mains_d-orlac.jpg
Transplantation de genres

Entrer pleinement dans l'univers horrifique de cet étrange film muet, Les Mains d'Orlac, abordant le thème de greffes peu orthodoxes en apparence, nécessite quelques ajustements de taille. D'entrée de jeu, on peut être viscéralement rebuté par le jeu très outré des principaux acteurs, tant ils en font des tonnes pour figurer à l'écran l'effroi ou le malheur de leur condition. Même replacées dans le contexte du cinéma muet des années 20, certaines séquences restent difficiles à appréhender : si les atermoiements de Conrad Veidt dans le rôle du personnage dont les mains composent le titre restent compréhensibles et relativement cohérents, on ne peut pas toujours en dire autant de ceux de sa femme, interprétée par Alexandra Sorina, qui n'en finit pas de hurler (en muet, heureusement) son désespoir, de s'effondrer, ou de pleurer en très gros plans. La parodie du mélodrame expressionniste n'est jamais loin dans ces moments-là. Il faut également mettre de côté l'accompagnement musical réalisé en 2017 (dans la version vue en tous cas), bien trop expressif, trop envahissant, trop dissonant.

Mais si l'on parvient à passer outre cette outrance, l'histoire de ce pianiste aux mains greffées après les avoir perdues dans un accident de train peut s'avérer passionnante. L'horreur est d'une dimension bien différente de celle (au hasard) du Nosferatu de Murnau sorti deux ans auparavant, elle s'invite vraiment dans un genre bien distinct, à savoir le drame on ne peut plus classique avec la destinée brisée d'un grand artiste et la malédiction qui le suivra jusqu'à la fin du film (qui revêtira la forme d'un étonnant happy end). Le cœur de l'horreur est très simple : les mains qu'on lui a greffées sont celles d'un abominable assassin fraîchement exécuté.

La teneur psychologique d'une telle configuration peut faire sourire (comme souvent dans une grande partie du cinéma d'horreur), tant les mains semblent à elles seules diriger le personnage tout entier. Il suffira d'un mot habilement glissé sur son lit d'hôpital pour que le protagoniste soit profondément terrifié par celles-ci, et il suffira d'une révélation quasi-finale pour que cette manipulation presque démoniaque prenne subitement fin. Mais en regardant le film de manière rétrospective, fort de ces révélations sur le personnage de marionnettiste qui agissait dans l'ombre durant tout le film en manipulant le pianiste, on comprend un peu mieux pourquoi son chemin vers la folie était si parfait. L'angoisse nous est parvenue par les sentiers de l'horreur, avec toute une série d'images expressionnistes très explicites (des visages menaçants qui apparaissent à la fenêtre, des mains en surimpression qui saisissent les personnages, des regards insistants et effrayants, etc.), mais elle se refermera sous l'angle du drame psychologique. De nombreuses séquences impressionnent encore aujourd'hui de par l'ampleur de leur mise en scène, à commencer par le passage de l'accident de train et la suite immédiate, avec la gestion de la catastrophe et des blessés, à la lumière de nombreuses torches. Et sur une note plus (involontairement) humoristique, on peut relever la présence d'un super-héros enquêteur, capable d'identifier le propriétaire d'empreintes digitales laissées sur un couteau... à l'œil nu.

lit.jpg orlac.jpg tete.jpg