bill_douglas_trilogy.jpg

Une enfance écossaise

En regardant la "trilogie Bill Douglas", on se dit qu'on tient là un maillon essentiel du cinéma britannique, annonçant le réalisme social à venir (Mike Leigh, Ken Loach) et prenant ses distances avec l'esthétique pop du Swinging London de la fin des années 60. À travers le personnage de Jamie (Stephen Archibald, un gamin en haillons que le réalisateur rencontra par hasard dans la rue en repérage pour le film), c'est sa propre enfance sauvage et chaotique qu'il filme, dans les tristes bassins houillers du Sud de l'Écosse. Avec des acteurs non-professionnels (Bill Douglas revendique l'héritage de Robert Bresson), en trois courts-longs-métrages (48, 55, 72 minutes), on oscille entre la dimension autobiographique du récit d'apprentissage et le témoignage d'une époque révolue, celle du Royaume-Uni dans l'immédiat après-guerre.

Situé dans un petit village de mineurs près d'Edinburgh, le premier volet (My Childhood) suit les pérégrinations de Jamie, huit ans, avec son demi-frère et sa grand-mère. La narration éclatée semble saisir les souvenirs du réalisateur écossais au vol, les ellipses s'enchaînent et s'articulent autour des fragments de sa mémoire. Entre la bienveillance de sa grand-mère maternelle du premier film et la méchanceté de sa grand-mère paternelle dans le second (My Ain Folk, c'est-à-dire "mes parents" ou "ceux de chez moi" en Anglais écossais), le seul dénominateur commun semble être l'extrême pauvreté d'une enfance humiliée, comme volée. Les seuls moments de réconfort, il les trouvera auprès d'un prisonnier de guerre allemand à qui il apprenait l'Anglais avant que celui-ci ne parte travailler ailleurs.

My Childhood (1972) et My Ain Folk (1973) portent un regard d'enfant sur un monde d'adulte, celui des bastions industriels anglais dans les années 40, avec leur violence et leur âpreté. On en vient à se demander si elle était bien différente de celle du Pays de Galles au 19ème siècle, telle qu'elle était retranscrite dans Qu'elle était verte ma vallée de John Ford. C'est un regard enfantin mais loin d'être naïf, très cru, très dur, mais loin d'être misérabiliste. On pourrait presque apprécier ces films en tant que réels témoignages s'il ne s'agissait pas de l'histoire "fictionnalisée" de Bill Douglas. Le choix de Stephen Archibald dans le rôle de Jamie est à ce titre un excellent choix : on sent et comprend bien qu'il ne force ni n'invente beaucoup pour donner à voir une forme de dénuement extrême qu'il a probablement vécu lui-même.

screen5.jpg

Puis vient le temps de My Way Home (1978), toujours avec le même acteur dans le rôle principal, maintenant âgé de 18 ans. Des bas-fonds miniers que Margaret Thatcher ne tardera pas à démanteler (avec pour conséquence la grève des mineurs de 84-85 et la transformation durable des syndicats au sein du Royaume-Uni), Bill Douglas filme une renaissance à travers son voyage en Égypte au cours de son service militaire. Un récit beaucoup plus linéaire, moins fragmenté, comme si les souvenirs étaient plus précis. La pauvreté et la mort omniprésentes dans les deux premiers volets laissent place à une relation amicale qui prend la forme d'un salut. Mieux, ce troisième et dernier segment éclaire d'un jour nouveau les bribes de souvenirs exposés 5 et 6 années avant.

On ne saura jamais à quel point cette trilogie est partielle (les ellipses sont nombreuses) et partiale (la grand-mère paternelle semble moins aisée et moins méchante dans le dernier volet). Le style narratif est assez déroutant dans l'ensemble et ces trois heures s'avèreront particulièrement exigeantes : elles pourront par moments avoir raison de l'excellent travail sur l'esthétique du Noir et Blanc. Bill Douglas clôt le récit de son enfance sur des images des décors du début, vides. Puis sur celles de pommiers en fleurs, nous rappelant qu'il n'aura plus jamais à voler pour manger ou mendier pour vivre. Grâce à son ami rencontré en Égypte, il a réussi à s'abstraire de sa condition d'enfant pauvre et s'envoler loin des quartiers insalubres de ses huit ans.

screen1.jpg screen3.jpg
screen2.jpg screen4.jpg