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"Je ne m'en suis pas mêlé car je trouvais Kinski plutôt doux, comparé à ses crises habituelles"

Ennemis intimes est une semi-déception. Mon obsession herzogienne qui a lentement mûri au fil des années et cette façon désinvolte faussement neutre qu'a Werner Herzog de parler du fou Klaus Kinski m'empêchent de ne pas l'apprécier un minimum, mais il n'y a pas dans l'ensemble du documentaire la folie géniale contenue dans une page bien choisie de Conquête de l'inutile, par exemple. C'est d'ailleurs assez drôle de voir Herzog évoquer et montrer en 1999 ses notes sur le tournage de Fitzcarraldo (1982), récit apocalyptique à l'origine du livre, recueillies dans un petit carnet farci d'une écriture microscopique qu'il aura mis près de 30 ans à exhumer et publier. Un contrepoint intéressant au documentaire de Les Blanck, Burden of Dreams.

Mais voir la folie de Kinski dans le feu de l'action, en images directes, reste très impressionnant. Je n'ai sur ce point précis aucun mal à croire Herzog quand il affirme que Kinski agissait ainsi pour se mettre sur le devant de la scène, dès que le centre de l'attention lui échappait, quand quelqu'un avait le malheur de se couper le pied à la tronçonneuse après une morsure de serpent ou quand un avion s'écrasait dans la jungle non loin du tournage... Il fallait toujours qu'il soit le point focal du film et de son tournage, quitte à engueuler comme du poisson pourri le directeur de production Walter Saxer à cause de la qualité de la nourriture servie au milieu de la jungle. Mais à titre personnel, et comme le ressentiront les Indiens du tournage (qui proposeront tout de même à Herzog d'éliminer sur simple demande l'acteur fou), la fureur manifeste de Kinksi est au moins égale à l'intériorisation calme de Herzog, dont l'impassibilité sur certaines images est exacerbée par une voix off en décalage total précisant "je ne m'en suis pas mêlé car je trouvais Kinski plutôt doux, comparé à ses crises habituelles".

Une chose est sûre, il y a dans les tournages des films présentés ici la folie d'un cinéma qui n'existe plus. Les accidents qui émaillent certaines scènes, comme celle du bateau lancé sur un fleuve amazonien particulièrement agité, sont stupéfiants. Des conditions inimaginables aujourd'hui, évidemment, heureusement ou malheureusement. La comparaison de la séquence du clocher, avec d'un côté la version avec Jason Robards et Mick Jagger et de l'autre celle avec Kinski, est intéressante car elle permet de voir par contraste ce que l'acteur allemand parvient à manifester sans vraiment l'exprimer verbalement.

La hauteur du documentaire reste toutefois bienvenue : Herzog trouve la position intermédiaire parfaite, désamorçant toute forme d'opportunisme, éloignée à la fois du panégyrique posthume et du règlement de compte funèbre. L'image finale est bien sûr extrêmement marquante, à l'issue d'un tel témoignage, montrant Kinski jouer avec un papillon tandis qu'il arbore un visage devenu presque enfantin. Un instant de grâce impromptu qui survient après la dernière séquence de Cobra Verde, qui voyait Kinski s'effondrer dans les flots, mort d'épuisement. L'absence de dimension psychologique chez Herzog, comme une forme de matérialisme cinématographique, est parfois troublante.

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