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Misères et meurtrissures du mariage

Trois ans après Nashville et quinze ans avant Short Cuts (pour ses incursions les plus célèbres dans le registre du film choral), Robert Altman s'adonnait encore une fois au genre qu'il semble affectionner tout particulièrement, celui qui nécessite la direction d'une troupe conséquente de protagonistes et sur lequel sa réputation s'est bâtie. Il faudrait presque inventer une nouvelle location pour Un Mariage tant l'étendue du chœur est impressionnante ici : près d'une cinquantaine de personnages se partage les deux heures de bobine de manière presque équitable, des personnages d'importance à peu près égale, s'agitant désespérément devant la caméra au cours d'une cérémonie de mariage qui n'en finira pas d'en révéler tous les travers possibles et imaginables, tout le potentiel de compromission.

Si l'institution est bien sûr attaquée de front et détruite dans la joie et la bonne humeur par une série de sarcasmes aussi vigoureux qu'incessants, c'est à travers la quantité incommensurable de petits arrangements induits par un tel mariage qu'Altman délivre l'essentiel de sa charge satirique. Un Mariage, c'est l'union impossible dans ses termes de la vieille aristocratie et de la nouvelle bourgeoisie, dont le caractère bancal est intronisé dès les premiers instants via une messe gâteuse donnée par un évêque mi-sénile mi-décrépi, en pleine dépossession de ses moyens. De l'église au manoir familial, la cohorte de personnages déplacera sa mauvaise foi et ses turpitudes en refusant constamment d'affronter les antagonismes naturels avec courage et de regarder la réalité en face : de la mort de la grand-mère (sous les traits charismatiques de Lillian Gish) à la nymphomanie de la sœur de la mariée (Mia Farrow totalement à l'ouest), tous refusent obstinément de constater ce qui est évident, de prendre conscience du fait accompli, de poser un regard franc sur ce qui est exposé en pleine lumière.

Un Mariage a les défauts de ses qualités, à savoir la profusion de portraits à charge dépeignant un tableau bourgeois d'une hystérie globale assez prononcée. Mais on ne sent jamais vraiment Altman sermonner, faire la morale, ou s'embarquer dans de vaines conjectures psychologiques. Seul compte le cœur de la mécanique comique, l'hypocrisie des uns et la bassesse des autres s'assemblant dans un fatras qui vire à l'exercice de style — parfaitement maîtrisé, toutefois : l'aisance dont témoigne Altman pour naviguer à travers ce joyeux bordel est évidente, palpable. Dans ce flux de détresse et de meurtrissures, misère intellectuelle et misère affective se marient dans une symphonie magistralement et délicieusement cacophonique.

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