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Sacha le loquace

Assez incroyable de constater que deux films très différents de Sacha Guitry, Faisons un rêve et Le Roman d'un tricheur, sont sortis la même année. Autant le premier m'avait paru relativement pénible à suivre dans le registre du théâtre filmé, avec des acteurs comme Michel Simon et Raimu, largement sous-exploités,  à une époque où le medium du cinéma n'était peut-être pas totalement maîtrisé (et Guitry était clairement un homme de théâtre), autant le second adopte la même position en la magnifiant au cours d'une trajectoire de 80 minutes sans discontinuité. On peut y ressentir par moments de légers essoufflements, à cause de la structure en saynètes mises bout à bout, mais Guitry a un sens de la mesure et du timing remarquable. Les traits d'humour sont très nombreux, pour ne pas dire constants, et pourtant la longue série de plaisanteries sait quand il faut passer à la suivante pour ne pas se faire trop pesant.

Guitry, dans son rôle (entre autres) de narrateur omniprésent a un débit très conséquent qui pourrait lasser. D'autant qu'il aborde une quantité conséquente de thématiques variées, entre les femmes, le jeu, l'honneur, l'argent, Monaco, etc. Dans un style qui ressemble à du cinéma muet sur lequel on aurait calqué une piste audio de dialogues et de commentaires, cela pourrait vite devenir insupportable. Et pourtant... Les aphorismes s'enchaînent, les longs monologues succèdent aux réparties cinglantes (qu'il se fait à lui-même), les points de vue se multiplient sans cesse, et tout ce manège tourne à une vitesse folle pour trouver une position d'équilibre étonnante. La finalité de cette entreprise : un conte tendrement amoral, léger et hédoniste. Sacha Guitry aura tôt fait de justifier son immoralité : l'histoire des champignons vénéneux, qui a décimé sa famille et dont il a réchappé grâce à un vol et à la punition qui s'ensuivit, pose le décor dans une introduction mêlant burlesque et humour noir (notamment via le montage présentant la tablée avec la famille nombreuse puis la table vide avec l'enfant seul survivant). C'est donc acté : l'honnêteté n'est pas toujours utile, la malhonnêteté a aussi des bons côtés et peut éventuellement sauver la vie.

Le Roman d'un tricheur correspond ainsi parfaitement à l'idée qu'on peut se faire d'un "roman filmé", avec la narration se déroulant toujours au présent, assurée par l'auteur et à travers son propre point de vue. Le langage cinématographique est toutefois bien présent, à travers les mouvements de caméra assurant une partie de la narration, ainsi que le montage très fluide et un sens très clair de la composition des plans. Le discours est toujours teinté d'ironie, Guitry pratiquant un humour très caustique tout en restant extrêmement bienveillant : c'est de l'ordre de l'immoralité distillée avec beaucoup de douceur, un mélange étonnant et agréable alors que le projet avait tout de la mise en scène de flambeur égocentrique et insupportable sur le papier.

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