Un excellent article (reproduit ci-dessous) de Maryline Baumard, paru sur le site du Monde le 29 mars dernier, aborde les enjeux essentiels liés à l'enseignement des Mathématiques et leur impact souvent sous-estimé sur notre vie — à court comme à long terme. Pour en finir avec les raccourcis stupides tels que « connaître la racine carrée de 25 ne sert à rien dans la "vraie" vie », chers à des gens comme Gad Elmaleh...


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"Si je vous dis racine carrée de 25 ?", interroge Gad Elmaleh. "Cinq !", hurlent les spectateurs. "Ouais et alors ? Ça t'a déjà sorti d'une galère ce truc ? Tu t'es déjà dit en rentrant d'une soirée : "Heureusement qu'on la connaissait cette racine, sinon on était dans la merde..." ?" En écoutant ce sketch, que l'humoriste a présenté plus d'une fois en tournée, vous avez le délicieux sentiment de tenir là votre vengeance après ces séances à s'échiner sur des problèmes dont vous n'aviez au fond que faire. Le théorème de Pythagore, les identités remarquables, les nombres premiers... Comme Gad Elmaleh, vous êtes nombreux à être scandalisés qu'en 2013, on fasse encore étudier aux collégiens ces notions que vous n'avez jamais utilisées dans la "vraie vie". Des maths qui ne servent à rien... Mais sur lesquelles vos enfants doivent plancher encore aujourd'hui, pensez-vous.

Caricature ? Pas tout à fait. En réalité, la France est partagée. Il y a d'un côté ceux qui se lamentent sur le faible niveau en calcul des nouvelles générations ; de l'autre, ceux qui coincent sur une règle de trois et n'ont aucun souvenir de leurs années de cours, fussent-ils bons élèves. D'un côté, nos médaillés Fields, ces brillantissimes matheux, décorés de l'équivalent du prix Nobel. Décernée tous les quatre ans, cette prestigieuse récompense a couronné des Français en 2002, en 2006 et en 2010. De l'autre, le niveau dramatiquement mauvais de la population française. En 2011, un sondage du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) montrait que la moitié des adultes ignorent que, s'ils placent 100 euros à 2 %, ils auront 102 euros au bout d'un an.

Dangereux pour les finances personnelles. Et pour la marche du monde. Le documentaire Cleveland contre Wall Street de Jean-Stéphane Bron (2010) a montré comment l'innumérisme, cet illettrisme des nombres, a précipité des milliers de familles américaines dans la faillite, faute d'avoir les arguments chiffrés à opposer aux vendeurs de rêve qui les ont endettés jusqu'au cou. "Vous n'allez quand même pas dire que c'est la faute des mathématiques si l'on a eu la crise des subprimes !", s'agace Eric Barbazzo, président de l'association des professeurs de mathématiques (Apmep). Un peu quand même ! Les nombres peuplent nos vies et l'école devrait armer le citoyen pour les interpréter. Les professeurs de mathématiques ne sont évidemment pas en cause. Mais les programmes ?

A l'issue de la 3e, dernière année où tous les adolescents du pays sont scolarisés ensemble, 15 % des élèves ne maîtrisent aucune des notions sur lesquelles ils travaillent depuis la classe de 6e, selon une étude du ministère de l'éducation nationale de la fin 2010. 30 % d'entre eux sont capables de multiplier ou d'additionner des nombres simples, de calculer des carrés simples. Si ces collégiens savent trouver un pourcentage à l'aide d'une calculatrice, ils n'arrivent ni à en donner un ordre de grandeur de tête, ni à en faire l'opération à la main. Et sont incapables de résoudre une équation. S'ils s'en sortent mieux, les 55 % d'élèves restants ne sont pas tous brillants, loin s'en faut. Seuls 15 % d'entre eux sont capables de déplacer la virgule de deux rangs quand ils convertissent des mètres carrés en décimètres carrés, d'arriver à 33 quand on leur demande de calculer trois quarts de 44 ou de déterminer l'aire d'un cercle...

