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Chant du cygne égyptien

Un bien curieux fragment du cinéma égyptien — précisément parce que je n'en connais quasiment rien : au-delà de quelques aperçus de la production contemporaine (Les Derniers Jours d'une ville, notamment), c'est le néant total au 20ème siècle. Autant dire que la découverte d'un tel mélodrame des années 50, contenant une partie des codes du cinéma classique occidental de la même époque colorés d'éléments appartenant à la culture égyptienne, produit un effet vraiment très particulier.

Les standards en matière de violences (en l'occurrence ici familiales et conjugales) varient en nature et en intensité, à mesure que l'on parcourt la planète. Au cas où on en aurait douté. Les péripéties qui alimentent la composante liée à la tragédie sont ici particulièrement denses et effroyables, même lorsqu'elles sont traitées par suggestion, par des ellipses. Elles forment un récit presque autonome : l'assassinat d'un père de famille qui pousse mère et filles sur la route, le "déshonneur" de la grande sœur (signifiant qu'elle a été violée par l'homme chez qui elle travaillait comme bonne), le meurtre de celle-ci par son oncle afin de laver l'honneur de la famille, et enfin l'arrivée de la seconde sœur Amna dans le même environnement, prise dans le même engrenage, qui constituera la dernière et essentielle partie du film. Les quelques moments de bonheur, d'insouciance ou de romance (parfois rappelés dans un élan mélancolique par le chant de l'oiseau éponyme), clairement, peinent à équilibrer la balance des sentiments : elle penche très fortement en direction du sordide.

La principale originalité du Chant du courlis, indépendamment de ses particularités culturelles, réside dans la dynamique de ces sentiments puisqu'à l'inverse d'un schéma classique, la jeune Amna passera d'une volonté de vengeance à de l'amour pour celui qu'elle comptait anéantir. En filigrane, aussi, bien sûr, le portrait de la société égyptienne dans les années 50 : les paysans et les citadins, les riches et les pauvres, les hommes et les femmes comme autant d'antagonismes sociaux. La haute société égyptienne, qui bénéficie d'une aisance matérielle contrastant avec le sort des femmes protagonistes, est représentée à travers les figures du chef de la police et de l'ingénieur, symboles de modernité qui permettront à Amna, dans une certaine mesure, de s'émanciper. L'affrontement entre deux parties de la société égyptienne, avec d'un côté des valeurs islamiques très conservatrices (concentrées dans le personnage de l'oncle) et de l'autre un univers musulman plus moderne et progressiste, inonde tout le récit.

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