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Portrait discret mais imposant du désespoir

An Elephant Sitting Still est à peu de chose près la définition absolue du film intimidant. La durée : près de 4 heures. Le contexte : le réalisateur Hu Bo s'est suicidé peu de temps après avoir terminé le montage du film. Les références : Wang Bing, Béla Tarr, et Gus Van Sant figurent sur l'affiche pour vanter les qualités extraordinaires du film. Le thème : un portrait choral hautement allégorique, suivant la destinée de quatre personnages perdus dans la grisaille chinoise.

Et au-delà de ces formes d'intimidation très prosaïques, il en est une autre plus importante encore quant à la réception : avec une telle contextualisation, nourrissant fatalement des attentes conséquentes, le film a intérêt d'être sacrément à la hauteur, pour justifier de tels crédits et une telle configuration (240 minutes de douleur, ce n'est pas rien). De manière très surprenante, non sans certains écueils, le mastodonte An Elephant Sitting Still s'en sort avec les honneurs — je n'étais pas loin d'être impressionné.

Soient donc les péripéties de quatre âmes errantes de la Chine provinciale, dans une région qui semble condamnée, comme éternellement pétrifiée dans le gris du béton. Cette zone vaguement industrielle, délabrée, plongée dans la tristesse des friches péri-urbaines, pourrait sans problème représenter un décor post-apocalyptique. Des lieux profondément repoussants, source d'innombrables humiliations. La mule paraît bien chargée en matière d’accablement, mais quelques éléments permettent d'évacuer ce trop-plein de tension et d'émotion, à commencer par l'horizon qui unit les protagonistes : leur point de convergence vers Manzhouli, une ville où se trouverait un éléphant perpétuellement assis, ignorant le monde.

Hu Bo, à travers ces destins croisés, ne verse pas dans la gaieté, on peut s'en douter avant de se plonger dans le film. Cette misère et cette torpeur sapent assez vite le moral, elles en deviennent presque répugnantes dans ce qu'elles renvoient de souffrances diverses. Mais le dispositif de mise en scène disperse ses sucreries avec une maîtrise et une régularité salvatrices. On est loin de la virtuosité mielleuse et ostentatoire d'un Iñárritu (que ce soit pour la dimension chorale ou le recours au plan-séquence), on en perçoit ici très bien la logique et l'intérêt. On ressent aussi certaines répétitions, plus ou moins agréables, comme cette façon de laisser une action subsidiaire se dérouler dans l'arrière-plan flou, et disons un certain acharnement du sort à l'encontre de nombreux personnages, mais on aurait à mon sens beaucoup de mal à remettre en cause la sincérité de cette vision du monde.

Ces quatre solitudes sont terribles de sécheresse, de frustration, d'aliénation. Le ton monocorde et monochrome qui les accompagne pourra se faire un peu éreintant sur la durée, mais c'est un très beau portrait discret du désespoir.

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