femme_dangereuse.jpg, oct. 2020
"Early to rise and early to bed, makes a man healthy, but socially dead."

Un étonnant film bicéphale réalisé par Raoul Walsh, divisé en deux morceaux presque disjoints, jusque dans la dichotomie opérée par les titres anglais et français mettant respectivement l'accent sur la première ("The Drive by Night") et la seconde ("Une Femme dangereuse") parties. C'est un film partagé entre d'un côté une sorte de proto-film noir, un an avant la naissance du genre en quelques sorte avec Le Faucon maltais — et Humphrey Bogart passant du second rôle insignifiant au devant de la scène —, et de l'autre une sorte de proto-néoréalisme quelque temps avant l'apparition du mouvement en Italie.

Dans la première partie, on se concentre sur ce qui s'apparenterait à du réalisme social classique (au sens positif du terme, au même titre que le film noir) s'il ne s'agissait pas d'une série B générique de l'industrie hollywoodienne d'alors, c'est-à-dire sans les moyens de mettre en œuvre son analyse sociale en détails et avec de la nuance. Tout est emballé trop rapidement, faisant de la vie des deux routiers et de leur entreprise de transport un décor presque en carton-pâte, un cadre pas éminemment fertile pour faire émerger les problématiques existentielles et économiques. Et à partir de la moitié du film, le personnage interprété par Ida Lupino arrive sous le feu des projecteurs et bouffe tout l'espace, pour le meilleur (on est presque dans le registre de la femme fatale du film noir) comme pour le pire. Le pire étant, très clairement, l'ultime séquence centrée sur le procès, où on a droit à un moment d'Actor Studio collector, au terme duquel l'actrice devenue folle suite à la mort de son mari qu'elle a assassiné par asphyxie au monoxyde de carbone (alors qu'il était ivre mort dans le garage), crie avec hystérie "the doors made me do it!", dans un monologue crié en larmes... L'outrance de cette séquence en fait un climax d'excès vraiment ridicule avec le recul — alors qu'il semblerait que ce soit précisément sur cette séquence-là que Lupino ait été recrutée. Bizarre.

Non seulement le film semble brisé en deux parties pas parfaitement raccommodées, mais au-delà chacune de ces parties ne brille pas particulièrement par des qualités intrinsèques. L'esclavagisme moderne dont souffrent les deux amis qui tentent de se faire une place au soleil n'est pas décrit avec soin ou du moins pas avec un sens aigu de la nuance ou du détail, en exhibant seulement quelques contraintes visibles, au creux d'un morcellement narratif opéré par des ellipses maladroites. Le final sous forme de twist de prétoire un peu loufoque, qui plus est étendu en happy end dans la séquence suivante, serti d'une morale assez étrange lorsqu’une nouvelle femme contraint le protagoniste à conserver son poste contre son gré (et sa propre éthique), tout cela n'est vraiment pas sérieux. L'image de la femme fatale, pourtant, était quant à elle très solide : il y avait suffisamment de matière pour faire une critique pertinente du mythe du self made man sous forme de chronique sociale noire, même dans le cadre de la série B.

trio.jpg, oct. 2020