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The Act of Killing

Le Vénérable W. est à ranger dans la catégorie particulièrement bien fournie des documentaires au sujet loin d'être inintéressant mais dont l'indigence du traitement nuit considérablement à l'intelligibilité du discours et amoindri tout aussi considérablement la portée du message. Le contexte actuel de crise migratoire et de conflit armé dans l'État d'Arakan invite en outre à prendre certaines précautions supplémentaires.

L'histoire d’Ashin Wirathu (le "W." du titre) couplée à celle de son pays, la Birmanie, est assez passionnante dans le portrait quelque peu déroutant qu'elle dessine. Sa pratique de la religion bouddhiste tranche de manière radicale avec la vision occidentale communément admise (et donc apaisée, méditative) qu'il faudrait d'ailleurs questionner : loin de toute forme attendue de tolérance et de pacifisme, le bonze birman prononce des sermons d'une violence aussi froide que déterminée à l'encontre des minorités musulmanes, et plus particulièrement des Rohingyas. Un appel à la haine en bonne et due forme. Comme en France, la population musulmane du pays est largement surestimée (30% contre 7% en réalité) et Wirathu s'en sert de base biaisée pour ses discours hautement nationalistes, radicaux jusqu'au fanatisme dans leur désir d'anéantir par les armes ceux qu'ils considèrent comme leurs ennemis les plus importants. Tout n'est que haine dans les prêches (ceux qui nous sont montrés, du moins) et le génocide n'est jamais loin, l'histoire du pays étant régulièrement émaillée de heurts particulièrement violents depuis le milieu du 20e siècle. Peu importe la couleur de la robe.

Le documentaire a le côté positif incontestable de tous ceux qui font la lumière sur un état de fait largement ignoré d'une partie de la population internationale (occidentale, en l'occurrence, un peu comme The Act of Killing [le billet ici], de Joshua Oppenheimer, avec les massacres de masse en Indonésie en 1965/1966). Mais Barbet Schroeder ne donne jamais vraiment l'occasion de comprendre les mécanismes de la violence, il se contente d'en faire le portrait à un instant T sans développer le contexte social qui l'a engendrée. La seule tentative de contextualisation, assez pauvre, peut se trouver dans les explications forcément vaines de ce à quoi correspondrait le "vrai" bouddhisme : on rejoint ici la thématique éternelle des "bonnes " et des "mauvaises" interprétations de textes. Le Vénérable W. se laisse même parfois aller à des séquences plutôt putassières, sur la fin, pour bien marquer les esprits (gage d'un manque de confiance dans la solidité du discours qui a précédé), en montrant des images de lynchages publics assez déplacées. À côté de ça, étrangement, des séquences très pédagogiques et presque scolaires pour expliquer de manière un peu succincte quelques éléments de contexte à l'aide de quelques cartes. Ici ou là, enfin, des musiques tout à tour empathiques ou angoissantes pour appuyer le discours (caractéristique d'un certain échec, encore une fois), accompagnées de temps à autres de bruitages de très mauvais goût.

Il manque donc à mes yeux de nombreux éléments de contexte et d'analyse pour véritablement saisir l'histoire de cette communauté musulmane, l'importance de la junte dans le cours des décisions politiques qui ont mené à la victoire législative de l'organisation de Wirathu (des lois ont récemment été votées pour restreindre les droits des minorités musulmanes). Il y a un côté purement illustratif très superficiel, trop didactique (l'exposé des faits est parfois d'une absence de recul et de discours critique sidérante), au raisonnement étriqué, flirtant dangereusement avec le manichéisme. Il manque l'autre partie de la démonstration, en quelque sorte, ainsi que les réponses à d'innombrables questions. Quelles sont les contradictions des différents mouvements et forces politiques ? Quels sont les mouvements bouddhistes contestataires, opposés à cette frange ultra-violente ? Quelle est la position d'Aung San Suu Kyi et quelles sont les raisons de son silence voire de son approbation au sujet des dernières dispositions légales ? En lieu et place des éléments de réponse attendus, la voix off de Bulle Ogier qui migre, lentement mais sûrement, vers le commentaire lénifiant prononcé d'une voix vraiment trop suave pour le sujet.