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Beautiful villages burn beautifully

Curiosité cinématographique de Serbie, ou plus précisément de Yougoslavie voire de Serbie-et-Monténégro (on était en 1996), Joli Village, Jolie Flamme propose un regard sur la guerre de Bosnie-Herzégovine plutôt rare (lire le billet de Clément sur Le Pont sur la Drina). Sorti quelques mois seulement après la fin du conflit qui opposa les peuples Serbes, Croates et Bosniaques, le film de Srđan Dragojević (d'origine serbe) fut tour à tour accusé de servir les propagandes pro- et anti-serbe. Probablement le signe d'une œuvre qui vaut le détour... Je ne me risquerai pas à la comparaison à Stanley Kubrick qui est faite sur l'affiche anglaise du film ("Bolder in its vision of politics and the military than any movie Stanley Kubrick has made"), mais ce produit issu de la culture balkanique distille assurément une forme de discernement salutaire.

"Les villages magnifiques brûlent magnifiquement" (traduction littérale du titre original) est basée sur une anecdote militaire du début des années 1990 et raconte l'histoire d'un petit groupe de soldats serbes qui se retrouvent pris au piège dans un tunnel encerclé par les forces bosniaques. C'est toute l'essence de ce conflit qui nous est contée, à l'aide d'un récit découpé en trois temps jonglant avec les amitiés passées et les différends futurs. Au centre du récit, la relation entre Milan et Halil, l'un Serbe et l'autre Bosniaque, allégorie du conflit ethnique qui dévasta la région. Enfants, ils étaient amis ; aujourd'hui, l'histoire du tunnel les sépare et finira, pour certains chanceux, à l'hôpital. Le tunnel prend alors une dimension métaphorique, le passage à l'âge adulte et la fin de l'innocence, puisque les deux enfants sont aujourd'hui devenus les ogres qui habitaient le tunnel dans leur imagination enfantine.

Joli Village, Jolie Flamme navigue autant entre passé et présent qu'entre horreur et humour. L'horreur de la guerre et le sang de ses victimes (le sang est un motif qui revient à de nombreuses reprises, de l'inauguration du "tunnel de la paix" à la convalescence à l'hôpital), bien sûr, mais contrebalancée par un humour de tous les instants, un sens de la comédie typiquement balkanique qui produit un étonnant mélange des genres. Il y a dans ce film un côté loufoque totalement assumé pour relater des événements pas franchement joyeux, et l'atmosphère caractéristique (et à double tranchant) des films de Kusturica n'est pas bien loin. Il serait d'ailleurs intéressant de creuser et voir s'il ne s'agit pas là d'une caractéristique beaucoup plus globale du cinéma serbe.

En tout état de cause, il y a là un sens du burlesque singulier pour désamorcer la violence du contenu, et cette approche se marie relativement bien avec la narration chaotique et fragmentée des relations entre les personnages. Les références à la culture des Balkans sont innombrables (des chansons traditionnelles, des blagues, des personnalités) et il y a fort à parier que beaucoup échappent à un œil extérieur. Si Joli Village, Jolie Flamme n'est pas un chef-d'œuvre (quelle que soit le sens de cette dénomination), il n'en demeure pas moins un film déroutant et d'une surprenante lucidité, quelques mois après la fin de la guerre de Bosnie et quelques années avant le début de nouveaux affrontements au Kosovo.

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