Non contents d'avoir redonné vie au grand reportage avec la revue XXI (que j'avais présentée dans ce billet), Patrick de Saint-Exupéry et Laurent Beccaria continuent leur coup de balai sur l'univers aseptisé de la presse avec une nouvelle revue : 6 Mois. Avec eux, le photoreportage renaît.

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Reprenant les recettes qui font le succès de XXI avec un design original et une qualité de contenu inégalée, 6 Mois est paru pour la première fois au printemps 2011. Le biannuel réussit à passionner le lecteur avec des reportages photos variés, fouillés et saisissants. 6 Mois soigne la forme avec un papier glacé et une impression de belle qualité. Les photos sont ainsi mises en valeur et le support ne contraint pas la lecture. Même remarque que pour XXI : le prix qui peut paraître élevé — 25 euros — est la juste valeur d'un travail accompli, profond et large (plus de 300 pages). Je présente ici la revue à travers son numéro 2 paru à l'automne 2011. Un numéro plus récent vient néanmoins de sortir, à vos librairies !

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Les rubriques sont moins variées que dans XXI : la revue s'articule autour d'un triptyque (ici, sur des destins de femmes). Sinon, on retrouve une photobiographie (Vladimir Poutine), un entretien avec un photographe (David Goldblatt, grand photographe sud-africain qui a voué sa vie à photographier son pays à travers les évolutions de sa société, sans jamais se perdre dans l'actualité) et des récits variés. Les photographies sont souvent accompagnées d'une courte légende qui permet au lecteur de comprendre le contexte et le sujet. Comme dans XXI, les travaux sont conclus par un texte d'approfondissement : interview du photographe, d'un des sujets, dossier sur le contexte ...

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Le triptyque de ce numéro aborde le thème de la femme. On y retrouve un reportage sur les femmes Cosaques, membre d'une école militaire qui tente de redonner vie à ces peuples cavaliers et guerriers. On y découvre un contexte géopolitique complexe et des relations avec la Russie ambigües. 

Le deuxième récit dresse le portrait de Cecilie, jeune cadre danoise, qui décide de partir à Katmandou sauver une enfant orpheline touchée d'un cas rare et grave d'hydrocéphalie dont elle a vu la photo dans un journal. On y découvre le sort terrible de ces enfants dont on attend la mort par manque de moyen. Pourquoi Cecilie n'a-t-elle pas tourné simplement la page comme beaucoup l'auraient fait ? Une belle plongée dans les paradoxes de notre monde occidental et de ses individus. 

Le dernier récit, illustré ci-dessus, raconte l'histoire de ces femmes venues de l'Est qui viennent en Italie pour travailler comme badanti, dames de chevet. Elles laissent souvent famille et mari pour venir gagner de l'argent en s'occupant des personnages âgées et seules dont regorge l'Italie, à la population vieillissante. Elles sont roumaines ou géorgiennes et racontent leur histoire.  

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Parmi les autres récits, difficile d'en choisir un et inconcevable d'en faire une liste exhaustive : le lecteur curieux préfèrera se laisser surprendre. De la bourgeoisie huppée de New-York aux prisons de la drogue en Birmanie, les sujets passionneront votre regard et questionneront vos certitudes. 

J'évoque ici plus en détail le travail de Venetia Daerden qui s'est plongée dans l'univers intemporel du Somerset, cette région du Sud-Ouest de l'Angleterre où gitans, hippies et jeunes en quête de la terre viennent y chercher la liberté d'une vie rurale et partagée. On y croise des familles vivant dans des roulottes et d'autres habitants la maison de leurs ancêtres. Tous sont épris d'un amour de ces paysages sereins, d'un respect profond pour la nature et le travail de la terre. Un voyage déconcertant et bouleversant. 

Toute tentative de décrire plus en profondeur ces travaux photographiques souvent issus d'années et d'années de travail, de présence et de rencontres serait vaine. Si le photoreportage se doit d'exister, c'est qu'il dit l'indicible. Il est en cela bien supérieur au reportage de presse classique car il touche tous les domaines de notre émotivité. Comme disait Cartier-Bresson, la photographie, c'est « mettre sur la même ligne la tête, l'oeil et le coeur ».