Pourtant, à l'âge de 15 ans, les petits Français ont déjà suivi près de 1 500 heures de cours de maths depuis leur entrée au CP. Et quel stress pour obtenir ce piètre résultat ! Maux de ventre, insomnies... L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a montré que les maths jouent un rôle central dans le mal-être des élèves français. 53 % des jeunes de 15 ans se déclarent "tendus quand ils doivent faire leurs devoirs de maths", contre 7 % des Finlandais, 28 % des Italiens et 30 % des Allemands. La beauté des nombres, même les bons élèves s'en moquent. Ce qu'ils veulent avant tout, c'est la bonne note qui leur permettra de choisir leur orientation. Car être fort en maths permet de décrocher un bac scientifique, sésame censé ouvrir n'importe quelle porte de l'enseignement supérieur. Alors, les parents leur demandent moins d'aimer que de réussir. Une injonction qui fonctionne si bien que même les bons élèves ne choisissent pas une filière mathématique dans le supérieur. Et après ? Devenus adultes, la plupart enterrent la discipline.

Un coup d'œil au niveau en maths de nos hommes politiques devrait cependant rassurer plus d'un parent sur les chances de carrière de ses enfants. Et inquiéter plus d'un citoyen quant à la gestion de nos finances publiques. "Si 10 objets identiques coûtent 22 euros, combien coûtent 15 objets ?", demande un journaliste de RMC à Luc Chatel, en juin 2011. Bravant le sens commun qui veut que deux produits valent en général plus cher qu'un seul, le ministre de l'éducation nationale répond 16,5 euros (au lieu des 33 euros attendus) à cet exercice de CM2. Trois mois plus tôt, Valérie Pécresse, en charge de l'enseignement supérieur et diplômée de HEC – temple des forts en maths –, oublie devant les caméras que l'on n'additionne pas des pourcentages et explique avec aplomb que lorsqu'un département augmente ses impôts de 30 % et que sa région alourdit les siens de 58 %, la facture du contribuable est majorée de... 88 %. Mais que la gauche ne se gausse pas trop devant tant de confusion à droite. L'innumérisme est aussi développé dans son camp. Au point que Didier Migaud, le premier président de la Cour des comptes, autant dire le grand vérificateur des dépenses publiques, s'est joliment illustré en répondant (toujours sur RMC) que 7 × 9 = 76. Quant à Olivier Besancenot, du Nouveau Parti anticapitaliste, il a refusé de multiplier 8 par 9.

Faut-il donner raison à Yves Chevallard, professeur émérite de l'université d'Aix-Marseille, quand il se désole que "les adultes cultivés soient absolument, résolument, étrangers aux mathématiques, même les plus simples" ? Faut-il croire ce médaillé Hans Freudenthal – la plus haute distinction en enseignement des mathématiques – lorsqu'il rappelle que "tout se passe comme si les mathématiques n'existaient qu'à travers l'école, dont elles feraient partie au même titre que les notes et les punitions" ? Or aujourd'hui plus qu'hier, nous avons sans cesse recours aux mathématiques, qui façonnent entièrement notre environnement. Quand vous prenez l'ascenseur pour le troisième sous-sol (- 3), vous vous offrez un petit voyage au pays des nombres relatifs. Certes, vous pourriez très bien trouver votre place dans le parking souterrain en ignorant tout d'eux, il n'empêche. Ils sont aujourd'hui omniprésents alors qu'au XIXe siècle, ils n'étaient même pas familiers des comptables !

Nos civilisations modernes avancent à coups de nouvelles applications de théorèmes et d'utilisations d'algorithmes. Sans les maths, nous n'aurions jamais soupçonné l'existence de l'invisible boson de Higgs, cette particule élémentaire mise au jour en juillet 2012. Nous ne serions pas capables d'anticiper les cyclones ou les séismes, d'assurer le cryptage des données de nos cartes bancaires. Et ce sont aussi les maths qui permettront de répondre aux défis à venir de la planète. Alors il y a urgence à réinventer leur transmission aux générations futures. Enseigner d'autres mathématiques, ou enseigner autrement les mêmes théorèmes et chapitres en leur donnant du sens : à l'heure où Vincent Peillon veut refonder l'école et réinstaurer un conseil supérieur des programmes, pouvons-nous vraiment faire l'économie d'une réflexion sur cet enseignement qui formera les citoyens de la seconde moitié du XXIe siècle ?

