« What happens when an essayist starts imagining things, making things up, filling in blank spaces, or — worse yet — leaving the blanks blank? »

John d'Agata, The Next American Essay

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Les réacteurs américains sont inefficaces à 97% ce qui signifie qu'entre le moment où on place une barre de combustible dans un réacteur nucléaire et celui où on le retire, il conserve 97% de sa radioactivité. Alors il a fallu imaginer un projet d'enfouissement de ces déchets radioactifs. C'était «  Yucca Mountain ». À 140 km de Las Vegas. Projet prévoyant de construire 160 km de galeries à l'intérieur de la montagne et, en l'espace de quarante ans, de les remplir avec 77000 tonnes de déchets nucléaires, puis de sceller et de fermer la montagne jusqu'à leur décomposition.

Le livre retrace le parcours politique et scientifique du projet qui a vu ré-interpréter un problème de millions d'années dans une solution ramenée à 10.000 ans (un bel acte de foi aux générations futures), ainsi que l'histoire tragique de Lévi Presley - un garçon qui a sauté de la tour « Stratosphere » à Las Vegas - et la connexion de sa mort avec la propre expérience d'Agata répondant aux appels de personnes au bord du suicide sur une ligne d'écoute. Le récit avançant sur plusieurs niveaux à la fois se tient sur une ligne tendue entre le documentaire et la fiction, un travail de journalisme libéré de ses contraintes rigides mais qui s'attache férocement aux faits comme en rend compte les 131 notes en fin de livre.

Il est clair que si j'attire l'attention sur quelque chose qui fait sens en apparence, il est possible qu'il n'y ait là rien de vrai. Nous perdons parfois notre connaissance en cherchant l'information. Nous perdons parfois notre sagesse en cherchant la connaissance.

Il fournit des rapports de médias, des avis d'experts et des reportages à la première personne. Il donne des statistiques, des calculs et des projections (ses scénarios prospectifs sont simplement fascinants), il cite des documents de politique et se plonge dans les études scientifiques et universitaires. Également mélangés parmi des références littéraires, et artistiques comme les quelques pages où il convoque Le Cri de Edvard Munch (figure qu'on retrouve en illustration de couverture sous la forme des isoclines de cette carte factice d'une montagne), il juxtapose ces éléments connexes sans jamais freiner le récit. Tout fait sens. 130 pages plus tard, on ressort du livre scotché et admiratif en songeant à la tension dramatique insufflée au récit, et à la singulière façon de cet écrivain de réexaminer non seulement où nous sommes, mais aussi où nous avons été, et où nous allons.

Tout au long de cette lecture, on rit, souvent d'un rire jaune face à la méchante farce humaine qui œuvre autour du projet Yucca Mountain. A ce propos, voici ce que John D'Agata dit lors d'une lecture de son essai à des jeunes étudiants américains en 2010 :

« Do not be afraid to laugh at the absurdities, though by no means feel I am pressuring you to laugh »


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