desir_meurtrier.jpg, nov. 2019
Émancipation par l'humiliation

Première incursion chez Imamura, et on peut dire que Désir meurtrier laissera des marques indélébiles. Pendant un moment, on peut faire le rapprochement entre le personnage de Sadako et celui interprété par Ayako Wakao dans La Femme de Seisaku (sorti un an plus tard en 1965), mais leurs trajectoires seront en réalité bien différentes : loin des sentiers du mélodrame, c'est celui d'un drame beaucoup plus insidieux et pervers qui sera emprunté ici. Ou comment une femme humiliée quotidiennement par sa situation familiale (un mari particulièrement méprisant) prendra son envol suite à une énième humiliation, extérieure, l'humiliation de trop, le viol. J'avoue tout net ne pas être à l'aise avec le discours sous-jacent, très dérangeant, mais le talent d'Imamura sur le plan formel a rendu ces 2h30 particulièrement intrigantes.

J'évacuerais bien volontiers le passage au cours duquel Sadako, victime d'une sorte de syndrome de Stockholm dégénéré, sombre dans une passion déchaînée avec la personne qui l'a violée, grosso modo après qu'il lui ait exposé sa situation personnelle bien gratinée (pauvreté, maladie, etc.). Ce mécanisme de retournement n'est clairement pas le point fort du film, en l'absence de progression un tant soit peu intelligible. Pourtant, le film conserve une originalité de ton incroyable, en alternant entre accès dramatiques et irruptions d'un burlesque insoupçonné, à l'instar de cette tentative de suicide ratée : on ne sait pas trop s'il faut en rire ou en pleurer. Dans le registre du mélodrame, Désir meurtrier (comme beaucoup d'autres dans le cinéma national) ne fait pas vraiment dans la demi-mesure : Sadako est tout de même une servante, femme illégitime d'un homme méprisable, victime d'un viol qui l'entraînera dans un malheur encore plus grand. Autant dire que c'est un exploit de parvenir à faire éclore une passion aussi ardente dans un contexte aussi glacial, renforcé par la grisaille et la neige des environs.

Graphiquement, les partis pris baroques et provocateurs du film ne peuvent laisser indifférent. La caméra prend des positions tantôt statiques (enserrant les personnages dans des cadres étroits) tantôt dynamiques (par exemple dans un lent mouvement de rotation en plongée depuis le plafond) littéralement exceptionnelles, et la mise en scène regorge de motifs récurrents qui façonne un drôle d'imaginaire, à l'image des fameux trains qui passent inexorablement dans l'arrière-plan, renvoyant la protagoniste à son immobilité. La recherche plastique a quelque chose de fascinant, dans ce noir et blanc austère et sombre, cultivant une forme d'insalubrité. Les délires avec les animaux sont en outre troublants : il y a tout d'abord les souris en cage, métaphore assez directe de la condition de Sadako avec les tours aussi inutiles qu'infinis dans la roue, mais aussi le cannibalisme de l'une d'entre elles, puis les vers à soie, au cœur de séquences étrangement érotiques. C'est difficile à l'admettre mais Sadako parviendra à s'extraire de ce contexte particulièrement oppressant à coups de traumatismes répétés, et gagnera son émancipation à la sueur de son front.

souris.jpeg, nov. 2019 dessus.jpg, nov. 2019 biblio.jpg, nov. 2019 tunnel.jpg, nov. 2019