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"Tell me the story of the foot soldier and I will tell you the story of all wars."

Côte 465 est un étonnant film de guerre à la lisière de l'exercice de style et de l'abstraction, réalisé par Anthony Mann au terme d'une longue période (les années 50) presque entièrement consacrée à un genre, le western. Exit le Technicolor et les paysages magnifiques des contrées sauvages américaines, place à un noir et blanc brut pour illustrer un récit antimilitariste à caractère universel. Il est bien question de la Guerre de Corée (1950 - 1953) en introduction, dernier conflit international majeur en date à l'époque, on devine effectivement des origines asiatiques du côté des soldats étiquetés comme "ennemis", mais mis à part cela, le contexte n'offre pas grand-chose de plus. Les enjeux ne se situent clairement pas du coté historique mais plutôt du côté du drame humain.

Le style épuré semble relativement intentionnel, même si on n'imagine pas un budget pharaonique derrière une configuration aussi minimaliste : ce trait presque abstrait de Mann indique d'entrée de jeu que ce n'est pas cette guerre-là qui l'intéresse en particulier, mais la guerre en général et l'homme qui s'y adonne : "Tell me the story of the foot soldier and I will tell you the story of all wars" est d'ailleurs annoncé dès la fin du générique initial. La trame scénaristique confine elle aussi à l'épure, appuyée par un aspect très série B, renforçant cette dimension de conte philosophique à l'opposé de toute démarche documentaire. Il est question d'un petit groupe de soldats américains piégés derrière les lignes ennemies, tentant dans la douleur de rejoindre une position alliée. Toute l'histoire est là, avec pour agrémenter cela une petite querelle récurrente entre deux archétypes antagoniques du soldat, représentant chacun une conception particulière de la guerre : Robert Ryan, autoritaire mais bienveillant, avec sa fausse dureté dissimulant mal la tendresse humaniste qu'il éprouve pour ses soldats, et Aldo Ray, la brute épaisse impitoyable prête à tirer sur tout ce qui bouge. Petit détail amusant, ce dernier est aux ordres d'un colonel parfaitement léthargique, en état de catalepsie totale, allégorie assez évidente d'une institution apathique et impuissante.

Avec une ossature réduite à son strict minimum, Men in War fait preuve d'une sécheresse surprenante, à l'image de la façon de filmer la découverte du premier corps inanimé. La folie et la peur gangrènent peu à peu l'ensemble de la troupe, écartant de fait l'archétype du soldat courageux et patriote. Les marques d'engagement en faveur de la dénonciation de l'absurdité de la guerre sont parfois un peu maladroites (on découvre forcément une photo de famille sur le corps d'un ennemi, des gros plans viennent régulièrement saisir les émotions sur les visages des soldats, etc.), mais le côté désespéré et frontal de la démarche contient une part non-négligeable de sincérité.

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