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"À d'autres, la tâche de guérir, d'éduquer. À nous, le devoir de réprimer !"

Le fait que le film d'Elio Petri soit sorti la même année que celui réalisé par son compatriote Michelangelo Antonioni, Zabriskie Point, invite à les considérer comme les deux faces d'une même pièce. Même élan critique à l'orée des 70s, même volonté de verser dans l'outrance. La comparaison ne se poursuit pas beaucoup plus loin, étant données les différences gigantesques de style (que l'on pourrait presque résumer à Morricone d'un côté et Pink Floyd de l'autre) et de points focaux (la répression fasciste en Italie et la société de consommation aux États-Unis), mais il y a tout de même une certaine continuité dans ces excroissances subversives du cinéma italien de l'époque.

Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon est avant tout le portrait d'un symbole, à tel point que le policier interprété par Gian Maria Volonté n'aura jamais de nom ni de prénom. Il s'agit d'une fonction plus que d'une personne, d'un archétype de l'autorité plus que de son bras armé. Une figure sans nom qui ne semble éprouver aucun doute, aucun remord : on comprend assez vite, après une délicieuse séquence d'introduction perverse (aux sens propre et figuré, de par la nature des jeux entre les amants et le contenu de l'action qui n'est pas immédiatement compréhensible), que l'inspecteur se perçoit comme un être supérieur tout-puissant et que personne n'aura ni l'audace ni l'intelligence de l'accuser de quoi que ce soit. Pétri de suffisance, ivre de pouvoir, lové dans son impunité. Il est tellement supérieur, il connaît tellement bien les rouages des institutions qu'il peut se permettre de semer comme bon lui semble des indices l'incriminant formellement avec la garantie de ne jamais être inquiété.

Pour décrire ce criminel profondément mégalomane, Petri use d'un style proche du grotesque, à travers le comportement du protagoniste mais aussi des cadrages très serrés, centrés sur les visages boursouflés, parfois en contre-plongée. On se croit régulièrement dans un western spaghetti à la Leone. Il ira jusqu'à vociférer, devant un parterre de policiers acquis à sa cause, "Nous sommes les protecteurs de la loi, que nous voulons immuable, sculptée dans l'éternité ! Le peuple est mineur, la ville est malade. À d'autres, la tâche de guérir, d'éduquer. À nous, le devoir de réprimer ! La répression est notre vaccin. La répression est la civilisation !". Et de terminer sur un "N'applaudissez pas, je vous en prie. Soyons modestes... au travail."... Il n'y a pas de limite à la bêtise, et les excès ne connaissent aucune frontière. La citation finale entérine la dimension kafkaïenne de la fable, au terme d'un défilé de gradés qui renvoie plus au carnaval (certes terrifiant) qu'à la réunion administrative.

Plus on avance, et plus le jeu auquel s'adonne Gian Maria Volonté perd en maîtrise, en passant de la jouissance perverse et cynique au caprice d'enfant immature pris les doigts dans le pot à confiture. Après l'enivrement et le stupre, les sanglots dans les jupes de maman. On s'enferme alors (encore) dans une autre forme de grotesque, tout en étayant une autre partie du propos : le corps policier ne peut admettre aucun maillon faible, au risque de voir l'institution toute entière s'écrouler. Le statut de policier comme gage d'immoralité.

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