final, et à nous de nous dépatouiller avec.

Il faut en outre rajouter à la rigidité bourgeoise du foyer la rigidité de l'enseignement religieux, une belle collection de moralités de façade — Michael Lonsdale en curé louche est très inquiétant. Pour le jeune enfant, tout s'écroule lorsqu'il découvre l'infidélité de sa mère, moment à partir duquel il développera une jalousie à son encontre. Le film est particulièrement fort pour décrire la relation intime qui se noue entre les deux, la complicité dont ils font preuve, ça en devient troublant. Il décrit la violation d'un tabou en toute tranquillité, comme un rite d'initiation parmi d'autres, comme un accident. L'image qu'il renvoie de la bourgeoisie est assez décalée, sur le plan de la sexualité particulièrement libérée (adultère, masturbations chorales, dépucelage en fratrie, etc.), et sur l'ennui qui conduit presque naturellement à cette errance.

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