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Mexico recule devant les cartels
« Guerre contre la drogue »
Jean-François Boyer (journaliste, envoyé spécial)

La campagne présidentielle mexicaine du début du mois a été marquée par un mouvement étudiant inédit dénonçant le soutien des grands médias privés à M. Enrique Peña Nieto, le candidat du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre droit). Elle a surtout confirmé la préoccupation principale de la population : survivre à la violence quotidienne déchaînée par le trafic de la drogue.

culte_sainte_mort.jpgMiss Bala (film de Gerardo Naranjo chroniqué ici) traitait le sujet sous la forme d'une métaphore, où l'héroïne incarnait cette population prise en otage, prisonnière d'une violence omniprésente, acculée entre les narcotrafiquants et la police. La revue XXI (présentée ici par Clément), dans son numéro 18, s'attarde aussi longuement sur l'enfer très ordinaire des habitants de Ciudad Juárez, à une centaine de mètres d'El Paso, au Texas, où la vie suit son cours malgré les assassinats quotidiens. Selon le département d'État américain, en 2011, 95% de la cocaïne aux États-Unis passait par le Mexique. Un marché en plein essor qui ne connaît vraiment pas la crise...
Depuis 2006 et la réélection de Felipe Calderón — soucieux de redorer son blason terni par des accusations de fraude électorale —, 400 000 policiers et 50 000 soldats sont mobilisés dans une « guerre » contre le trafic de drogue qui menace aujourd'hui l'État mexicain. Les cartels, qui disposent désormais d'un armement lourd, n'hésitent plus à affronter les convois de l'armée de terre dans les régions qu'ils gouvernent de fait. Entre 2006 et 2011, 2888 soldats, marins, policiers et agents des services de renseignement ont été tués, avec un très fort pourcentage de policiers municipaux. Même si les premières victimes du crime organisé sont les polices, il assoit sa domination au cœur des populations par la terreur. En septembre 2011, 35 corps sans vie ont été retrouvés devant un grand centre commercial de Veracruz. Les tueries reprirent en novembre, avec 16 cadavres calcinés à Culiacán et 26 corps abandonnés en plein centre de Guadalajara, la deuxième ville du Mexique. Depuis quelques années, les compteurs du sordide s'affolent et totalisent plusieurs milliers de morts par an.

L'offensive de M. Calderón se sera donc retournée contre l'ordre institutionnel qu'elle prétendait défendre. Les narcos ont prouvé ces dernières années que, avec ou sans la complicité active du pouvoir, ils étaient capables de mettre l'État en échec et de contrôler une grande partie du territoire. Les conséquences politiques ne se sont pas faites attendre, puisque lors de la campagne présidentielle de 2012, la société tétanisée semblait s'être ralliée à l'idée de ramener le PRI au pouvoir : lui seul serait capable, dit-on, de négocier avec les narcos et de ramener la paix... Se souviendra-t-on de la présidentielle de juillet 2012 comme de la première tentative des cartels de remporter une victoire sur la démocratie ?


Dossier : Tourisme, l'industrie de l'évasion

Voici venu l'été... L'occasion pour le Diplo de produire un excellent dossier sur le tourisme.

Jusqu'au début du XXe siècle, seules certaines franges de la haute société pouvaient partir à la découverte du monde. Si le séjour à l'étranger n'a pas perdu sa vocation distinctive (Du « grand tour » à Sciences Po, le voyage des élites, par Bertrand Réau), le tourisme a cessé d'être l'apanage des plus riches. Mais on peut encore aujourd'hui opposer la « double présence » des étudiants occidentaux qui sont à la fois soutenus à l'étranger et attendus chez eux, à la « double absence » des immigrés, évoquée par le sociologue Abdelmalek Sayad, qui partent vers un horizon incertain et qui, après s'être heurtés à la réalité de la société d'arrivée, doivent retourner chez eux sans en avoir nécessairement retiré un avantage, l'absence étant parfois synonyme d'exclusion des relations sociales locales.

Le tourisme alimente une nouvelle industrie qui conduit à des déplacements massifs de population, comme en Chine (Quand les Chinois découvrent les joies de la villégiature, par Pál Nyíri). Mais la conquête du temps libre a-t-elle pour autant tenu ses promesses d'émancipation (Oisiveté bien encadrée, par Philippe Bourdeau et Rodolphe Christin) ? Rien n'est moins sûr, tant l'usine à rêves alimentée par l'Organisation mondiale du tourisme (OMT) participe à cette perspective de l'industrie culturelle hollywoodienne du divertissement, avec cette « mondialisation ludique » (sic), facteur d'une « libéralisation à visage humain » (re-sic) et vecteur d'un « ordre touristique mondial » (re-re-sic)...

Enfin, contrairement à un mythe tenace, les vacances des Occidentaux — en quête d'une illusoire authenticité compatible avec leur confort (Dans la jungle de Bornéo, des visiteurs en quête d'authenticité, par Clotilde Luquiau) — ne participent pas toujours au développement des pays du Sud (À qui profitent les vacances ?, par Gilles Caire) ni à l'épanouissement des saisonniers du marché du travail (Gentils organisateurs en colère, par Philippe Bourdeau et Rodolphe Christin). N'oubliez jamais que sur 950 euros d'un forfait trekking dans l'Atlas marocain, 540 n’atteignent même pas le Maroc. 370 euros nourriront 'économie de Marrakech (marge de l'agence locale, hôtel, etc.) et seuls 40 euros (5% de la somme versée par le voyageur) parviendront aux locaux.


À écouter : L'émission de Daniel Mermet sur France Inter, Là-bas si j'y suis (http://www.la-bas.org), en vacances cet été mais de retour en septembre.
À farfouiller : Le site du Monde diplomatique (http://www.monde-diplomatique.fr).

Bravo à chouchou58 qui a bien anticipé le contenu de ce billet... :-)