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Tour à tour voyageur, aventurier, marin, pilleur d'huître ( ! ) et romancier, Jack London est un auteur atypique. Son oeuvre est imprégnée d'un humanisme infaillible et d'un amour infini de la nature. Auteur de nombreux livres sur les animaux (L'appel de la Forêt, Croc Blanc) et d'aventure (Construire un feu, Le loup des mers), il écrit ses deux oeuvres majeures dans un style plus ambitieux : Martin Eden, et plus tard, le Vagabond des Etoiles, publié un an avant sa mort par empoisonnement, sorte de dernier cri violent.

Darrel Standing, éminent professeur d'agronomie à l'université de Berkeley, est condamné à la réclusion à perpétuité pour le meurtre d'un de ses collègues. Il est enfermé à la prison de San Quentin, non loin de San Francisco. Rapidement repéré pour ses critiques, son insolence et son insoumission vis-à-vis du système carcéral, il finit par être accusé de complot d'évasion. L'entourloupe, organisée par un co-détenu, est bien orchestrée, et ce prisonnier rebelle est le coupable parfait. Il est accusé d'avoir fait rentrer et caché de la dynamite dans la prison. Placé en cachot d'isolement, puis condamné à la peine de mort par pendaison pour avoir frappé au visage un gardien, le prisonnier raconte son quotidien dans l'enfer de San Quentin, en 1911.

« Les profanes seraient peut-être tentés de croire qu'un condamné à vie a subi le pire et que, par suite, un simple gardien n'a aucune qualité ni aucun pouvoir pour le contraire à obéir quand il lui défend de s'exprimer ainsi. Eh bien, non ! Il reste la camisole. Il reste la faim. Il reste la soif. Il reste les coups. Et l'homme enfermé dans sa cellule est totalement impuissant à se rebiffer. »

S'il ne cherche pas à s'évader physiquement, Standing tente de meubler son quotidien par la pensée. Par un ingénieux système (il tapote contre le mur de sa cellule, un coup pour "A", deux coups pour "B", ... ), il parvient à communiquer avec ses deux voisins de malheur : Jack Oppenheimer et Ed Morrel. Ce dernier lui parle alors d'une expérience qu'il a faite, pour échapper aux souffrances infligées par la camisole : la mort artificielle. Par un puissant jeu de l'esprit, aidé par la faiblesse de son corps blessé, il parvint à ce que son esprit quitte son corps, lui laissant la souffrance. Dans un état de semi-coma volontaire, il arrive alors à voyager. Darrell Standing, qui croit que tout homme n'est qu'esprit, que le corps est éphémère alors qu'un même esprit se déplace de corps en corps, au rythme des morts, y voit un puissant outil pour laisser son esprit vagabonder dans tous les corps passés qu'il a habité. 

« Dans ma main levée, je tiens mon stylo en suspens, et je songe qu'au cours de mes vies antérieures, d'autres mains ayant été miennes ont, dans les siècles passés, tenu et dirigé des pinceaux à encre, des plumes d'oiseaux taillées et tout les instruments ingénieux dont l'homme s'est servi pour écrire depuis l'antiquité la plus reculée. »

Le récit s'équilibre alors entre les aventures vécues dans les vies antérieures de Darrell Standing et la "vie" dans son cachot. Comme il ne ressent pas la douleur des jours entiers de camisole qu'il subit, il tient tête au directeur Atherton, qui se fatigue à vouloir lui faire avouer où se cache la dynamite. Le médecin de la prison s'impressionne de la résistance de ce corps meurtri. Et tous deux repoussent les limites, passant de quelques heures à plusieurs jours de camisole (un traitement invraisemblable).

« Le plus tenace en cruauté diabolique fut le Dr Jackson. J'étais pour lui un sujet rare et il était curieux de savoir combien de temps je serais capable de résister.

- Il peut tenir vingt jours encore, avant la dernière cabriole, déclara-t-il au directeur, en ma présence, d'un air suffisant.

Je lui coupai la parole.

- Vous faites erreur, lui dis-je. Je suis capable de tenir non pas vingt, mais quarante jours. Quarante jours ... Peuh ! Mettez cent jours. »

On apprend en parallèle qui fut Darrell Standing avant d'être Darrel Standing. Naufragé anglais sur une île rocheuse et déserte du nom de Daniel Foss, aventurier par hasard en Corée sous le nom d'Adam Strang, le jeune Jesse, à la conquête de l'ouest dans la caravane familiale dirigée par son père ou encore le soldat Lodborg, légionnaire romain ami de Ponce PIlate et contemporain de Jésus Christ. On est plongé tour à tour dans ces univers complètement différents, riches, par lesquels Standing fait l'expérience de l'évolution de l'homme, de la civilisation, et de sa barbarie. 

« J'étais l'homme de toutes ces naissances et ces entreprises. Je suis cet homme aujourd'hui, j'attends la mort qui m'est promise par la loi que j'ai aidé à créer il y a mille ans, et qui m'a déjà fait mourir bien des fois, bien des fois ... »

Finalement, le récit est à la fois un violent brulôt contre le système carcéral américain et une belle exploitation des possibles de l'imaginaire. Résumant très bien les idées développées dans le livre, cette dernière phrase semble reproduire de manière concise le message de London :

« Comme ils lui [Oppenheimer] demandaient ce qu'il pensait de la peine de mort - poser une question semblable à un homme qui va mourir et qu'on va voir mourir, c'est faire la preuve que le vernis de civilisation passé sur notre sauvagerie est plutôt mince! -, il leur répondit, bon joueur comme il l'avait toujours été dans sa vie :

- Messieurs, je pense vivre assez longtemps pour la voir un jour abolie...


Pour terminer sur l'histoire de ces deux prisons, deux albums live de Johnny Cash : At Folsom Prison (1968) et At San Quentin (1969), ainsi que sa célèbre chanson : Folsom Prison Blues. N'arrivant pas à joindre Johnny Cash pour l'interroger à ce sujet, je n'ai malheureusement pas (encore ?) pu établir de lien direct entre l'oeuvre de London et ces deux albums. Force est d'avouer que c'est quand même troublant ...