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La possession, c’est le vol.

Étant donnée l'affiche du film, évoquant une version érotique du mythe de Méduse, et la catégorie du film à l'orée des genres dramatique et horrifique, on ne saurait mieux induire en erreur le spectateur égaré qui passait simplement par là et qui découvre par hasard la lumière blafarde du Berlin-Ouest au début des années 80. Le premier quart du film incite à voir avant tout un couple Isabelle Adjani / Sam Neill en crise, au bord du déchirement, ou plutôt de l'implosion. On n'est pas surpris d'apprendre que Andrzej Żuławski écrivit le scénario du film au cours d'une expérience personnelle difficile impliquant un divorce. Nous voilà ainsi lancés sur les rails du drame familial et de la crise du couple dans un contexte historique particulier mais vraisemblablement secondaire, sûrs du sujet et des enjeux.

Soudain, le film bascule dans l'horreur et le fantastique, sans prévenir, balayant nos certitudes et la santé mentale d'Adjani dans un même mouvement.

Et pas n'importe quel fantastique, non, Żuławski n'y va pas par quatre chemins et s'engage de manière frontale dans un univers torturé et angoissant, au caractère métaphorique, que n'aurait pas renié le Cronenberg de l'époque, tendance Chromosome 3. Une scène de sexe mutant en particulier peut même faire penser au passage le plus tordu de son adaptation de Burroughs, Le Festin nu. Le personnage d'Adjani peut quant à lui rappeler anachroniquement celui du protagoniste dans Hellraiser, tant sa rencontre avec le Mal semble alterner entre plaisirs et souffrances multiples. Mais surtout de la souffrance, tendance folie hystérique démentielle. La séquence interminable dans le métro berlinois, au cours de laquelle Adjani est en proie à une aliénation hors du commun et finit par littéralement vomir le mal, au terme d'une série de convulsions et d'automutilations, fait partie de ces traumatismes qu'on n'oublie pas aisément.

Mais au final, avec sa scène d'introduction (Sam Neil est-il un espion ?), ses multiples références visuelles au mur, aux miradors, aux barbelés et aux soldats en faction, et cette esthétique si particulière pour décrire une atmosphère aussi âpre qu'oppressante, il me semble que Possession consacre dans son dernier niveau de lecture la capacité des États de l'Est à matérialiser le mal, à engendrer des monstres. Exactement comme dans Chromosome 3, donc, contexte historique exclu. Et autant dire que je n'avais jamais vu le mur de Berlin et les psychoses induites sous cet angle. L'étrangeté qui se dégage de cette abomination et la violence de son emprise sur ses sujets suscitent toutes deux un effroi certain, teinté de fascination. L'hystérie d'Adjani se répand un peu partout comme la peste et contamine son entourage, bien au-delà du cadre diégétique du récit et de ses personnages. Autrement dit, d'une façon ou d'une autre, on souffre autant que son personnage, sincèrement, par empathie, ou de manière moins volontaire, en pliant sous le poids des décibels. On passe ainsi, sans discontinuité, d'une histoire dramatique de mari cocufié à une fable sur la tendance des régimes totalitaires à créer des monstres. D'une part des monstres visqueux et purulents, sortes de démons horribles gangrénant la société jusque dans les strates internes de la cellule familiale, et d'autre part des monstres doux sous forme de doubles idéaux, sur le thème du doppelgänger inversé, incarnation de la créature parfaite, docile, mais pas moins effrayante.

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