Certains ont déjà largement étudié la question. "C'est en enseignant les sciences du numérique, c'est-à-dire les mathématiques qui font marcher Internet et les smartphones, que l'on réconciliera très naturellement les jeunes avec cette matière scientifique vivante", estime Thierry Viéville, de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria). Depuis la rentrée, en classe de terminale scientifique, une option a été mise en place pour comprendre ce qui se passe quand on clique. Et si les collégiens avaient droit eux aussi à une approche de la matière qui les concernerait davantage ? "Les mathématiques dont nous avons besoin ont radicalement changé. Pour simplifier, on peut dire que celles enseignées au collège et au lycée aujourd'hui sont essentiellement celles qui étaient utiles à l'ingénieur et au physicien du XIXe siècle ou des deux premiers tiers du XXe siècle. Récemment, les programmes ont connu une évolution en faveur des probabilités et des statistiques pour tenir compte des demandes des économistes, des biologistes et de quelques autres, mais cette évolution est très insuffisante", expose Jean-Paul Delahaye, un chercheur à l'université des sciences et technologies de Lille, qui a enseigné à tous les niveaux du système éducatif.

Que se passe-t-il quand on pose une question à Google ? Ça, l'école ne l'explique pas. "Si l'on partait des questions que se posent les élèves, de ce qui les interroge – qu'ils en aient d'emblée conscience ou non – et que, ensuite, on leur faisait rechercher et étudier les outils théoriques et autres pour qu'ils avancent vers des réponses "solides", cela changerait bien des choses dans les savoirs scolaires. Et pas seulement en mathématiques", insiste le professeur Yves Chevallard. Le rôle de l'enseignant serait transformé, celui des élèves aussi. Pas sûr, pourtant, que cette suggestion soit plus appréciée par les tenants de l'ordre mathématique que la polémique qui a opposé les partisans des maths appliquées à ceux des maths pures.

Le 14 septembre 2011, Le Monde publiait une tribune de deux mathématiciens américains, Solomon Garfunkel et David Mumford (médaillé Fields), intitulée "Comment réparer l'enseignement des mathématiques ?" C'est la traduction d'un texte paru deux semaines plus tôt dans le New York Times du 28 août, qui prône des cours de mathématiques prenant en compte les centres d'intérêt des adolescents. Aux Etats-Unis, les réactions ont été aussi nombreuses qu'ouvertes. "Nous avons eu 280 commentaires sur le site du journal américain, explique Solomon Garfunkel. Presque toutes en notre faveur." En France, au contraire, on crie au scandale. Jean-Michel Kantor, professeur à Paris-Diderot et fervent défenseur de maths plus appliquées, avance une explication : "On est encore traumatisés de l'enseignement des mathématiques modernes". Ah, la belle épopée !

Il s'agissait alors d'en finir avec la vieille géométrie d'Euclide pour rapprocher l'école des travaux de chercheurs. A partir de la 6e, les problèmes de robinet avaient laissé place aux "applications" et aux "bijections", représentées par des "diagrammes sagitaux"... Dans les petites classes, on avait abandonné la vieille base 10 pour compter en bases 2 ou 3. Cette petite révolution, appliquée à partir de 1969, a suscité une jolie catastrophe et un demi-tour spectaculaire. "C'étaient des maths très abstraites. Leur enseignement dans les classes fut un échec et l'idée de tout changement glace désormais les décideurs un peu partout dans le monde", estiment à l'unisson le Français Jean-Michel Kantor, l'Américain Solomon Garfunkel et le Danois Mogens Niss, tous trois pourtant favorables à un grand remue-méninges. En janvier, ils se sont d'ailleurs réunis à Paris pour refaire les programmes. Mais entre eux seulement.

Pourtant, dans tous les pays, le débat passionne un public éclairé. The Observer ne s'y est pas trompé en classant l'informaticien Conrad Wolfram parmi ses quinze "nouveaux révolutionnaires" de l'année 2012. Le 15 novembre, à Doha, au Qatar, ce presque inconnu a converti une salle de 1 000 personnes à ses théories en moins d'une demi-heure. Devant un auditoire venu du monde entier pour réfléchir à l'école du xxie siècle, il a ridiculisé les mathématiques scolaires. "Ce qui fait l'essence des mathématiques, comme la modélisation, la résolution de problèmes, le traitement des images, de données ou la conception de machines, on ne l'enseigne pas aujourd'hui dans les collèges. A la place, on vous apprend à résoudre des équations à la main", raillait l'homme. Sûr de son effet, il a sorti son smartphone, a ouvert son assistant numérique et lui a demandé, devant une salle en haleine : "Peux-tu me résoudre 2x2 + 37 = 5 ?" Et la machine de s'exécuter en quelques secondes à peine, représentation graphique à l'appui. Lorsque Conrad Wolfram a quitté la salle, une nuée d'auditeurs l'a poursuivi, le pressant de questions, de demandes d'expertises pour refaire les programmes dans tel pays, de mettre en place un enseignement plus moderne dans telle école privée...

