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Ce mois-ci, « mon » Diplo est assez dense : des opérations militaires contre la guérilla maoïste en Inde ; l'industrie militaire russe en perte de vitesse ; des zones d'ombre concernant le nucléaire français ; les dérives du magnat de la presse britannique Rupert  Murdoch ; et quand les sondages agissent contre l'intérêt commun.


  • Les intellectuels, le défi maoïste et la répression en Inde. Opérations militaires du gouvernement contre les naxalites. Par Nicolas Jaoul et Naïke Desquesnes.
  • Une industrie militaire russe en état de choc. Des équipements réputés mais obsolètes. Par Vicken Cheterian.
  • Fissions au cœur du nucléaire français. Enquête sur une industrie contestée. Par Tristan Coloma.
  • Pourquoi l'empire Murdoch se déleste d'un joyau devenu trop pesant. La fin inattendue du plus grand hebdomadaire britannique. Par Jean-Claude Sergeant.
  • L'opinion contre le peuple. Primaire socialiste en France. Par Alain Garrigou.

En octobre naxalites.png2009, le gouvernement indien lançait l'opération « Green Hunt » ayant pour but d'éradiquer l'insurrection maoïste (aussi appelée naxalite) avec le concours massif de la police, de l'armée et de diverses milices (1). L'article de Nicolas Jaoul et Naïke Desquesnes aborde l'implication des intellectuels dans ce conflit, avec d'un côté un mouvement originellement pacifiste mais contraint de réviser ses convictions non violentes, et de l'autre une répression sans précédent avec comme argument massue la lutte contre le terrorisme. On y découvre la diversité des courants naxalites, avec une aile dure née de la révolte tribale de Naxalbari à la fin des années 1960, et réunifiée en 2004 sous le nom de Parti communiste indien maoïste (« PCI-m », à ne pas confondre avec le « PCI-M », le Parti communiste indien marxiste, dont la crédibilité s'est considérablement dégradée après s'être déclaré favorable à l'implantation de multinationales au Bengale-Occidental).
L'article fait aussi la lumière sur un vieil idéal de souveraineté nationale qui se cristallise dans l'opposition au néolibéralisme, avec une gauche indienne qui se radicalise. Même la mobilisation historique anti-castes des dalit (intouchables) n'avait pas suscité autant d'émoi dans l'opinion publique à l'époque. Mais aujourd'hui, une majorité d'intellectuels voient d'un mauvais œil cet acharnement étatique contre une partie défavorisée de la population. Un mouvement autrefois porté par le Mahatma Gandhi et Jawaharlal Nehru, les pères fondateurs de l'Inde indépendante...

Vicken Cheterian poseindustrie_militaire_russe.jpg un regard sur la vente d'armes conventionnelles qui n'est pas sans rappeler la bipolarité de la guerre froide. Le partage du monde relève d'une véritable chasse gardée, avec un pré carré russe encerclé par des régions se fournissant chez des pays membres de l'OTAN. Parmi les géants exportateurs, on trouve en tête les États-Unis alliés de l'Europe (150 milliards de dollars entre 2000 et 2010), suivis par la Russie (60 milliards de dollars). À noter l'émergence de pays secondaires qui pointent le bout de leurs fusils : l'Ukraine, Israël, et la Chine.
Le papier souligne une industrie russe vieillissante en perte de vitesse, et la guerre éclair de 2010 (cinq jours seulement) avec la Géorgie en fut une preuve parmi d'autres. Malgré une issue évidente avant même le début du conflit, et malgré une supériorité à la fois numérique et matérielle de l'armée russe, son adversaire géorgien a montré sa supériorité technologique avec des drones et des systèmes de communications modernes. « Depuis la perestroïka (2) et durant les phases de conversion qui l'ont suivie, le complexe militaro-industriel a souffert d'un manque de planification et d'une absence de vision politique quant au rôle qu'il aurait à jouer dans la nouvelle économie. »

