Un peu comme The Betrayal de Tokuzō Tanaka sorti l'année précédente (et découvert récemment), Rébellion s'inscrit dans une veine très classique du chanbara : plus précisément, il explore le sous-segment relatif aux systèmes de clans de samouraïs qui écrasent ses sujets et qui prônent des valeurs morales parfois aux antipodes de ce que les plus hauts dignitaires pratiquent au quotidien. Les thématiques communes parcourent régulièrement trahison et loyauté, injustice et revendication. Mais chez Masaki Kobayashi, on a droit à un produit de luxe : Toshirō Mifune donne la réplique à Tatsuya Nakadai, deux samouraïs se vouant un grand respect mutuel menacé par les ordres de la hiérarchie, Yōko Tsukasa (une actrice ayant tourné entre autres chez Kurosawa, Gosha, Ozu, Naruse, Ichikawa, Suzuki, rien que ça) incarne un personnage féminin de premier plan, vecteur d'une composante féministe avant-gardiste, et pour illustrer cette tragédie la mise en scène du cinéaste japonais déploie une rigueur formelle qui rivaliserait presque avec celle du sublime Harakiri.
Pourtant c'est un film qui pourra rebuter en s'éloignant sensiblement des canons du chanbara : certes on parle de samouraïs pendant deux heures, mais pendant près d'une heure et demie, Kobayashi nous tient captif d'une récit extrêmement verbeux, avec des dialogues omniprésents et positionnés au premier plan. Il faut dire qu'en plaçant le récit au premier quart du XVIIIe siècle, on se retrouve en immersion dans une période de paix sous l'ère Edo... Pour ce qui est des affrontements caractéristiques du genre, il faudra se montrer patient, le temps que le drame familial et romantique se mette en place avant d'arriver à ébullition. Le titre est sans équivoque, "Rébellion" annonce ainsi la couleur avant même le début : la seule inconnue porte sur la capacité d'Isaburo (Mifune) à encaisser les coups du sort et les humiliations répétées du chef de clan qui impose ses sautes d'humeur à tous ses sujets — les conséquences étant hautement dramatiques. Ce dernier n'hésitera pas à répudier sa femme après l'avoir contrainte au mariage pour qu'elle lui donne un héritier, à imposer sa relégation au sein d'une famille (pour épouser le fils du protagoniste), et à finalement exiger son retour auprès de lui dans un dernier temps. La révolte face à tant d'injustices sera aussi tardive qu'éruptive.
Parmi les grandes réussites formelles de Rébellion, on peut citer le flashback qui s'initie lorsque la femme ballotée d'un côté à l'autre, Ichi, alimentant une grande méfiance au sein de sa nouvelle famille, fait le récit de son existence auprès du chef de clan. Un témoignage extrêmement poignant, martelé par quelques séquences aux effets inoubliables (une succession de plans courts qui se figent à différents moments-clés). C'est en outre un chanbara qui raconte l'éclosion d'un sentiment particulier, car en miroir de l'amour qui naît entre le fils et Ichi, le personnage interprété par le père, Mifune, lui-même pas forcément très heureux dans son mariage, comprend soudainement la beauté de cette tendresse — une affection qu'il fera transiter jusqu'à sa petite-fille, récemment née de cette union. Le final est peut-être un peu forcé dans l'opposition tant attendue entre Mifune et Nakadai, ce dernier incarnant le gardien d'une frontière que le premier veut traverser sans autorisation pour exposer aux yeux du monde la cruauté de son propre clan. Mais l'éloquence de cet ultime segment annihile tous les doutes qu'on pouvait nourrir : le découpage du combat est renversant avec un cadre brillant par ses éléments fabuleux (le vent dans les bambous, tellement efficace) et un final puissant dans son amertume.
Le geste de Kobayashi pourra paraître quelque peu austère dans sa froide démonstration, peut-être même excessif dans la rigueur de style, mais c'est en tous cas un exercice et un récit de transmission bouleversants en ce qui me concerne. Que ce soit en termes de crescendo de tension, d'explosion de violence, ou de révélation des sentiments, c'est carré sans être académique, critique du système féodal sans tomber dans le pamphlet indigeste, et émouvant dans son ultime geste d'amour transmis en héritage.









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