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Orgueil et méjugés

Jamais je ne me serais autant senti étranger à l'engouement et à l'intérêt que pourrait éventuellement présenter un film aussi populaire (au sens de l'affluence dans les salles, la barre des cinq millions de spectateurs étant en passe d'être franchie, au sens du petit milliard de dollars de bénéfices bientôt atteint, et au sens où plus de onze mille personnes ont vu ce film sur SensCritique) que ce 007 Spectre. Évacuons d'entrée la critique qui opposerait le cinéma populaire ou d'envergure au cinéma de qualité en se retrouvant tous le 24 Février pour la sortie de The Revenant (le film est sorti chez nous les Pictes le 15 Janvier et constitue un parfait contre-exemple : lire le billet). Il y a vraiment de quoi se frapper la tête contre les murs de Buckingham Palace, et je mâche mes mots, quand on constate ce qu'une telle industrie est capable de produire, ce genre de mocheté impersonnelle, dénuée de charme, pour la ridicule somme de 250 millions de dollars (budget marketing exclu). En dollars, naturellement, aucune raison de convertir ce montant en livres sterling tant la seule chose de britannique dans ce film se résume à la nationalité de certaines marques et à l'accent que certains acteurs cherchent éperdument à souligner. Bien entendu, il s'agit là d'une solide revendication, pleine et entière, le gage d'une indépendance totale vis-à-vis des sirènes hollywoodiennes.

Un cahier des charges toujours identique, bien sûr, mais là où certains James Bond récents comme Casino Royale ou Skyfall avaient réussi à insuffler la dose minimale de renouveau requise, ainsi qu'un minimum de bon goût et de sens dans une franchise qui souvent m'indiffère (poliment), ce 007 Spectre affiche de manière tout à fait décomplexée son orgueil froid et sa suffisance gerbante. L'étalage de bêtise par excellence, avec la satisfaction du clébard qui vient de déposer son petit paquet sur le paillasson. Géopolitique internationale de comptoir (alors que la thématique du "information is all" et de la collecte massive des données personnelles est d'une brûlante actualité, quel doux paradoxe), méchant tout pourri ("tu m'as volé mon papa", il faut le voir pour le croire et faire attention à ne pas s'étouffer en le voyant, ce n'est pas la balafre de Christoph Waltz qui nous aveuglera), scènes romantiques à pleurer de rire (sur le mode "non, pas le premier soir"), et pour terminer cette liste non-exhaustive déjà bien trop longue, l'anecdote qui illustre à elle seule la vanité de l'entreprise : la plus grosse explosion jamais filmée (approuvée par le Guinness book, alléluia !) qui apparaît à l'écran comme n'importe quelle autre grosse explosion en CGI. 8418 litres de carburant (notez la précision des quatre chiffres significatifs, au litre près) et 33 kilos d'explosifs (et combien de grammes ?!) pour un tel résultat, ça fait quand même cher les 7 secondes de pyrotechnie. « Tempus fugit », en effet. Ce film et cette image du cinéma sont profondément pitoyables (no offence), et seuls quelques détails tout à fait insignifiants m'empêchent de lui coller le 1/10 qu'il mériterait. Et qu'on se le dise : le plan-séquence initial, réussi au demeurant, mais véritable concentré d'esbroufe étant donnée la suite des événements, ne trompe personne.

Voilà, ça va mieux en le disant.