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Obésité, mal planétaire
Des États-Unis à l'Inde
Benoît Bréville

Selon un préjugé répandu, et entretenu par l'industrie agroalimentaire, les personnes obèses, incapables de contrôler leurs désirs, seraient responsables de leur condition. Ce discours occulte les causes d'un phénomène en voie de mondialisation. Tirer le fil de l'obésité, c'est débobiner toute la pelote du mode de vie des sociétés dites avancées.

En 1985, l'Amérique comptait moins de 15% d'obèses. Autant dire que la société Goliath Casket (« le cercueil de Goliath »), au cœur du marché du cercueil, en était à ses balbutiements. Alors qu'elle ne vendait qu'un seul de son modèle « triple largeur » à la fin des années 1980, elle en écoule aujourd'hui 5 par mois (version de luxe avec poignées dorées et coussins rembourrées en option). Aujourd'hui, les États-Unis figurent parmi les pays les plus gros du monde. Le marché s'est donc mis au diapason de cette nouvelle morphologie : entre les entreprises qui proposent des produits spécialement destinés aux personnes corpulentes (fauteuils, brancards, matelas, sites de rencontres, etc.) et celles qui prétendent fournir les solutions pour l'endiguer (pilules en tous genres, camp d'amaigrissement à la discipline militaire, opérations chirurgicales à 10 000 dollars, etc.), les profits engrangés sont estimés à plusieurs dizaines de milliards de dollars.

Les causes de la prise de poids généralisée sont pourtant bien connues : le mode de vie des Américains qui, depuis trente ans, consomment plus de calories et en éliminent moins. De plus, fondé sur le culte de la consommation et du progrès technique, l'American way of life favorise tout particulièrement l'inactivité physique. Ascenseurs, escaliers mécaniques, télécommande, arrosage automatique... autant d'économies de calories gagnées, de temps économisé qui aurait pu être consacré à des activités distractives physiques mais qui est en réalité passé devant un écran ou derrière un volant. Et des études publiées en 2004 et 2005 montrent que chaque heure passée à regarder la télé ou à conduire oriente vers la surconsommation et augmente le risque de surpoids, respectivement. Les plus jeunes sont par ailleurs extrêmement sollicités par la publicité, avec en moyenne 25 000 spots télévisés ingurgités par an, dont plus de 5 000 consacrés à l'alimentation.

La politique salariale américaine fait en outre grossir les pauvres. Plus regardants à la dépense, ils consomment davantage de produits hypercaloriques et peu nutritifs et figurent logiquement parmi les premières victimes de l'obésité. À cela vient se greffer la stratégie de « supersize » : la nourriture elle-même constitue une part si faible du prix de vente d'un produit — par rapport à l'emballage, la promotion, la conception — qu'il est devenu particulièrement rentable de vendre de grandes portions dans un même contenant. Bonne nouvelle en apparence, sauf que selon la nutritionniste Marion Nestle, « il existe quelque chose dans notre psychologie qui nous fait manger plus quand on met plus de nourriture en face de nous. »

Rajoutez à cela le fait que, dans certains endroits de la planète comme en Inde ou dans des villages africains, l’embonpoint est un signe de réussite sociale (« Vous êtes trops gros ? Félicitations ! » peut-on lire sur une publicité d'un fast-food indien) et vous obtenez l'un des plus grands paradoxes du XXIème siècle. Si à l'échelle mondiale, le nombre de personnes en surpoids (environ un milliard et demi) excède désormais celui des mal-nourris (environ un milliard), la bataille n'est pas pour autant gagnée. Coca-Cola, conscient de ce fléau planétaire, s'inquiète des conséquences non pas humaines mais commerciales : « L'obésité et d'autres problèmes médicaux pourraient réduire la demande pour certains de nos produits. »


Et aussi :

  • Un excellent dossier sur la Chine, son pouvoir, sa puissance, ses tentations de néocolonialisme liées à la course effrénée aux matières premières, et sa place au cœur de la mondialisation qui en ferait une nation impérialiste.
  • Un article qui passe au crible les Palmes d'or du Festival de Cannes et démontre le caractère iconoclaste de ses jurys, dans les limites étroites de l'exercice, en ébréchant l'autorité des pseudo-experts médiatiques. Jugement que personnellement, je trouve limité car s'il est vrai que Jacques Audiard (De rouille et d'os) et Leos Carax (Holy Motors, chroniqué ici par Gilles) sont repartis bredouilles contre toute attente, c'est bien Michael Haneke et Ken Loach, grands habitués du Festival, qui ont occupé le haut du podium (cf. le début du billet sur Cosmopolis).

À écouter : L'émission de Daniel Mermet sur France Inter, Là-bas si j'y suis (www.la-bas.org), qui débat autour du Diplo une fois par mois. Celle de septembre est disponible sur www.la-bas.org/article.php3?id_article=2524.
À farfouiller : Le site du Monde diplomatique : www.monde-diplomatique.fr.