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Portraits en miroir dans les bas-fonds

Chien enragé peut très facilement se voir comme une œuvre à la croisée du film noir américain et du néoréalisme italien, et ce surtout à travers sa première partie qui voit l'inspecteur Murakami (Toshirō Mifune, sans sa barbe mais coiffé d'un béret et toujours avec une grande classe, peut-être plus que dans Entre le ciel et l'enfer) parcourir les bas-fonds de Tokyo à la recherche d'un criminel. Cette premier séquence a clairement une vocation de pseudo-documentaire, avec de nombreux plans dans les rues et au milieu de la population, et son dynamisme est sans cesse entretenu par un montage efficace ne laissant pas une seconde de répit, avec parfois plusieurs images (les pas de l'inspecteur, son visage tendu, et des gens dans la rue) en surimpression. Pas une ligne de dialogue pendant de longues minutes, l'immersion est totale.

L'idée affichée est de proposer une réflexion sur le Japon d'après-guerre (énoncé en français dans le texte entre Mifune et Takashi Shimura, moment assez drôle) et sur le conditionnement des êtres que cette situation induit. Le propos du film, énoncé lui aussi de manière explicite, c'est une nation détruite physiquement et moralement par la guerre conduisant à la production de deux types de personnalités. L'inspecteur et le truand qu'il poursuit sont en réalité les deux faces d'une même pièce, et tout le film s'attachera à dépeindre indirectement cette ambivalence, jusqu'à la scène presque finale où les deux sont allongés dans l'herbe, au milieu des fleurs, comme deux jumeaux. Comme un avant-goût, plus poétique mais beaucoup moins travaillé, des reflets qui finissent par coïncider sur la vitre séparant deux hommes lors de leur dernière confrontation dans Entre le ciel et l'enfer.

Mais le film est principalement focalisé sur une enquête criminelle, et tout ce qui y a trait (y compris les atermoiement répétés du protagoniste au sujet de son arme perdue) peine à vraiment passionner, comme si cette trame s'étirait un peu trop inutilement. Le climat caniculaire est par contre très bien rendu, dans toute sa dimension suante et asphyxiante, et l'autopsie de la société japonaise dans la fournaise aurait pu être encore meilleure si elle avait été un peu moins diluée dans l'intrigue policière à rallonge. L'idée de l'opposition entre les deux trajectoires du flic et du bandit, réunies dans leur sentiment de rejet plus ou moins conscient de la société japonaise d'alors et dans leur volonté d'échapper à la misère, peut apparaître un peu forcée par endroits. Il y a un côté répétitif dans la progression de l'intrigue, aussi, avec une succession d'enquêtes / confrontations /révélations, qui rend le temps un peu long.

On peut ceci étant dit conserver en mémoire la scène finale du face à face, au terme de leur course, comme un miroir dans les sous-bois : elle reste magnifique (et le film, plus généralement, est d'une maîtrise technique parfois bluffante). Une conclusion on ne peut plus éloquente, comme souvent chez Kurosawa.

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