S'agit-il d'un marchand d'applications intelligentes ou d'un visionnaire ? Ne fait-il là que la promotion de son assistant de calcul à reconnaissance vocale, ou bien met-il le doigt sur "un problème mondial de programmes dépassés qui perdent 80 % du temps à enseigner le calcul que la machine fait pour nous", comme il le martèle ? D'un côté, certains estiment, tel le professeur d'université Pierre Arnoux, que l'échec en première année de faculté est principalement dû à l'ignorance des tables de multiplication. Car le calcul élémentaire forme des circuits spécifiques dans nos cerveaux : des chemins que nous ne possédons pas à la naissance mais qui se dessinent, à force de pratiquer, pour devenir la voie naturelle, le raccourci permettant de compter efficacement - rapidement et sans trop d'effort. De l'autre côté, il y a ceux qui veulent donner un coup de pied dans la fourmilière. Mais ils sont isolés et se font régulièrement clouer le bec dans les colloques. Ou plutôt avant, car en général la tribune ne leur est pas offerte.

Pourtant, l'état des lieux – déjà mauvais, en Europe comme en Amérique du Nord – ne cesse d'empirer. Le nombre d'étudiants dans les universités scientifiques décroît dangereusement. Dès 2006, l'OCDE estimait dans un rapport que cette tendance était "préoccupante". En France, entre 1995 et 2011, les effectifs des facultés de mathématiques ont chuté de 63 720 inscriptions à 33 154. Les candidats au professorat commencent à manquer. Mais la voix des conservateurs couvre toutes les autres. Pour l'inspection générale, gardienne du temple, les programmes ont trois finalités. "Ils doivent former le citoyen, délivrer une culture scientifique et donner les bases et le goût au futur spécialiste", explique Charles Torossian, chercheur associé à l'université de Paris-Diderot, inspecteur et président de jury d'agrégation. "Les maths forgent le raisonnement qui, lui-même, forge la pensée rationnelle", dit-il.

Qu'importe si l'enseignement rate ses trois cibles, il faut conserver nos programmes ambitieux ! La direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco), cette branche du ministère de l'éducation nationale où se mitonne la refondation de Vincent Peillon, est plus pragmatique. "Replongeons-nous dans l'école du XIXe siècle, rappelle Jean-Paul Delahaye, son directeur général (et homonyme du mathématicien déjà cité), il y avait tellement moins d'heures de cours et tellement plus d'heures de travail personnel. Aujourd'hui, on demande tant de choses à l'école qu'on ne laisse pas le temps aux élèves d'assimiler les savoirs." Faut-il tout chambouler ? Cédric Villani, médaillé Fields en 2010, prend le problème sous un autre angle : "L'important, c'est de donner les moyens aux étudiants d'apprendre ce dont ils auront besoin un jour et qu'il est illusoire de vouloir prévoir. Et pour être capable d'acquérir de nouvelles connaissances, il faut avoir manié l'abstrait. Les contenus ne sont pas si importants : l'immense majorité des élèves oublieront le détail de ce qu'ils ont appris au lycée. Et ce n'est pas grave, il n'y a pas un théorème qui soit indispensable dans la vie de tous les jours. On peut vivre en ignorant celui de Pythagore, pourvu qu'on sache qu'il existe un lien entre les longueurs des côtés d'un triangle rectangle."

