hirondelle_et_la_mesange.jpg, juin 2020
Rivière sans retour

L'Hirondelle et la Mésange vient rejoindre le cortège formé par La Belle Nivernaise (1924, Jean Epstein), L'Atalante (1934, Jean Vigo) et Sous les ponts (1946, Helmut Käutner) dans le registre des romances fluviales caractérisées par une grande tendresse et marquées par une poésie s'exprimant à chaque fois dans des cadres stylistiques, temporels et géographiques bien distincts. L'histoire, très originale ici, d'un batelier naviguant sur les canaux reliant Anvers au Nord de la France à bord d'un assemblage de deux péniches (les deux oiseaux du titre) dont il est le propriétaire avec sa femme et sa belle-sœur. Petite spécificité familiale : pour arrondir les fins de mois, le bateau sert de support pour convoyer des diamants en provenance de divers trafics, soigneusement dissimulés au niveau du gouvernail durant leur acheminement à travers la frontière franco-belge.

Mais cette histoire n'a pas pu émerger à l'époque de sa réalisation (et n'a failli jamais émerger), en raison d'un distributeur frileux quelque peu effrayé par un contenu qu'il considérait comme démesurément documentaire, par opposition au mélodrame fictionnel, à une époque où le genre n'était pas du tout constitué et où ces aspects liés au témoignage n'étaient pas universellement intelligibles. Il faudra attendre plus de 60 ans pour que les négatifs soient redécouverts et enfin dûment exploités.

André Antoine (encore un qui devait toujours manger en premier à la cantine) s'est ainsi donné beaucoup de mal pour filmer la vie sur une péniche, avec des points de vue aussi nombreux que variés, que ce soit le long de paisibles travellings parallèles aux berges qui regardent la vie au bord des canaux ou lors des passages fréquents de ponts mobiles (se dressant ou se tournant de toutes les façons imaginables). Le pilote que le patron embauche pour l'aider dans ses tâches physiques, qui révèlera ses véritables intentions après une longue période d'acclimatation et de prise d'informations, est interprété par Pierre Alcover, un colosse à la présence assez incroyable — du moins lorsqu'il avait 27 ans... Un peu comme dans La Belle Nivernaise qui se terminait sur le mariage, flirtant avec l'amoral, de deux personnes considérées comme frère et sœur, L'Hirondelle et la Mésange adopte une trajectoire étonnante puisque le pilote qui était destiné à la belle-sœur finira obnubilé par la femme de son patron : une longue séquence effleurant l'érotisme (voire franchement érotique pour l'époque) qui voit la femme s'enrouler le buste d'une broderie agira à ce titre comme un ensorcellement. Le début d'un ultime segment, orientée vers la tragédie et le silence des eaux.

À travers le réalisme des situations (à l'origine de sa quarantaine qui dura 60 ans), la poésie diffuse, le tournage en extérieur qui refuse nettement le studio (par opposition à un Louis Delluc par exemple), le détour par l'Ommegang belge (un cortège folklorique qui n'avait lieu à Anvers que tous les 25 ans) ou encore l'interprétation des acteurs qui brillent par leur sobriété à une époque qui favorisait exactement l'inverse, L'Hirondelle et la Mésange développe une étonnante forme de modernité. Déroutante hier, appréciable aujourd'hui.

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