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"Don't let them bury me!"

Dans cette espèce de croisement baroque entre le Evil Dead de Sam Raimi et Black Moon de Roy William Neill, on sent bien comment Wes Craven s'est amusé à broder une histoire fantastico-horrifique de spiritisme vaudou sur une base documentaire à vocation quasi scientifique (le scénario étant inspiré du travail de l’ethnobotaniste canadien Wade Davis au début des années 1980). De là le caractère relativement bizarre du film, dont le titre original (The Serpent and the Rainbow) annonce la composante imaginaire haïtienne, à travers une série de croyances mystiques reposant sur les pouvoirs d'une drogue puissante (la tétrodotoxine, qui peut être vue comme l’équivalent de l’ayahuasca amérindienne) et la zombification — temporaire, ou presque, en l'occurrence. Au milieu de cette bien étrange mixture, le tout jeune Bill Pullman déambule d'un pays à l'autre, entre États-Unis, Amazonie et Haïti. Sa prestation dans les rues de Port au Prince, lorsqu'il a sniffé malgré lui de la poudre magique, n’est pas loin d'être inoubliable, au même titre que sa première expérience inaugurale où il se roule dans l'herbe de la jungle en harmonie avec un jaguar.

Ce qui est étonnant dans L'Emprise des ténèbres, c'est l'omniprésence d'un tissu semi-documentaire, à savoir la situation du pays à l'époque du tournage (d’abord en Haïti après le départ de Jean-Claude Duvalier, quand le pays était aux mains de l’armée, puis à Saint-Domingue pour des raisons de sécurité), interconnecté avec un fantastique vaudou assez perturbant, jamais vraiment excessif. Sauf peut-être la dernière scène du combat contre le grand méchant sorcier qui a affreusement mal vieilli. Pour le reste, le film parvient à développer un imaginaire horrifique de très bonne tenue, avec un passage dans un cercueil très marquant (si l'on oublie l'amateurisme de la mise en scène qui fait du grand n'importe quoi avec la configuration du lieu). C'est aussi l'opposition entre deux grandes puissances, l'industrie pharmaceutique américaine intéressée par la drogue vaudou (pour le bien de l’humanité, comme toujours) qui missionne l'anthropologue d'un côté, et de l'autre la dictature qui règne d'une main de fer sur les populations pauvres, prête à concéder quelques sacrifices rituels humains pour la cause.

L'emprise graphique du film est ainsi frappante : on enterre des vivants, on tranche des têtes, on torture sauvagement, des animaux et insectes divers (araignées, scorpions, asticots, serpents) parcourent les corps, des bras s'allongent à travers les grilles des geôles pour attraper les passants... et ce visage effrayant si particulier de Zakes Mokae pour couronner le tout dans cette représentation de l'enfer. Il règne sur L'Emprise des ténèbres une tension surnaturelle plutôt bien tissée avec la politique, même si l'hétérogénéité de rythme peut dérouter. L'irruption de la milice paramilitaire des Tontons Macoutes serties de références à Duvalier par-ci et le cauchemar en embuscade à chaque coin de rue qui alimente un folklore religieux chaotique par-là : des ingrédients vraiment étranges pour le cocktail d’une horreur étouffante.

larme.jpg, juin 2020 sorcellerie.jpg, juin 2020