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Guérilla maorie

Utu est un film intéressant du fait de son contexte, de sa perspective et de son contenu (par ordre décroissant d'intérêt) tous trois relativement originaux. Une des premières œuvres, semble-t-il, au début des années 80, à aborder la thématique de l'indépendance du peuple maori en Nouvelle-Zélande et les problématiques ayant trait à son émancipation dans le cadre de la fin du protectorat britannique dans les années 1870. On peut se retrouver freiné dans l'élan d'adhésion et d'appréciation car le film comporte un joli petit lot de maladresses et d'approximations purement cinématographiques, mais il n'en reste pas moins sympathique, car original et suffisamment surprenant pour qu'on se montre magnanime au moment d'émettre un jugement ou d'apposer une note.

On peut voir ce film récemment restauré (selon les vœux du réalisateur, comme indiqué en préambule) comme une sorte de western exotique, bien loin des considérations nord-américaines traditionnelles, dépeignant une Nouvelle-Zélande en pleine décomposition, pétrie de violence et farcie d'inimitiés souterraines. À l'époque où les troupes britanniques se retiraient du continent océanien, l'équilibre des rapports de force était bien fragile et semblait ne tenir qu'à un fil extrêmement ténu. D'un côté, quelques responsables anglais épars censés encadrer les légions restantes ainsi que les troupes constituées d'autochtones ralliées à la couronne britannique, et de l'autre une pléthore de tribus maories opprimées pendant des décennies, portant en elles les germes d'une révolte inexorable.

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Geoff Murphy s'intéresse au cas (dont le caractère sacré "basé sur des faits réels" nous est bien rappelé) de Te Wheke, un milicien maori engagé par l'empire colonial qui désertera ce camp suite à un massacre de trop pour rejoindre (voire constituer) les rangs de la guérilla adverse. Il s'ensuivra pendant près de deux heures une série de combats d'une violence et d'une âpreté remarquables : très vite, on ne compte plus les coups de fusils tirés des deux côtés et les corps brutalement projetés à terre. Le fusil à quatre canons assemblé par un homme endeuillé est à ce titre un objet très marquant, à la puissance aussi cinégénique que meurtrière : la folie est dans les deux camps, la panique aussi, et la violence des combats est retranscrite de manière assez singulière, rendant le chaos des échanges presque tangible. À noter, une référence plutôt drôle à la ruse sous forme de camouflage forestier lors de l'assaut final de Macbeth. Au final, seuls quelques éléments de contexte font cruellement défaut. Dommage que Utu ("vengeance" en maori, dans un certain sens d'équilibre) ne s'embarrasse pas d'une certaine dose acceptable de cohérence et du minimum de vraisemblance nécessaire à l'adhésion pleine et entière au récit : on aurait bien aimé comprendre comment Te Wheke rassembla aussi rapidement autour de lui autant de monde après sa désertion, comment une telle guérilla s'organisa et quels en étaient les véritables enjeux.

Au-delà de ces menus obstacles, la vision des massacres demeure saisissante et rappelle même, dans une certaine mesure, ceux qui ont fait couler le sang d'autres peuples autochtones sur le continent américain, père fondateur du genre du western. Il n'y a pas de véritable vainqueur ici : le constat est résolument amer. Utu dépeint ainsi une révolte contre le colon blanc assez peu racontée au cinéma, avec en son centre un personnage original qui ne manque pas d'ambiguïtés, dont les motivations resteront un peu trop floues pour convaincre et donc emporter pleinement. Mais les petits bouts d'originalité que le film dissémine sur son chemin se suffisent, très largement, à eux seuls.

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