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Une femme autour de Kikugorō

Enfin, au bout de trois tentatives, le style si particulier de Kenji Mizoguchi a su susciter en moi quelque chose de plus profond qu'une simple approbation polie. Après Cinq Femmes autour d'Utamaro et Les Sœurs de Gion dont les univers m'avaient un peu laissé sur le bord du chemin, cette incursion plus franche (d'après des souvenirs un peu vaporeux) dans le registre du mélodrame m'a paru plus aboutie. La délicatesse du regard sur l'art, l'amour, ou encore la femme est enfin parvenue à transcender le strict cadre du récit.

Ne connaissant ni la carrière de Mizoguchi dans son ensemble ni ses affinités avec le régime militariste de l'époque, il reste toutefois permis d'être très surpris devant un tel raffinement, sur un sujet extrêmement éloigné des problématiques géopolitiques qui nourrissaient l'année 1939. Kenji Mizoguchi, c'est un peu le Helmut Käutner de Sous les ponts qui réalisait une romance d'une incroyable douceur alors que les bombes pleuvaient sur Berlin. Contes des chrysanthèmes tardifs constitue ainsi un hommage appuyé au théâtre kabuki, dans ses moments de gloire exaltants comme dans les rouages qui se grippent en coulisse.

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L'équilibre entre la représentation de théâtre qui se joue sur scène et tous les différends qui se trament en arrière-plan est bien maintenu, les deux parties étant parfois réunies au sein d'un même mouvement de caméra balayant l'ensemble. Devant, le paraître, et derrière, le tumulte. La cruauté de certaines séquences dans les coulisses est dotée d'une puissance comparable à celle qui explose sur scène, lors des nombreuses séquences de théâtre filmé. Le tout sans aucun plan rapproché. La toute dernière, relativement longue, concentre d'ailleurs une tension incroyable, car le succès (ou non) de la performance dictera le sort du protagoniste : un moyen efficace de capter l'attention des spectateurs du film comme de ceux à l'intérieur du film.

Au milieu de cette toile de fond presque documentaire, la trajectoire de Kikugorō, un homme se croyant artiste qui découvre un jour que sa célébrité d'acteur n'est que le fruit d'un pur népotisme. La route jusqu'à la véritable renommée, en passant par la prise de conscience, la confrontation au réel et le travail sur soi, sera bien longue. Et les embûches nombreuses. À côté de lui, Otoku sera la femme-sacrifice d'origine modeste par excellence, totalement dévouée à un homme qu'elle ne peut épouser, la faute à de cruelles conventions sociales. Le portrait de cette figure féminine se situe exactement dans les rails du mélodrame classique, comme en témoigne l'issue du film, mais il n'en demeure pas moins émouvant et pertinent. Il s'en dégage même un discours sur la condition de la femme au Japon très élégant.

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