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Errances à Lisbonne

Dans le prolongement de L'État des choses qui se déroulait déjà au Portugal (et dans lequel figurait déjà Patrick Bauchau), Lisbon Story peut se voir comme une suite ou un renouvellement périphérique de la part de Wim Wenders, avec des questionnements comparables et une nouvelle mise en abyme cinématographique à l'occasion d'un film dans le film. Ici, Rüdiger Vogler, un ingénieur du son, compare son ami réalisateur Patrick Bauchau à un Dziga Vertov des années 90 avec une légère malice, en se moquant de son approche de la capture d'images — avec une caméra antique issue du cinéma muet, comme un rappel pour son centenaire.

Un film sur l'errance, en ce sens dans la lignée de beaucoup d'autres propositions de Wenders et notamment avec Rüdiger Vogler, ici dans le rôle d'un créateur-amateur de bruits et de sons qui quitte l'Allemagne (peu de temps après la chute du mur, en contemplant l'unification de l'Europe) et traverse le continent pour rejoindre un metteur en scène en panne d'inspiration au Portugal. Une carte postale énigmatique et hop, c'est parti. L'occasion pour Wenders de servir un prologue savoureux au générique, un road-trip en passant par la France et l'Espagne sur fond de radios et de musiques (Can un jour, Can toujours, surtout sur la basse de "She Brings The Rain"…). Sauf que sur place, l'ami qui a écrit la carte postale comme on lancerait une bouée de sauvetage ne pointera pas le bout de son nez : seul reste un film inachevé, des enfants de passage très curieux, et les membres du groupe Madredeus qui répètent en préparation d'une tournée internationale.

L'occasion pour Wenders de se balader dans les rues de Lisbonne jusque dans le quartier de l'Alfama (lire le billet de Clément), de disserter sur le cinéma et le pouvoir de l'image en faisant intervenir Manoel de Oliveira himself, et de lutter tant bien que mal contre la résignation de son camarade cinéaste. Si l'on ne se situe pas dans l'intensité de l'incertitude existentielle décrite par Alain Tanner dans Dans la ville blanche (1983) ni même dans les plus beaux éclats existentialistes de Wenders comme Alice dans les villes, Lisbon Story travaille une autre forme d'incertitude dans l'errance tout de même attachante.

appart.jpg, juin 2020