Aprèsdenis_olivier.jpg la catastrophe humaine et écologique de Fukushima (3) en mars, la récente explosion d'un four survenue sur le site nucléaire de Marcoule (Gard) le 12 septembre relance le débat sur la légitimité du nucléaire en France. Tristan Coloma examine l'opacité avérée qui règne dans le milieu, que ce soit au niveau du stockage des déchets radioactifs, du coût du démantèlement de la cinquantaine de réacteurs français ou encore du prix à payer pour l’approvisionnement en plutonium.
Un point intéressant : la « stratégie Nespresso » (pas de gros bénéfices sur la vente des machines, mais une grosse marge sur les capsules) revendiquée par Mme Anne Lauvergeon, avec un investissement initial bon marché pour l'acquéreur, et une marge pour le fabricant qui se dégage sur le long terme, avec 80 % des revenus issus de l'extraction du minerai et de la fabrication du combustible. Et les questions, nombreuses : comment parler d'indépendance énergétique quand l'extraction du minerai se fait quasi-exclusivement à l'étranger, au Niger (dont la population ne sort pas toujours gagnante) en grande partie ? Quel est le véritable coût de l'électricité nucléaire, présentée aujourd'hui comme la moins onéreuse alors que le montant du démantèlement des cinquante-huit réacteurs nucléaires français n'est pas connu avec précision (4) ?
Difficile d'imaginer un pays comme la France faire l'impasse sur une énergie constituant le pilier stratégique de son indépendance depuis Charles de Gaulle et la fin de la seconde guerre mondiale. Difficile aussi d'oublier l'offre nucléaire faite en 2007 au colonel Kadhafi que la France cherche aujourd'hui à minorer. Difficile enfin d'entendre un chef d'État asséner « si on prive les pays en développement de la technologie du nucléaire civil, on construit le choc des civilisations. »

Puis, plus succinctement (ici), un article de Jean-Claude Sergeant rappelant la collusion entre médias, pouvoir et argent aux États-Unis sur l'affaire Murdoch et les pratiques douteuses de certains journaux. L'arbre semble révéler la forêt puisque cette dérive en éclaire d'autres : concentration de la propriété des médias, marchandisation de l'information et connivences politiques.

Enfin, un papier rafraîchissant d'Alain Garrigou qui s'amuse à faire le parallèle entre sondages et astrologie. Faute de rigueur, on s'éloigne facilement de la véritable étude statistique : ceci peut se retrouver aussi bien dans la représentativité des échantillons sondés (on annonce 3 677 personnes sondées alors qu'une discrète notice concède que seulement 404 personnes ont effectivement répondu) que dans l'orientation que les instituts souhaitent donner à leurs résultats (sondages du type « Sarkozy ou Villepin ? » en omettant ceux qui ne souhaite pas se prononcer). Sans oublier que les sondeurs ont du mal à admettre leurs erreurs, en ayant réponse à tout ; ils se livrent alors à de douteuses explications rappelant celles du médecin du Malade imaginaire de Molière : « L'opium fait dormir, parce qu'il y a en lui une vertu dormitive dont la nature est d'assoupir les sens ». « M. Hollande est en tête dans les sondages à cause de son avance sur les items de présidentialité ». L'opium fait dormir parce qu'il assoupit ; M. Hollande est en tête parce qu'il est en avance. C'est à se demander si on ne donne pas la parole à l'opinion pour mieux faire taire le peuple !

À écouter : Là-bas si j'y suis, l'émission quasi-quotidienne de Daniel Mermet sur France Inter, consacrée une fois par mois au Diplo. Celle d'octobre est accessible sur http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2268.


(1) Avec une loi qui s'adapte, comme l'illustre le délit de sédition inscrit dans le code pénal afin de sanctionner les « paroles, signes ou représentations qui encouragent à la haine, au mépris, à la désaffection contre le gouvernement établi par la loi indienne ».
(2) Nom donné au programme de réformes économiques et sociales lancé en 1985 par M. Mikhaïl Gorbatchev, signifiant « reconstruction », « restructuration ».
(3) Lire Denis Delbecq, « Comment Fukushima rebat les cartes du nucléaire », Le Monde diplomatique, juillet 2011.
(4) C'est le moins qu'on puisse dire : la Cour des comptes estimait en 2003 ce montant à 39 milliards d'euros pour les cinquante-huit réacteurs français, alors que le Royaume-Uni prévoit 103 milliards d'euros pour démanteler ses quinze réacteurs.