Oubliées ou non, les maths sont formatrices. Les élèves qui ont pratiqué l'abstraction acquièrent la capacité d'assimiler beaucoup plus vite, de penser de nouvelles approches face à des situations inédites. Et même plus. "Ce n'est pas seulement une certaine forme d'inventivité, c'est aussi un atout pour le raisonnement logique organisé. Apprendre à conceptualiser, à "réfléchir dur", voilà ce que l'on attend d'un cours de maths. Comme je le répète, les trois vertus cardinales du mathématicien sont l'imagination, la persévérance et la rigueur", ajoute Cédric Villani. Si les maths sont nécessaires au développement du cerveau, raison de plus pour les rendre captivantes. Tout ne serait qu'affaire de pédagogie, estime Martin Andler, professeur à l'université de Versailles Saint-Quentin et président de l'Association pour l'animation mathématique (Animath) : "Les mathématiques sont une discipline très ancienne, cumulative. On ne peut pas envisager d'aborder les maths contemporaines sans avoir étudié celles d'Euclide, de Newton ou de Descartes." Autrement dit, impossible de toucher aux bases... ce qui n'empêche pas d'introduire en classe des énigmes et autres problèmes sympathiques. C'est l'une des pistes de la direction de l'enseignement scolaire, qui souhaite donner plus d'outils aux enseignants pour les aider à faire cours plus efficacement. Principale cible : les professeurs des écoles, dont la grande majorité a fait des études de lettres et a donc arrêté les mathématiques en classe de première, au lycée. "Il faut les aider grâce à des banques de problèmes plus didactiques que celles dont ils disposent aujourd'hui", propose Jean-Paul Delahaye, de la Dgesco.

De nouveaux chapitres ont bien été ajoutés aux programmes. Mais à la marge. Et les enseignants les laissent souvent de côté, car il leur faut du temps pour les intégrer, d'autant plus qu'ils n'y sont pas formés. "Vous auriez vu le vent de panique, l'an dernier, quand les sujets du bac du lycée de Pondichéry sont sortis. Des algorithmes... Des algorithmes au bac pour la première fois ! Et personne n'avait travaillé ça alors que c'était au programme", raconte un professeur de lycée. Cet établissement "français à l'étranger", dont les examens sont avancés en raison d'un calendrier différent en Inde, sert traditionnellement d'étalon pour "prédire" les sujets susceptibles de tomber au baccalauréat en métropole. Alors, dans les classes de l'Hexagone, à toute vitesse, il a fallu balayer ce chapitre qui avait été négligé, de la seconde à la terminale, selon une sorte d'accord tacite.

A la décharge des enseignants, leur discipline a été pas mal chahutée depuis la fin des années 1990. D'abord, il y eut la rénovation pédagogique des années Allègre-Jospin. Claude Allègre le géochimiste tenta de faire tomber les maths de leur piédestal, jugeant leur enseignement dépassé. Puis, il y eut la réforme des lycées des années 2000-2003, qui diminua encore les heures dévolues à cette matière, et enfin celle de Luc Chatel (2010-2013), qui les a une nouvelle fois rabotées. Au final, les profs "font ce qu'on peut faire de moins mauvais dans le temps d'enseignement imparti", estime Pierre Arnoux, professeur à l'université d'Aix-Marseille, qui a travaillé sur les derniers programmes du lycée.

Aujourd'hui, en ces temps de "refondation", la problématique est simple : si le débat est laissé aux mains des enseignants et des mathématiciens, ils auront du mal à renier le système qui les a formés. Mais si l'on attend trop, les mathématiques deviendront une "langue morte", comme le promet Conrad Wolfram. En 1997, l'historien André Legrand estimait déjà, dans son Histoire de l'enseignement mathématique, que "le modèle disciplinaire mis en place au début du siècle et réformé pendant les années 1960-1970 paraît aujourd'hui épuisé et l'on peut prévoir, sans trop de risques, des changements profonds à court et à moyen terme pour les mathématiques du collège et du lycée". En somme, la situation diffère peu de celle qui prévalait à la veille de la révolution de l'introduction des maths modernes. En 1956, le mathématicien Gustave Choquet, éminent scientifique et grand professeur, écrivait : "Les professeurs n'y sont-ils pas des gardiens de musée, qui montrent des outils poussiéreux dont la plupart n'ont pas d'intérêt." C'est exactement ce que dit Gad Elmaleh, dans la suite de son sketch, lorsqu'il demande si vous avez déjà réutilisé un compas depuis vos années d'école... Ou s'il vous est arrivé, sortant de la visite d'un logement, de préciser à l'agent immobilier qu'en dépit de ses qualités, "cet appartement est quand même un peu isocèle". Triangle isocèle, ça vous ne vous dit rien ? Révisez. Vos enfants ne tarderont pas à vous en parler.