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Violence anémique

Regarder (et surtout apprécier) un film comme La Fille aux allumettes donne un aperçu des raisons pour lesquelles on peut ne pas accrocher à l'immense majorité des comédies contemporaines. On pourrait avoir du mal à classer ce film dans la catégorie "comédie", d'ailleurs, tant l'humour est discret, noir, acide, tant la mise en scène est sobre, tant les effets sont mesurés.

La poésie absurde qui se dégage de cet univers sinistre, voilà au fond ce qui me touche le plus dans ce registre. J'aurais quelques difficultés à expliquer en quoi je préfère cette démarche-ci plutôt qu'une autre comme dans le récent Corps et Âme, dans le registre pas foncièrement différent de la relation amoureuse contrariée traitée de manière décalée. Sans doute le côté lisse de ce dernier, alliée à la lourdeur des symboles, m'empêche d'y adhérer pleinement. Aki Kaurismäki parvient de son côté à faire le portrait d'Iris dans toutes ses aspérités, une jeune femme pétrie de mal-être, sans que la froideur ne soit absolue, comme si la chaleur de l'espoir n'était jamais bien loin. Enfermée derrière d'épais barreaux, naturellement.

Même si la contextualisation est un peu entendue, elle n'en reste pas moins efficace et bien menée. La description du monde qui entoure Iris est d'une violence aussi sourde que puissante. Un lieu de travail affreusement mécanisé et déshumanisé, des parents non loin des tortionnaires passifs et extorqueurs maladifs : c'est comme si l'humanité n'existait plus. Aki Kaurismäki prend un malin plaisir à montrer comment celui qu'elle pensait être son prince charmant (le spectateur, lui, n'aura à aucun instant placé le moindre espoir dans leur relation) se révèlera un parfait connard. Comme attendu. L'élément déclencheur d'un ressentiment aigu, l'ultime sursaut qui la poussera à anéantir tout ce qui l'a anémiée à petit feu.

La Fille aux allumettes se contente souvent de quelques plans fixes pour poser ses situations, avec un sens du décalage extrêmement bien dosé : il suffit d'une pièce vide, avec Iris dans un coin et un jukebox jouant "Brand New Cadillac", pour que le contraste tragique opère de lui-même. La solitude de la protagoniste, exploitée de tous les côtés, nous éclate au visage à intervalles réguliers. La noirceur qui en émane, tout comme le désespoir tranquille, traduit une violence en toute sobriété, d'une surprenante intensité.

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