never_take_sweets_from_a_stranger.jpg, oct. 2020
Hammer ailleurs

On connaît la Hammer comme société de production britannique spécialisée dans les films fantastiques, d'horreur ou d’aventures qui ont irrigué les années 50 et 60 avec sa pléthore de variations sur le thème du loup-garou, du vampire, de la créature diabolique. On la connaît en revanche beaucoup moins dans le registre du drame social et familial, avec une focalisation sur un sujet très clairement énoncé par le titre : Never Take Sweets From A Stranger. En 1960, la Hammer produisait ainsi un film extrêmement atypique, plutôt audacieux à défaut d'être vraiment percutant avec le recul, et formulant très peu de compromis, s'intéressant à la menace d'un patriarche pédophile régnant en despote siphonné sur la ville qu'il tient sous son emprise économique.

La tonalité noire et franche est annoncée d'entrée de jeu : lorsque la famille britannique arrive dans ce petit coin du Canada pour s'y installer, suite à la prise de fonction du père en tant que principal du lycée, une séquence glaçante de suggestion ne tardera pas à planter le décor. Deux filles qui jouent sur une balançoire à la lisière de la forêt, avec un manoir en fond où elles iront chercher des bonbons, comme cela semble être normal pour celle qui entraînera la nouvelle venue. On comprend très vite, dans les 10 premières minutes, que quelque chose d'anormal s'est passé. Et on découvre peu à peu l'emprise de la famille du vieil homme sur les habitants, une puissance familiale qui a permis le développement économique de la région et qui a tissé par la même occasion un réseau dense de contraintes et d'obligations tacites, comme si toute la population se sentait puissamment redevable. Au point que l'on essaie de dissuader les parents de la jeune fille de porter plainte, sous prétexte que le vieux grabataire n'a pas fait de mal, qu'il est juste maboul, qu'il ne l'a vraiment maltraitée physiquement, et qu'elle ment sans doute un peu.

On évolue dans le cadre d'une série B, et l'ampleur du film ne permettra pas de développer quelque chose d'ambitieux autour de cette thématique, de cette résistance de la part de la communauté à entrer en empathie avec la famille récemment arrivée. La séquence du procès, qui scinde la film en deux parties (la dernière étant une sorte de thriller avec papi lubrique dans les bois), illustre bien cette limitation en usant de symboles un peu grossiers : on concède au vieil homme de ne pas se lever quand le juge arrive à cause de son âge, la fille ne peut pas s'asseoir normalement car elle est trop petite, ainsi que la dureté de l'avocat de la défense qui maltraite allègrement la pauvre enfant par la violence de ses mots et de ses sous-entendus pour la pousser dans ses derniers retranchements. La dernière partie, avec les deux filles en fuite sur une barque, peut même rappeler La Nuit du chasseur sous certains aspects, en version légèrement cheap, conférant à ce dernier segment une certaine inutilité dans le mélodrame forcé. Histoire de bien matraquer la morale. Mais on retiendra manifestement la tonalité très singulière de la première partie, une production Hammer pas comme les autres.

intro.png, oct. 2020