Le sortilège du Scorpion de Jade
"Germs can't live in your blood - it's too cold."

Apprécier Le Sortilège du scorpion de jade a quelque chose de presque rassurant, sur la capacité à être agréablement surpris dans le registre de la comédie, et qui plus est dans les mailles de la filmographie de Woody Allen particulièrement bien balisée (et parcouru dans ses grandes lignes, à titre personnel). L'adhésion au contenu du film procède un peu comme un piège qui se serait refermé sans qu'on s'en rende compte : le début est à la limite de l'insupportable, avec sa reconstitution artificielle des années 40 via un scénario de simili film noir en couleur, avec des dialogues se voulant exagérément éclairés qui fusent dans tous les sens, typiques du cinéaste, et Allen himself dans un rôle qui ne semble pas particulièrement lui convenir. Combo perdant, donc, a priori. Et pourtant...

Et pourtant, au-delà des vertus comiques "classiques" qui mettent un certain temps avant de procurer les effets escomptés, la configuration parfaitement artificielle du magicien mettant sous hypnose les deux personnages qui se détestent le plus pour en faire de parfait petits robots à ses ordres cache, de manière assez habile, une mécanique parfaitement huilée qui amènera son lot de situations cocasses et d'imbroglios tordants. Et dire qu'Allen déclare avoir honte de ce film... c'est à n'y rien comprendre.

La quantité de vannes sarcastiques, vraiment cruelles par moments (Helen Hunt et Woody Allen nourrissent de profonds ressentiments, et c'est un euphémisme), est phénoménale. Le scénario a beau être très léger, l'évolution de l'enquête policière a beau être dans les choux, les sketches ont beau être un peu répétitifs, la progression des enjeux comiques est un pur régal. Les dialogues-éclairs oscillent entre l'anecdotique et l'inspiré, parfois lourd ("I hate her just like I hate that German Chancellor with the moustache."), parfois drôles ("I found the Picasso. It wasn't easy. I was looking for a woman with a guitar and it was all cubes. It took me two hours to find her nose." ou encore "A lot of women have passed through this apartment. I can't say they were all winners, but..."). On est un peu hypnotisés comme les deux lascars sous le coup des mots-clés "Constantinople" et "Madagascar" déclenchant les phases de contrôle sous hypnose. Pas d'accès de psychologie chère à Allen ici, c'est de l'humour relativement terre-à-terre, basé sur un simple subterfuge, qui voit par exemple une femme représentant l'archétype de la femme fatale ("comme dans les films", Charlize Theron dans la peau d'une Lauren Bacall ou d'une Veronica Lake) débarquer dans le lit d'un expert en assurance véreux, petit et moche.

Comme s'il y avait une fausse légèreté derrière tout ça, derrière ces schémas d'attraction-répulsion, derrière ces torrents d'insultes courtoises que s'échangent les deux protagonistes. Comme si vie réelle et vie fantasmée n'étaient pas si distantes, comme s'il suffisait de laisser parler notre nature profonde, comme si le bonheur n'était jamais très loin, à quelques mensonges près.

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