Un peu plus de deux heures de lentes mises à mort de taureaux, entrecoupées par quelques séquences en dehors de l'arène, voilà le programme exhaustif de Tardes de soledad. Le genre documentaire n'est pas forcément là où on attendait Albert Serra, mais en réalité en y repensant il y avait un petit côté pragmatique et réaliste dans La Mort de Louis XIV ainsi que du côté des libertins s'amusant dans les sous-bois de Liberté. Il a choisi la star péruvienne de la tauromachie du moment, Andrés Roca Rey, pour en faire un portrait très particulier, plurivalent, sans qu'on sache réellement si le sujet tient davantage à la corrida, au toréro ou aux animaux. Le tour de force est quoi qu'il en soit là : je n'aurais jamais posé mes yeux sur un tel spectacle s'il n'y avait pas eu Tardes de soledad.
Mais finalement, Serra semble éliminer la composante propre au spectacle à l'aide de deux partis pris : tout d'abord le choix du cadre, ultra resserré sur le matador voire sur une partie du corps du matador, et ensuite le travail au niveau du son avec un mixage faisant ressortir les très nombreux commentaires des différents intervenants. À l'intention des ignorants dont je faisais partie, on apprend qu'autour du torero principal, une nuée d'auxiliaires gravitent avec leurs fonctionnalités précises (picadors, banderillos, et autres curieux personnages sur leurs destriers cuirassés) et surtout, dans le cas présent, leurs encouragements pour le moins virilistes. En réalité, le personnage principal dispose d'une cour passant la moitié du temps à vanter la taille de ses couilles... Effets loufoques et (involontairement) comiques garantis. L'autre moitié étant consacrée à des insultes copieuses à l'encontre des animaux qui rechignent à mourir docilement, et ce après avoir longuement exploité leur comportement de défense en situation de stress et de fuite empêchée. Curieuses coutumes, exposées pas moins de quatorze fois — même si c'est clairement voulu, le film peut à ce titre devenir un peu répétitif.
Bien sûr la grille de lecture annoncée par le titre entend épouser la solitude du torero, et la mise en scène de Serra ne fait que ça, découper ce personnage dans le champ pour le montrer constamment seul, seul face à la bête (même si tous les auxiliaires accourent quand il se fait malmener par le taureau) et seul dans ce bus d'après corrida (bien qu'entouré par ses proches, figure qui reviendra). Mais de fait le film opère une autre fonction, en nous exposant à une telle succession de scènes barbares. Ce qui choque tout être normalement constitué à la première exposition, c'est la violence exercée à l'encontre de cette bête et les hectolitres de sang qui se déversent (visibles malgré le rouge de la cape agitée) avant qu'elle ne rende l'âme. Aussi horrible que la satisfaction qu'on peut en retirer. Et puis à mesure que l'exposition se pose, le malaise s'installe, et on devient attentif à d'autres choses, la nature du protocole, l'absurdité de la tradition, l'arrogance de la star, l'appel au divertissement, les cris d'appel répétés. Et ce visage ensanglanté serti d'un regard halluciné, évidemment, du sang de la bête, auquel répondent de nombreux gros plans sur un dos ruisselant de sang. D'un côté le souffle de l'animal qui agonise, de l'autre les injures de ses agresseurs. Mais toujours le spectacle sera condamné au hors-champ, Serra y préférant les contorsions des corps et ce flux interminable de mort.









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