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En juin 1953, Nicolas Bouvier, jeune écrivain et photographe suisse âgé de 24 ans, part en Fiat Topolino vers l'Orient. Accompagné de son fidèle ami, le peintre Thierry Vernet, il traverse la Yougoslavie, la Turquie, l'Iran, le Pakistan et l'Afghanistan jusqu'à la Passe de Khyber. Son carnet de voyage, L'Usage du Monde, raconte leurs aventures à travers ces vastes pays. 

Si L'Usage du Monde est si remarquable, c'est parce qu'il parle plus du voyage que des paysages, plus des hommes que des tableaux. Nicolas Bouvier est le seul à avoir vraiment voyagé. Il a donné à son voyage un sens profondément humaniste. Grâce à la lenteur de leurs avancées, qui était le principal souci des deux acolytes, et au dépouillement de soi dont ils ont fait preuve, ils se découvrent eux-même et l'aventure devient alors nettement spirituelle. 

« On ne voyage pas pour se garnir d'exotisme et d'anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives. »

Partis avec de quoi vivre 9 semaines, ils arpentent les routes au rythme des rencontres, des réparations de leur voiture et des intempéries. Le sentiment qui transpire de ce livre est l'humilité. Leur immense pauvreté sur la route ne leur donne qu'un salut : l'Autre. À travers ces expériences fondatrices, Bouvier nous livre des réflexions sur la vie et sur l'Humanité toute entière.

« Finalement, ce qui constitue l'ossature de l'existence, ce n'est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d'autres diront ou penseront de vous, mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l'amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la hauteur de notre faible cœur. »

Les expériences vécues sont riches, intenses et parfois dangereuses. Ils n'hésitent pas à se poser plusieurs mois à Tabriz, en Iran, car la ville leur plaît. On est alors plongé dans le quotidien de la ville, les cours de Français que Bouvier tente de donner aux indigènes (1).

Bouvier, qui est l'auteur de nombreux récits de voyages postérieurs à L'Usage du Monde, semble habité par le voyage, comme attiré vers ces plaines et ces villes. Mais non par un désir de voir, mais par un désir absolu de vivre et de raconter ces expériences du vide et de la solitude, du mouvement et du contact. 

« Ce jour là, j'ai bien cru tenir quelque chose et que ma vie s'en trouverait changée. Mais rien de cette nature n'est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr. »

Les voyageurs de la trempe de Nicolas Bouvier sont rares. L'Usage du Monde est une œuvre d'une valeur inestimable, pédagogique et libératrice. Elle a la simplicité et la profondeur de son auteur, et porte en elle la beauté de notre monde.

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(1) J'en profite pour redonner à ce terme sa signification première, qui ne fait pas de jugement de valeur. Ces relents de colonialisme et racisme sont insupportables.